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Chapitre pour le début du Carême
22 février 2015 - Scourmont
Dans la joie du désir spirituel
Dans sa
lettre apostolique adressée à tous les consacrés à l’occasion de l’année de la
vie consacrée le pape François énumère un certain nombre d’attentes qu’il nourrit
pour cette année de la vie consacrée. Et sa première attente concerne la joie.
Il vaudrait que partout où il y a des religieux il y ait de la joie. Car,
dit-il, nous sommes « appelés à expérimenter et à montrer que Dieu est
capable de combler notre coeur et de nous rendre heureux, sans avoir besoin de
chercher ailleurs notre bonheur ». Il souhaite qu’une authentique
fraternité vécue dans nos communautés alimente notre joie et que notre don
total dans le service de nos frères nous réalise comme personnes et donne
plénitude à notre vie.
J’aime mettre
cette invitation en relation avec ce que la Règle de saint Benoît dit de la
joie, dans le chapitre 49 sur l’observance du carême.
Ce
chapitre commence par l’affirmation qu’ « un moine doit, en tout temps,
garder l’observance du carême ». Si on lit cette phrase hors de son
contexte on pourrait penser que pour saint Benoît la vie du moine doit être une
vie tout ascétique, terne, dure et même triste. Or, pour bien comprendre cette
phrase, il faut la mettre en relation avec cette autre phrase qui arrive vers
la fin de ce chapitre, où Benoît, après avoir décrit toute l’ascèse du carême
dit qu’il s’agit ainsi « d’attendre la sainte Pâque dans la joie du désir
spirituel » Et, quelques versets plus haut il avait dit que tout ce qu’on
peut faire d’un peu spécial durant ce temps, il faut l’offrir à Dieu
« dans la joie du Saint Esprit ».
Le temps
du Carême est donc, pour Benoît, un temps de joie. C’est d’ailleurs uniquement dans ce chapitre
49 qu’on trouve, dans la Règle, l’utilisation du mot gaudium,
joie. Mais il faut évidemment mettre
cela aussi en relation avec l’affirmation du Prologue qui présente le moine
comme celui « qui désire vivre et avoir des jours heureux ».
Arrêtons-nous
un peu à la phrase « attendre la sainte Pâque dans la joie du désir
spirituel ». Il y a tout d’abord le verbe « attendre »,
en latin expectare, qui nous rappelle la
parabole du serviteur fidèle qui attend le retour de son maître, ou encore
celle des dix vierges qui attendent dans la nuit l’arrivée de l’époux.
Attendre
la Pâque, ce n’est pas simplement se préparer à la célébration du jour de
Pâques, c’est s’ouvrir au passage constant de Dieu
dans nos vies. Et l’on s’y ouvre par une prière continuelle. Benoît parle de
« la joie de l’Esprit Saint » et de « la joie du désir
spirituel ». Ce « désir spirituel » correspond sans
doute au « gémissements ineffables » de l’Esprit Saint dont parle
saint Paul au chapitre 8 de l’Épitre aux Romains.
Il avait
déjà été question du désir spirituel au chapitre 4, sur les instruments des bonnes œuvres. Ce chapitre 4 commence par une première
exhortation qui donne son sens à la longue liste de "prescriptions"
qui suit : "D'abord aimer le Seigneur Dieu de tout son coeur, de
toute son âme et de toutes ses forces" (v. 1). Ce langage de l'amour scande en quelque sorte
tout le chapitre. Il ne faut, bien sûr
"rien préférer à l'amour du Christ" (v. 21) et pour cela il faut non
seulement s'aimer mutuellement entre frères ("vénérer les anciens" et
"aimer les jeunes" : v. 70 et 71), mais il faut même "aimer ses
ennemis" (v. 31). Il faut aussi
aimer les pratiques qui nous rapprochent de Dieu: "aimer le jeûne" (v. 13) et "aimer la chasteté" (v.
64).
Cependant,
ce Dieu qu'on doit aimer de tout son coeur, de toute son âme et de toutes ses
forces, on ne le possède pas encore. On
ne peut que le désirer, d'un désir qui est une tension de tout l'être
vers l'objet aimé. C'est pourquoi le
verset qui constitue en quelque sorte le sommet de ce chapitre est le verset 46
: vitam aeternam omni concupiscentia spiritali desiderare –
"Désirer la vie éternelle d'une ardeur toute spirituelle".
C’est la
même notion de désir dont il est
question dans le chapitre sur l’observance du carême. Pour Benoît le carême ne
doit rien apporter de neuf si ce n'est une intensification de tous les éléments
constitutifs de la vie chrétienne et monastique, de sorte que le moine puisse
aspirer vers Pâques avec "toute la
joie du désir spirituel". Le temps du
carême est un temps où nous devons nous efforcer de laisser croître en nous ce
désir.
En faisant
cela, dit Benoît, nous effaçons toutes les négligences des autres temps.
Voici une
liste, bien partielle, de ce à quoi nous sommes appelés à faire particulièrement
attention :
a)
fidélité à la lectio divina. Nous n’avons pas à Scourmont la tradition
qu’ont la plupart des communautés de faire leur « lecture du carême »
ensemble à la même heure, au même endroit. Notre tradition locale est de tabler
sur la responsabilité personnelle de chacun. Efforçons-nous d’honorer cet appel à notre « responsabilité »
personnelle.
b)
fidélité à la prière commune. Efforçons-nous de ne pas manquer les Offices sans
véritable raison, et surtout d’arriver en temps.
c)
nourriture : là aussi, notre tradition locale est de ne pas modifier
tellement la composition des repas durant le Carême, mais de laisser à chacun
le soin de faire ce qu’il peut selon son état de santé et son âge.
d) même
chose pour le sommeil. Reprendre le
rythme communautaire normal, si on s’est créé un rythme « personnel »
exigeant des siestes à des heures inhabituelles. Sauf, bien sûr, si l’on a des
besoins de santé particuliers.
Quand
Benoît dit que toute la vie du moine doit être conforme à l’observance du
carême il implique que toute sa vie doit être animée de cette attente de la
Pâque, dans la joie du désir spirituel. Ce qui fait que la résurrection du Christ est vraiment au cœur de sa
spiritualité, même si ni le mot « résurrection » (resurrectio), ni le verbe
« ressusciter » (resurgere) n’apparaissent dans sa Règle.
Armand VEILLEUX
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