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Chapitre du 26 octobre 2014
L’amour de Dieu et du
prochain
Le thème central de la liturgie du jour est celui de l’amour, qui trouve
son point culminant dans le lien essentiel qu’établit Jésus entre les deux
commandements : celui d’aimer Dieu et celui d’aimer le prochain.
Il y a en
tout homme le besoin d’aimer et d’être aimé. Mais il y a aussi en tout homme un instinct de conservation qui provoque
facilement un repli sur soi conduisant parfois à une exploitation de l’autre.
Cela vaut pour les individus, mais aussi pour les peuples et, peut-on dire,
pour l’humanité tout entière. Périodiquement il faut que, soit des prophètes,
soit des législateurs rappellent les exigences de l’amour du prochain. C’est
sans doute là au moins en partie le sens de la parole de Jésus :
« Tout ce qui est dans la Loi et les Prophètes trouve son fondement dans
ces deux commandements ».
Mais les
structures sociales, les coutumes et mêmes les lois ne suffisent pas. Il faut toujours une conversion du coeur.
Même encore de nos jours, il y a des sociétés ou des groupes ethniques où la
solidarité du clan ou de la famille élargie est une dimension de la structure
sociale. En réalité, cette solidarité est essentielle à leur survie. Les
conditions de vie peuvent être très simples et même frugales, mais personne ne
manque de rien. Les plus faibles sont pris en charge par la collectivité. Mais
on constate en général que dès que les membres de ces groupes sortent de ce microcosme
culturel, par exemple lorsqu’ils quittent le village pour la ville, ces liens
se défont et la solidarité disparaît.
Quelque
chose de semblable se produisit en Israël après l’établissement dans la Terre
Promise. Des personnes qui avaient tout
partagé entre elles durant le temps de leur existence nomade commencèrent à
établir de petits empires privés. Des difficultés économiques résultèrent du
passage d’une économie nomade à une économie urbaine, où les individus faibles
devenaient plus vulnérables. Des étrangers, des veuves, des orphelins et de
nombreux pauvres mouraient de faim sans que personne ne vienne à leur aide. Les
règles de solidarité établies dans la Loi que Moïse avait transmise au peuple
ne fonctionnaient plus. Intervinrent alors les prophètes pour rappeler les
exigences de l’amour du prochain.
Quelque
chose de semblable se produisit plusieurs siècles plus tard, au temps de saint
Benoît. La stabilité qu’avait apportée l’Empire romain à une grande partie du
monde connu était fracassée par l’invasion et l’implantation dans l’Empire
romain de nombreuses tribus venant du Nord et de l’Est. C’est dans ce contexte que Benoît demande à
ses moines de recevoir les étrangers et les pauvres comme le Christ. C’est aussi dans ce contexte qu’il établit
une forme de vie commune qui est une expression concrète au quotidien des deux
préceptes de l’amour de Dieu et du prochain.
Il n’y a
pas lieu d’opposer la loi et l’esprit. La loi – que ce soit, dans notre cas, la
Règle de Benoît, le code de Droit de l’Église ou nos Constitutions ou même nos
règlements locaux – est là pour nous rappeler les exigences de l’amour dans
notre situation concrète. La loi tue
lorsqu’on la coupe de la source où elle a pris naissance.
Pour que
notre vie monastique soit authentique, nous devons nous interroger constamment
sur la qualité de notre amour fraternel, qui est le baromètre de notre amour de
Dieu.
Dans la
société d’aujourd’hui il y a de nombreuses formes de solidarité qui ne méritent
pas ce nom. On donne parce que le fait
de donner procure un sentiment agréable. Face à la pauvreté grandissante de secteurs de plus en plus nombreux de
la société, on organise des collectes et des campagnes de souscription pour se
donner bonne conscience – ce qui semble nous dégager de l’obligation de changer
les structures d’oppression. On peut aussi donner de son temps ou même de sa
personne parce qu’on sent le besoin de le faire, ou parce que cela procure un
sentiment agréable, sans qu’il n’y ait vraiment d’amour de l’autre. Certains sociologues parlent d’un phénomène
qui semble se généraliser et qu’ils décrivent comme « le don de soi sans
souci de l’autre ».
Cela est
possible aussi dans une communauté monastique. C’est pourquoi nous devons sans cesse nous interroger sur la qualité de
notre amour fraternel. Je puis me
dépenser sans compter pour ma communauté ; mais cela ne suffit pas. Je dois me demander sans cesse : Est-ce
que je le fait pour l’amour de mes frères ou par amour propre ? – Bien
sûr, nos intentions ne sont jamais à 100% pures ! Mais il est essentiel de
toujours tendre à la « simplicité » qui est la vertu fondamentale
vers laquelle doit tendre le moine : cette simplicité qui consiste à
n’avoir qu’une préoccupation, qu’un amour, qui est à la foi celui de Dieu et du
prochain. Et c’est dans cet amour de Dieu vécu dans l’amour du prochain que
réside le véritable amour de soi. On ne peut se donner que si l’on se possède
vraiment ; et l’on ne se possède que si l’on est une personne autonome
capable d’établir une relation d’amour avec Dieu et avec toutes les autres
personnes.
Armand Veilleux
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