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Chapitre du 16 novembre 2014
Abbaye de Scourmont
Le temps supérieur à l’espace
Nous
approchons de la fin de l’année liturgique et les textes bibliques choisis pour
la Messe nous parleront de plus en plus souvent de « la fin des temps »,
comme le fait déjà l’Évangile d’aujourd’hui.
Dans son
Exhortation Apostolique Evangelii Gaudium, le pape François a une section extrêmement
intéressante sur la supériorité du temps sur l’espace. Cette section se trouve
dans le chapitre 4 de l’Exhortation, qui traite de la dimension sociale de l’évangélisation.
Il y a déjà quelque chose de tout à fait nouveau dans les textes pontificaux
dans cette façon de lier l’évangélisation à la situation sociale de l’humanité.
D’une part l’annonce de l’Évangile doit avoir un effet sur la vie des hommes en
société ; et, d’autre part, l’évangélisation se fait aussi à travers les
transformations sociales, en particulier par l’intégration des pauvres, qui ont
une place privilégiée dans le Peuple de Dieu.
Au
sein de ce chapitre se trouve une section sur le bien commun et la paix sociale
où le pape identifie quatre tensions bipolaires caractéristiques de toute
réalité sociale : a) Le temps est supérieur à l’espace ; b) l’unité
prévaut sur le conflit ; c) la réalité est plus importante que l’idée ;
d) le tout est supérieur à la partie.
On
a pu voir, lors du synode sur la famille, ce que le Pape entend lorsqu’il dit
que la réalité est plus importante que l’idée. Au cours de ce synode on a vu s’affronter
deux attitudes opposées : celle de ceux qui défendent des principes
absolus et veulent y faire se conformer la réalité et celle de ceux qui partent
de la réalité vécue par les hommes et femmes d’aujourd’hui et qui se demandent
qu’elle est l’attitude évangélique à tenir face à cette réalité.
Mais
dans le contexte de notre réflexion sur le temps, à laquelle nous invitent les
lectures bibliques de cette fin d’année liturgique, je préfère m’arrêter à la
deuxième tension mentionnée par le texte de François celle de la supériorité
du temps sur l’espace. Que veut dire le Pape par cette expression ? Pour
lui le « temps » au sens large, « fait référence à la plénitude
comme expression de l’horizon qui s’ouvre devant nous », alors que le « moment »
est « une expression de la limite qui se vit dans un espace délimité. Selon lui, le principe selon lequel le temps est supérieur à l’espace,
« permet de travailler à long terme, sans être obsédé par les résultats
immédiats. Il aide à supporter avec
patience les situations difficiles et adverses, ou les changements des plans qu’impose
le dynamisme de la réalité. Il est une invitation à assumer la tension entre
plénitude et limite, en accordant la priorité au temps. »
Selon
le Pape, l’un des péchés qui parfois se rencontrent dans l’activité
socio-politique – mais aussi, pourrait-on dire, dans la vie de l’Église et des
Communautés religieuses – consiste « à privilégier les espaces de
pouvoir plutôt que le temps des processus ». On devient « fou »,
dit-il, en tentant de prendre possession de tous les espaces de pouvoir et d’auto-affirmation ».
Il faut, ajoute-t-il, initier des processus plutôt que posséder des
espaces. Il faut « privilégier les
actions qui génèrent les dynamismes nouveaux... et impliquent d’autres
personnes et groupes qui les développeront, jusqu’à ce qu’ils fructifient en
événements historiques importants. Sans
inquiétudes, mais avec des convictions claires et de la ténacité ». François
met ce principe en relation avec la parabole du grain et de l’ivraie et la
promesse de Jésus à ses disciples que l’Esprit Saint viendra leur faire
comprendre toutes choses... plus tard.
Il
me semble que cela comporte des leçons importantes pour chacun de nous, pour
nos communautés et pour toute l’Église en ces temps qui ne sont pas sans
difficultés. La tentation est toujours de
trouver des solutions immédiates qui nous redonnent un aspect de solidité et de
pérennité assurée. La leçon du Pape est
plutôt d’initier des processus d’évolution et de se laisser guider par une
vision de la fin ultime, par une « utopie » (le Pape utilise ce mot,
qui était cher à dom Bernardo Olivera).
Dans
notre Ordre, où la plupart des monastères vivent diverses formes de précarité –
comme la plupart de nos Églises locales – et où des solutions radicales avec
des résultats immédiats bien visibles sont souvent recherchées, il y aurait
probablement lieu de nous inspirer de cet appel du Pape François à privilégier
les processus de changement.
Et
il me semble que cela peut nous aider à nous situer face à l’avenir de notre propre
communauté et de chacun d’entre nous. Nous devons nous efforcer de comprendre,
dans la prière, vers où il veut nous conduire et le laisser nous y mener.
Armand Veilleux
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