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25 janvier 2015 –
Abbaye de Scourmont
La Cause des Martyrs de Viaceli
La salle
de Presse du Vatican annonçait hier que le Saint Père avait autorisé, la veille,
la promulgation de onze décrets de la Congrégation pour les Causes des Saints.
Parmi ces décrets se trouve celui concernant la reconnaissance du martyre des
16 moines de notre monastère de Viaceli, en Espagne,
assassinés au début de la guerre civile espagnole. Y sont associées, dans la
même cause deux moniales du monastère cistercien de Algemesi (appartenant désormais à la Congrégation de Las Huelgas)
martyrisées elles aussi à la même époque. Ce décret ouvre évidemment la voie à
leur béatification, qui devrait être prochaine.
On peut se
réjouir de cette béatification prochaine, car il s’agit, de façon évidente,
dans leur cas, de personnes qui ont été tuées in odium fidei,
c’est à dire en haine de la foi – ce qui est la première condition pour que
quelqu’un soit reconnu « martyr ». Ils ont aussi accepté cette mort,
qui se présentait à eux, de façon très explicite et avec beaucoup de courage.
Leur mort
eut lieu à la fin de 1936, au début de la guerre civile espagnole, qui dura de
1936 à 1939. Dès la fin de la guerre on pensa à ouvrir leur cause de
béatification, mais on était alors trop près des événements. C’est en 1962 que
le Chapitre Général de notre Ordre décida d’ouvrir la cause. On recueillit
alors beaucoup d’information et de témoignages. Mais les démarches furent
suspendues au moment où on allait ouvrir le procès diocésain dans le diocèse de
Santander. La guerre civile espagnole
avait fait un très grand nombre de victimes des deux côtés, et l’Église avait
connu un très grand nombre de martyrs aussi bien chez les laïcs que chez les
prêtres et les religieux. Dans beaucoup
de cas il était cependant difficile de distinguer la dimension religieuse de la
dimension politique. On était d’ailleurs encore trop proche des événements. Le Saint
Siège décida alors d’arrêter toutes les procédures. Il est important toutefois
de souligner que dans le cas des moines de Viaceli,
la dimension politique était absente et il n’y a pas le moindre doute qu’ils
furent tués par haine de la foi chrétienne.
Les choses
changèrent sous le pontificat de Jean-Paul II et le procès diocésain put donc se
faire en 1995. J’étais à ce moment-là le
postulateur pour les Causes des Saints de notre Ordre. Je m’en occupai
personnellement un certain temps, puis, dès le début du procès diocésain, je
nommai le Père Doroteo-Pio de Viaceli comme Vice-postulateur, et c’est lui qui s’occupa dès lors activement de la
cause. Le procès diocésain fut validé par la Congrégation romaine en 1997 et s’ouvrit
alors le procès à Rome.
Il y avait
aussi deux sœurs du monastère cistercien de Algemesi qui étaient mortes martyres à la même
époque. Il y avait eu un procès diocésain au diocèse de Valencia, qui avait été
validé par Rome en 1975. Mais personne ne s’occupa du dossier par la suite. Ce
fut tout une aventure que de retrouver les documents dans les archives de la
Congrégation pour les Causes des Saints en 1997. Le procès diocésain dut être
repris en partie et en 2001 le Saint Siège décida d’unir leur cause et celles
des moines de Viaceli en une seule cause.
En 1936,
au début de la guerre civile espagnole, Viaceli était
encore une jeune communauté, fondée par Sainte-Marie du Désert en 1903, mais
comptait une bonne soixantaine de moines, même après en avoir envoyé quelques-uns
en 1930 restaurer l’ancien monastère de Huerta.
Dès le
début de la guerre, la persécution contre l’Église fut extrêmement violente.
Cela pouvait dépendre de l’arbitraire de chacun des « Comités locaux du
Front Populaire ». Celui de Cóbreces, la localité où se trouve Viaceli,
le fut particulièrement. Il y eut d’abord des visites au monastère sous
prétexte qu’on y aurait caché des armes. Puis, le 20 août 1936 (en la fête de
saint Bernard) le Comité local publia un décret ordonnant la fermeture et la
suppression du culte catholique dans les paroisses et dans le monastère. Les
moines continuèrent de célébrer en secret et l’abbé organisa pour que les
moines qui le pouvaient s’en aillent vivre incognito dans leurs familles. Mais
ce n’était pas possible pour tous. Le 8 septembre tous les moines qui étaient
encore à Viaceli (sauf l’abbé, qui était Français) furent
transportés en camion à Santander où ils furent jetés dans diverses prisons. Sous
la direction du Père Prieur, le Père Pio Heredia, les
moines, qui savaient qu’ils n’en reviendraient pas vivants, se préparèrent
sereinement lucidement à la mort. Régulièrement, des groupes étaient retirés
des prisons la nuit et fusillés dans les champs, pour faire de la place pour d’autres
dans les prisons. Deux des moines furent ainsi fusillés. Le 13 et le 17 septembre, les autres, en deux
groupes, furent amenés sur un promontoire, près de la mer. On leur attacha les mains derrière le dos et
on les jeta à la mer. Selon un témoin, on leur cousit la bouche avant de les
jeter à l’eau parce qu’ils priaient encore.
Il y a un post scriptum émouvant à cette histoire. Un certain Neila, commissaire de police de Santander, qui fut responsable
de leur mort, s’enfuit d’Espagne après la défaite de l’insurrection. Il partit
d’abord pour la France où il fut pourchassé par la police. Il se réfugia
ensuite au Mexique où il vécut encore durant une trentaine d’année une vie
tranquille entouré de ses enfants et de ses petits-enfants. Il mourut en 1967,
accompagné spirituellement par un prêtre et par trois de ses soeurs qui étaient religieuses et dont l’une devint par la
suite cistercienne, offrant sa vie comme réparation. Elle mourut saintement en
1995.
Tous ces moines
martyrs étaient des moines ordinaires, jeunes pour la plupart, qui n’avaient
rien fait d’extraordinaire dans leur vie monastique, mais qui restèrent fidèles
à leur foi jusqu’au martyre, lorsque cela leur fut demandé. Ce fut un peu la
même chose pour nos martyrs de Tibhirine et, avant eux, pour nos martyrs de
Chine. Cela montre l’efficacité
spirituelle d’une vie monastique tout ordinaire, si elle est vécue fidèlement
dans la simplicité du quotidien.
Armand Veilleux
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