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Chapitre de
Scourmont
1 février 2015
Édifier ou détruire
Dans son
chapitre sur la lecture durant les repas, saint Benoît dit que la tâche de
faire cette lecture doit être confiée à ceux qui sont capables d’édifier les auditeurs. Il dit dans le
même chapitre que durant cette lecture on doit garder le silence, à moins que
peut-être l’abbé veuille dire quelques mots qui édifient. Que veut dire « édifier » dans ce contexte ?
-- Je crois bien que, de nos jours, lorsqu’on dit qu’une personne est édifiante
ou qu’elle dit ou fait des choses édifiantes, on veut dire qu’elle provoque de
bons sentiments, qu’elle encourage à faire de bonnes choses et donne un bon
exemple. Ce langage comporte d’ailleurs en général une certaine condescendance.
En réalité le sens chez Benoît est beaucoup plus fort. « Édifier » veut vraiment dire « construire ». Lorsqu’il parle d’édifier, il parle de « construire »
la communauté. Et cela est presque toujours lié au bon usage de la parole
Benoît
emprunte certainement ce mot – ou ce thème – à saint Paul, qui insiste, dans
presque toutes ses lettres, sur tout ce qui édifie la communauté, c’est-à-dire tout ce qui construit la communauté. Ainsi il
invite les Thessaloniciens à « s’édifier mutuellement » (1 Thess. 5,11). Cela veut dire beaucoup plus que de se dire
des paroles « édifiantes » ou de se donner de bons exemples. Cela veut vraiment dire s’aider mutuellement
à se construire comme personnes. Et déjà
chez Paul, comme plus tard chez Benoît, cette « édification » est
liée à la parole. Ainsi, en Rom 15,20, il dit qu’il se fait un point d’honneur
de n’annoncer l’Évangile que là où le nom du Christ n’avait pas encore été
annoncé, pour ne pas bâtir sur les fondations
qu’un autre avait posées.
C’est
avec les Corinthiens que Paul semble avoir eu le plus de problèmes à cet égard.
Ce qu’il leur reproche avant tout, surtout dans sa première lettre aux
Corinthiens, s’est de vouloir s’auto-édifier, ou s’auto-construire, c’est-à-dire
de se préoccuper de ce qu’on appellerait aujourd’hui son « développement
personnel » plutôt que de se préoccuper de construire la communauté, et
surtout plutôt que de s’occuper de ceux qu’il appelle les « faibles »
(debiles)
et qui ont une grande place dans cette Lettre.
C’est
dans ce contexte qu’il écrit cette phrase souvent citée : « Tout m’est permis, mais tout n’édifie pas –
tout ne construit pas ». Si une chose ne construit pas la communauté
et surtout si une chose nuit au développement des plus petits ou des plus
fragiles, il ne faut pas la faire, même si c’est « permis ». (1 Cor.
10,23)
Aux
petits, ou aux « faibles » Paul oppose ceux qui ont la « connaissance »,
qui sont sages aux yeux du monde, mais dont la sagesse « enfle ». « La
science enfle – dit-il – alors que l’amour édifie » (1 Cor. 8,1). Les deux
sont opposées l’une à l’autre.
Il
semble bien que ce soit à ces textes que se référait le Pape François dans ses
réponses aux journalistes lors de son voyage aux Philippines, lorsqu’on lui
demanda son avis sur l’affaire des caricatures sur Mahomet et sur les
évènements tragiques de Paris. Sa réponse fut que la liberté d’expression est
importante ; mais qu’elle ne peut s’exercer en blessant les autres. Il
précisa que s’il est bon de rire (et l’on sait qu’il est capable de rire à
gorge déployée) on ne doit pas blesser les sentiments religieux des
autres. Il semble bien que c’est en
réponse à François que Christiane Taubira a affirmé par
la suite: « On
peut tout caricaturer, même un prophète, parce qu’en France, pays de Voltaire
et de l’irrévérence existe le droit de rire de toutes les religions ». Je pense qu’on ne peut que lui redire la
réponse de saint Paul : « Tout m’est permis, mais tout ne construit
pas ». Et, pour le moment, tout est
à reconstruire.
Le
fondamentalisme est un danger qui guette toutes les religions, y compris la
religion laïque. Il guette aussi tout groupement humain, toute communauté. C’est pourquoi ces événements récents (qui
continuent, dans leurs effets domino, à créer beaucoup de violence de par le
monde), doivent nous amener tous à être de plus en plus nous-mêmes, avec chacun
notre identité et notre mission propre, et ne pas nous laisser emporter par des
réactions de masse (qui sont la première expression de tout fondamentalisme).
Le
message de Jésus dans l’Évangile, comme celui de Benoît dans sa Règle, c’est qu’on
se construit comme Église et comme communauté en se mettant au service les uns
des autres – en s’édifiant mutuellement. Dès qu’on commence à réclamer ses droits, on est dans une logique
d’auto-réalisation (que reproche Paul aux
Corinthiens) et non d’édification.
Aujourd’hui,
dans notre diocèse, comme ailleurs dans l’Église, on célèbre d’une façon
particulière une « journée de la vie consacrée », dans le contexte
plus général de « l’année de la vie consacrée ». Une vie consacrée à
Dieu est nécessairement une vie consacrée à la communauté dans laquelle il a
voulu faire sa présence mais aussi une vie consacrée à l’Église et à toute la
société, en particulier les plus faibles – les plus faibles aussi bien au sein
de chaque communauté comme en dehors de celle-ci, dans les périphéries.
Armand VEILLEUX
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