Chapitre pour le 10 mai 2015

Abbaye de Scourmont

 

 

Retraite annuelle

 

          Saint Benoît dit que toute la vie du moine devrait être conforme à la discipline du carême ; mais puisqu’on n’atteint jamais cet idéal il faut nous efforcer durant le carême, non pas de faire des choses spéciales, mais bien de vivre plus intensément et plus profondément les éléments essentiels de notre vie chrétienne et monastique.

 

          On peut dire la même chose de la « retraite annuelle ».    En effet la vie du moine est une sorte de retraite continuelle.  Nous devrions être constamment « retirés » (c’est le sens du mot retraite) des affaires du monde pour être consacrés à une constante recherche contemplative de Dieu.

         

          La « retraite annuelle » n’est pas une pratique connue de la grande tradition monastique. C’est une pratique qui s’est développée au cours des derniers siècles dans les Congrégations apostoliques puis dans le clergé séculier.  Il s’agit pour eux de cesser pour quelques jours leur activité apostolique habituelle pour se consacrer plus intensément à la prière. Même si cette pratique nous est désormais prescrite par le droit, comme à tout religieux, elle a pour nous un sens différent.   Ce doit être pour nous le temps d’observer d’une façon plus intense et plus sérieuse ce qui doit faire la trame de notre vie contemplative tout au long de notre vie : Fidélité à la lectio et à la prière personnelle ; fidélité à l’Office divin, en nous efforçant d’y arriver en temps.  Silence dans les cloîtres, au réfectoire, dans les chambres, etc.

 

          Il faut évidemment faire en sorte que cela continue après la retraite et que celle-ci ne soit pas une simple parenthèse.  D’ailleurs, dans certaines langues modernes, on n’utilise pas le mot « retraite » pour désigner cet exercice annuel, mais plutôt l’équivalent du mot « exercice ». On parle d’exercices spirituels. (Ainsi, en allemand, on parle de geistliche Exerzitien). En effet, le mot « retraite » peut induire en erreur.  On peut facilement l’interpréter comme un repliement sur soi, comme un oubli provisoire de tout ce qui nous entoure. Le vrai sens est plutôt celui d’entrer au coeur de nous-mêmes, mais aussi un coeur de toutes nos activités et donc au coeur de toutes les réalités qui nous entourent, plutôt que de vivre à la superficie des choses.

 

          L’évangile d’aujourd’hui (qui est le même que nous avions à la messe fériale de vendredi dernier) nous invite à réfléchir durant cette retraite sur le sens profond de toute vie communautaire. C’est un passage évangélique tiré du chapitre 15 de saint Jean qui nous rapporte les paroles de Jésus à ses disciples au cours de son dernier repas avec eux : « Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres. »  Dieu est amour. L’essence de notre vie chrétienne et monastique est donc aussi l’amour. Et l’essence de notre vie communautaire est l’amour fraternel.

         

          Il ne s’agit pas d’un vague sentiment d’affectivité.  « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés », dit Jésus. Et il explique tout de suite le sens de ce « comme je vous ai aimés », en disant : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime ». Et c’est après avoir expliqué cette exigence de l’amour qu’il répète : « Le commandement que je vous donne, c’est de vous aimer les uns les autres ». Il s’agit donc d’un amour fraternel qui s’exprime à travers le renoncement de chacun à ses intérêts personnels, pour travailler au bien de chacun de ses frères.

 

          Jésus insiste en disant : « Je ne vous appelle pas mes serviteurs, mais bien mes amis ».  En cela il nous indique le vrai sens de l’amitié au sein d’une communauté cénobitique.  Nous ne sommes pas des amis qui ont choisi la même vocation parce qu’ils avaient les mêmes goûts. Nous sommes des personnes différentes les unes des autres que Dieu a appelées à former une communauté pour incarner dans cette communauté le mystère de son propre amour.  C’est son amour pour nous qui est le lien de notre amitié.

 

          C’est ce que dit fort bien, saint Benoît, paraphrasant d’ailleurs saint Paul, à la fin de son beau chapitre 72 de la Règle sur le bon zèle :

 

Ils supporteront avec une très grande patience les faiblesses des autres, celles du corps et celles du caractère. Ils s'obéiront mutuellement de tout leur coeur. Personne ne cherchera son intérêt à lui, mais plutôt celui des autres. Ils auront entre eux un amour sans égoïsme, comme les frères d'une même famille. Ils respecteront Dieu avec amour. Ils auront pour leur abbé un amour humble et sincère. Ils ne préféreront absolument rien au Christ. Qu'il nous conduise tous ensemble à la vie avec lui pour toujours !

 

          Durant cette semaine de retraite interrogeons-nous, dans le secret de chacun de nos cœurs, sur la vérité de notre vie monastique communautaire. Dans quelle mesure sommes-nous de vrais moines, une véritable communauté chrétienne ? Pour le savoir nous pouvons nous demander dans quelle mesure nous nous mettons au service les uns des autres.

 

Armand Veilleux

 

 


 

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