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8 février 2015 – Chapitre de Scourmont
Formes d’esclavage
Il y a
quelques semaines le Pape François donnait le feu vert pour la reconnaissance
du martyre de Monseigneur Oscar Romero, ouvrant la voie à sa béatification
prochaine. Depuis son assassinat en 1980, les chrétiens d’El Salvador et de
toute l’Amérique Latine, mais aussi beaucoup de fidèles de par le monde le
considéraient déjà Oscar Romero comme un saint. Conformément à une très
ancienne tradition, la reconnaissance officielle par l’Église vient simplement confirmer
le jugement du Peuple de Dieu.
Romero défendit
au coût de sa vie la portion importante de son peuple qui était victime de l’oppression,
de l’humiliation, de l’esclavage économique et social. Ce fut donc une heureuse coïncidence qu’au
moment même où le Vatican annonçait la béatification prochaine de Romero, il y
a deux semaines, se tenait à Rome une importante conférence de presse sur la
lutte contre le trafic des êtres humains.
Cette
conférence de presse était organisée par un groupe appelé Talita Kum, qui est un réseau international de la
vie consacrée, contre la traite des personnes, Ce réseau doit son origine à l’Union
Internationales des Supérieures Générales à Rome. Il coordonne le travail d’un
grand nombre de religieuses, en particulier des missionnaires Comboniennes, qui travaillent auprès des victimes de toutes
sortes de formes de traite des personnes humaines, que le pape François a
qualifiée de crime contre l’humanité et qu’il qualifie aussi de « plaie
dans le corps de l’humanité contemporaine et de plaie dans la chair du Christ ».
Le Vatican avait donné une grande importance à cette Conférence de Presse,
puisqu’y assistaient les responsables de trois grands dicastères romaines :
le cardinal ghanéen Peter Turkson, du Conseil
Pontifical Justice et Paix, le cardinal brésilien Joâo Braz de Aviz, de la Congrégation pour les Instituts de Vie
consacrée et le cardinal italien Antonio Maria Veglio du Conseil Pontifical pour le soin des Migrants et des Itinérants. Il fut
expliqué à cette conférence de presse qu’on compte actuellement dans le monde 21
millions de personnes victimes de ce trafic.
C’est sans
doute la raison pour laquelle le Pape François avait consacré à ce sujet son message
pour la Journée mondiale de la paix de cette année et qu’il a proclamé
la journée d’aujourd’hui, 8 février 2015, comme « Journée mondiale de
prière, de réflexion et d’action contre la traite des êtres humains ».
Le choix
du 8 février n’est pas sans signification. C’est le jour de la mémoire liturgique de sainte Josephine Bakhita. Joséphine Bakhita est née au Darfour, dans le Sudan, en 1869. Elle fut kidnappée et vendue comme esclave
à l’âge de 9 ans. Elle fut terriblement maltraitée, au point que son corps
portait 144 cicatrices de blessures. Elle fut finalement rachetée par le consul
italien et put connaître durant quelques années une vie familiale normale. Elle
fut ensuite baptisée, entra chez les soeurs canossiennes de Venise et vécut une vie religieuse toute consacrée au service des
autres. Elle fut béatifiée en 1992 et
canonisée en 2000.
Dans sa
lettre pour la journée mondiale de la paix, le pape François analyse en détail
toutes les formes d’exploitation de l’homme par l’homme qu’on peut considérer
comme des formes modernes d’esclavages et les diverses manières dont on peut s’en
rendre complices. « Je pense – dit-il
d’abord – aux nombreux travailleurs et travailleuses, même mineurs, asservis
dans les divers secteurs, au niveau formel et informel, du travail domestique
au travail agricole, de l’industrie manufacturière au secteur minier... ». Il mentionne ensuite les migrants qui, dans
leur dramatique parcours, « souffrent de la faim, sont privés de liberté,
dépouillés de leurs biens ou abusés physiquement et sexuellement » et des
conditions dans lesquelles on les enferme après leur traversée. Il mentionne
toutes les personnes contraintes à se prostituer pour survivre, puis ceux et
celles qui sont qui sont l’objet de commerce pour le prélèvement d’organes... (et je résume cette longue liste d’horreurs).
Ensuite le
pape parle des causes profondes de l’esclavage, qui sont nombreuses. Puis il
loue le travail admirable fait par plusieurs communautés religieuses, surtout
féminines. (Il vaut la peine de lire le texte entier de son message).
Enfin il
appelle tout le monde à réfléchir sur cette forme de manque de respect de la
personne comme enfant de Dieu. Utilisant
des formules percutantes dont il a l’art, il appelle à une « mondialisation
de la solidarité et de la fraternité » contre une « mondialisation de
l’indifférence ».
Ce n’est
pas là un problème auquel nous sommes directement confrontés dans notre vie
monastique, bien que le service social de l’abbaye soit appelé de temps à autre
à s’occuper de telles situations. C’est quand même une situation globale de l’humanité
qui doit faire l’objet de notre prière et sur laquelle nous sommes nous aussi
appelés par le pape à réfléchir.
Nous
pourrions nous interroger sur les diverses façons dont nous pouvons nous aussi,
dans notre vie quotidienne, manquer de ce respect absolu que nous devons non
seulement à chacun de nos frères mais aussi à toute personne que nous
rencontrons, en tant qu’enfants de Dieu.
La Lettre
aux Hébreux parle de ceux qui passent toute leur vie dans l’esclavage par peur
de la mort. L’être humain, par peur de
la mort, essaye de se perpétuer dans une postérité, dans des biens matériels ou
des formes de pouvoir et de renommée. Le
but de nos « voeux » monastique (célibat, pauvreté et obéissance) est
de nous aider à nous protéger de ces formes d’esclavages dont parle la Lettre
aux Hébreux. C’est donc peut-être aussi
l’occasion, aujourd’hui, de nous demander à quel point nous nous laissons
libérer par notre pratique de ces voeux et de quelles façons nous pouvons
retomber dans l’esclavage.
Armand Veilleux
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