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Dimanche, le 2 août 2015
Chapitre à l’Abbaye de
Scourmont
Fête
de la Transfiguration
Nous aurons au cours de
cette semaine la fête de la Transfiguration. Je ne serai pas ici, à Scourmont,
pour la célébrer, puisque je la célébrerai à l’abbaye de la Clarté-Dieu au
Congo. J’aimerais donc réfléchir un peu
sur cette fête, ce matin. C’est une fête qui était très importante dans le
monachisme oriental ancien, puisqu’elle nous parle non seulement de la
transfiguration du Christ, mais de celle à laquelle nous sommes nous aussi
appelés. Le but de la vie monastique est
en effet de réaliser notre transformation à l’image du Christ. Un autre aspect à ne pas oublier est la
transformation de tout le cosmos et tout particulièrement de toute l’humanité
ou de toute la société. Et, à ce point de vue, la lecture du livre de Daniel
que nous avons comme première lecture le jour de l’Ascension a des résonnances
qui peuvent facilement être appliquées à la situation contemporaine.
Arrêtons-nous un peu à
cette lecture du Livre de Daniel, qui nous aidera à relire l’Évangile de la
Transfiguration dans le contexte du monde d’aujourd’hui. À l’époque du prophète Daniel, une grande
culture, la culture grecque, était en train de s’imposer rapidement à Israël
comme au reste du monde connu à l’époque. Une nouvelle façon de comprendre l’existence et la vie s’imposait -- ou
était imposée. Après une première
période au cours de laquelle cette influence nouvelle était reçue candidement
et sans esprit critique, il y eut une deuxième période où cette influence
commença à engendrer une crise profonde chez ceux dont la foi et les croyances
religieuses n’étaient pas réconciliables avec cette nouvelle approche
culturelle. Enfin, à partir d’Antiochus
Épiphane – qui était un grand admirateur de la culture grecque -- on assista à
l’effort systématique d’imposer cette culture, considérée comme
« supérieure » aux autres, par la force des armes. On assiste alors à
ce qu’on pourrait appeler une version ancienne de ce qu’on nomme aujourd’hui la
« guerre des civilisations ».
C’est alors qu’est écrit
le Livre de Daniel. Celui-ci appelle à
la résistance en s’appuyant sur l’histoire passée du Peuple de Dieu. Et puis, dans une deuxième partie, il adopte
le genre littéraire de l’Apocalypse pour exprimer ce que le langage ordinaire
et conventionnel ne saurait exprimer : l’absurdité de l’usage de la
violence et de la force. Dans ce langage imagé, la couleur blanche symbolise la
présence divine et sa sainteté absolue ; les trônes symbolisent la
capacité de gouverner l’histoire ; et le « fils de l’homme »
préfigure cet être humain qui sera capable de rendre efficace la volonté de
Dieu sur l’humanité. Les Évangiles reprendront
souvent cette image pour nous présenter la figure de Jésus comme un être humain
tout à fait nouveau, capable de rétablir le dialogue entre Dieu et son
peuple.
Dans l’Évangile, les
disciples, comme le reste du peuple, s’obstinent à vouloir voir en Jésus un Messie
triomphal et invincible qui rétablira le royaume politique de David. Le récit de la Transfiguration – qui appartient
à la tradition apocalyptique, comme le Livre de Daniel -- loin d’être une
manifestation glorieuse de la divinité de Jésus, est au contraire une
révélation de son caractère d’humble serviteur souffrant. Jésus venait d’annoncer sa passion et sa
mort ; et Pierre en particulier avait réagi de façon très vive à cette
perspective. Or, de quoi parle Jésus
avec Moïse et Élie, dans cette vision qu’ont les Apôtres ? Il parle de sa mort à Jérusalem. Jésus est révélé comme le « fils
bien-aimé » du Père éternel, et, en même temps, comme l’être humain qui
accepte l’échec et la mort, et dont la grandeur réside dans l’acceptation de sa
faiblesse et de sa vulnérabilité.
Le mystère de la
Transfiguration est une révélation non pas sur Dieu, mais sur l’humanité –
cette humanité assumée par le Fils de Dieu dans son incarnation. Pierre, qui, une fois de plus, « ne sait
pas ce qu’il dit » (faiblesse qui fait sa grandeur), voudrait geler
l’histoire de Jésus dans la manifestation de gloire sur la montagne. Non, il faut redescendre à Jérusalem où se
passera ce que Jésus a annoncé.
Depuis 1945 on ne peut
célébrer cette fête liturgique de la Transfiguration, sans se souvenir que
c’est le 6 août en cette année-là que s’abattit la première bombe atomique sur
Hiroshima, et que l’humanité fut terriblement défigurée. Cet événement est sans doute celui de
l’histoire moderne où est exprimée de la façon la plus
claire et la plus tragique la prétention irrationnelle et stupide des humains
de vaincre la violence par la violence. Depuis que l’humanité existe, les humains ont toujours essayé de vaincre
la violence par une violence plus grande et n’ont jamais réussi à faire autre
chose que d’engendrer une autre violence encore plus grande. Comment se fait-il que nous n’ayons pas
encore compris ?
Dans la crise actuelle de
la Grèce, on dirait que l’histoire se répète à l’envers. Alors qu’au temps de
Daniel, c’était la culture grecque qui s’imposait un peu partout ; aujourd’hui
c’est une toute autre culture, caractérisée par la soumission de toutes les valeurs
humaines au dieu de la finance qui est imposée à la Grèce avec des conséquences
néfastes pour sa population. Un renversement des valeurs que le pape François a
très bien décrit dans son encyclique sur l’écologie en parlant de l’écologie
intégrale.
Une conversion profonde
de la société est nécessaire. Elle doit
commencer par la conversion de chacun de nos coeurs.
Et c’est là le sens de notre vie monastique.
Armand Veilleux
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