14 décembre 2014 – 3ème dimanche de l’Avent

Chapitre à la communauté de Scourmont

 

 

La figure de Jean-Baptiste, un homme libre

 

          Même si l’Évangile du dimanche, en cette année liturgique « B » est normalement tiré de l’Évangile de Marc, celui de ce troisième dimanche de l’Avent est tiré de l’Évangile de Jean, et plus particulièrement du Prologue. Il nous présente la figure de Jean Baptiste. Je laisse, évidemment, à l’homéliste d’aujourd’hui de nous commenter cet Évangile. Mais je voudrais dire un mot de la figure de Jean Baptiste qui a été considéré dans la tradition monastique comme une prototype du moine (qu’il ait appartenu ou non à la communauté de Qumran, qui se trouva tout près de l’endroit où il vivait et baptisait).

          L’iconographie traditionnelle nous présente souvent un Jean-Baptiste sévère, hirsute et à l’allure plutôt rébarbative.  Une telle présentation peut évidemment s’inspirer de quelques passages des Évangiles nous rappelant sa prédication et ses appels à la conversion et à la pénitence.  Et pourtant,  le thème qui revient sans cesse dans tous les récits relatifs à sa naissance est celui de la joie.

          Lorsque l’ange Gabriel annonce à Zacharie qu’il aura un fils, il lui prédit que « beaucoup se réjouiront de sa naissance ». Lorsque Marie, qui vient de concevoir un fils, va visiter sa vieille cousine Élisabeth, elle-même enceinte depuis six mois, non seulement Élisabeth est elle-même remplie de joie, mais l’enfant qu’elle porte bondit de joie en son sein.  Et lorsqu’elle met au monde son fils, toute sa famille et ses voisins se réjouissent avec elle.

          C’est donc à juste titre que Jean-Baptiste est le seul saint, à part le Christ et sa Mère, dont on célèbre liturgiquement la naissance.  De tous les autres on célèbre leur entrée dans la gloire céleste au moment de leur mort.

          Tous les textes qui entourent la naissance de Jean-Baptiste nous parlent de la joie de ceux et celles qui sont affectés par cette naissance.  Mais Jean-Baptiste lui-même nous apparaît comme un homme profondément heureux, d’une joie paisible, parce que c’est un homme unifié, entièrement consacré à sa mission. Un homme totalement libre.

          Parce qu’il est libre, qu’il n’a rien à prouver et rien à préserver, il peut parler sans crainte à ses contemporains, qu’ils soient des soldats ou des gens ordinaires, des princes ou des rois.  Il peut s’effacer devant celui dont il a annoncé la venue, et même lui envoyer ses disciples. 

          Nous savons tous par expérience que lorsque nous sommes tristes ou malheureux, c’est lorsque nous avons perdu quelqu’un ou quelque chose qui nous était cher, ou bien lorsque nous ne savons pas réaliser certains de nos désirs. Nous n’avons pas tous les succès que nous aimerions avoir ; nous avons des échecs dont nous nous passerions bien. Nous ne sommes pas appréciés comme nous croyons que nous devrions l’être ; nos idées chères ou nos projets sont peut-être combattus par d’autres. Nous ressentons des tensions entre la personne que nous voudrions être et les missions ou responsabilités qui nous sont confiées. Nous sommes tristes, ou en tout cas notre joie n’est pas parfaite, parce que notre cœur est divisé.

          Chez Jean-Baptiste, on ne voit aucun de ces tiraillements.  Sa mission est de préparer la venue du Messie.  Il s’identifie pleinement à cette mission. Il n’aspire à rien d’autre.  Il est donc un homme totalement libre parce que totalement unifié.  Et, parce qu’il est libre, sa vision des personnes et des choses n’est jamais déformée.  Quand le Messie apparaît, il le reconnaît tout de suite. Et il sait que sa mission à lui est terminée.  Il peut disparaître.  « Il est temps qu’il croisse et que je diminue ». Quelle parole surprenante, dans un monde où, alors comme aujourd’hui, chacun veut croître en importance, en fonction, en reconnaissance par les autres, etc. !

          On sait à quel point un maître qui a des disciples qui lui sont fidèles et dévoués peut s’attacher à ces disciples, qui deviennent facilement pour lui comme une possession.  Jean-Baptiste au contraire envoie lui-même ses disciples à Jésus. « Voici l’agneau de Dieu, dit-il ». Son rôle auprès d’eux est terminé.

          Comme il n’a rien à perdre, n’étant attaché à rien, il peut aussi avoir une parole libre. Il peut donc dire au monarque qu’il ne lui est pas permis de prendre la femme de son frère.  Peu importe si cela le conduit en prison et, éventuellement, à la mort.

          Dans sa prison, il se met à douter. Se serait-il trompé ? Celui qu’il a reconnu comme le Messie n’agit vraiment pas comme le Messie qu’on attendait. Est-ce vraiment lui ?  Jean est alors assez libre pour assumer ses doutes sans en être déstabilisé et envoyer ses disciples demander à Jésus : « Es-tu vraiment celui que nous attendions ? » Et nous connaissons la réponse de Jésus.

          En ce temps de l’Avent, où la personne de Jean Baptiste est si présente dans la liturgie, demandons pour nous aussi la grâce d’une grande humilité, d’un détachement, d’une liberté intérieure qui nous ouvrent à la vraie joie – cette joie qui peut demeurer intacte au fond de nos cœurs malgré toutes les épreuves et les difficultés de la vie – malgré le remous des eaux à la surface de notre existence.

 

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