Chapitre pour le 5 octobre 2014

Abbaye de Scourmont

 

 

François d’Assise et Cîteaux

 

          La fête de saint François d’Assise, que nous avons célébrée hier, le 4 octobre, et le fait que nous avons tenu notre Chapitre Général à Assise au cours du mois de septembre m’a amené à réfléchir sur la relation entre le charisme cistercien et le charisme de François d’Assise. 

 

          Nous avons tenu nos trois derniers Chapitres Généraux à Assise et, si les responsables suivent l’orientation donnée par les Capitulants de 2014, le prochain Chapitre, celui de 2017, aura lieu également à Assise. Au début, la raison d’aller à Assise était sans doute que nous y avions trouvé un endroit où l’on rencontrait toutes les facilités nécessaires à une réunion aussi large et complexe que la nôtre. Mais il y a plus. Il y a dans l’air d’Assise une fraîcheur et une beauté qui plaît à tout le monde. Et si les Cisterciens d’aujourd’hui si sentent chez eux, c’est peut-être que l’idéal de François les ramène à leurs racines. Et nous sentons probablement que nous pouvons y trouver des lumières et des pistes pour nous orienter dans la situation de fragilité que vivent la plupart de nos communautés aujourd’hui.

 

          En réalité, les relations entre l’origine de Cîteaux et le mouvement franciscain sont complexes et pleines d’enseignements.  À l’époque de la fondation de Cîteaux, au 12ème siècle, l’Église et toute la société féodale se trouvaient embarquées dans un grand mouvement de réforme qu’on appela la réforme grégorienne. Par cette réforme, l’Église se libérait de l’emprise du pouvoir civil, mais se positionnait comme un autre pouvoir face à celui-ci. Mais en même temps, et parallèlement à ce mouvement qui se situait au sommet de l’Église et de la société, se produisait dans le peuple un fort mouvement de retour à la simplicité, à la pauvreté et à la fraîcheur de l’Église primitive.  Le premier Cîteaux, celui de Robert, Albéric et Étienne et de leurs compagnons, et de l’humble petit monastère de Cîteaux, se situait tout à fait dans ce grand courant spirituel qui secouait toute l’Europe. Puis, vint la deuxième génération, celle de Bernard et de ses jeunes chevaliers, qui apportèrent beaucoup de vitalité au mouvement, mais le firent rentrer dans la foulée de la grande réforme grégorienne.  Se multiplièrent les grandes abbayes. Paradoxalement, l’idéal cistercien de pauvreté qui faisait renoncer à vivre du travail des autres, selon le système féodal, mais de son propre travail sur ses propres terres, conduisit à la création de grandes propriétés terriennes nécessaires pour nourrir de grandes communautés et construire de grands monastères.  Non seulement le système cistercien fut une réussite organisationnelle, mais contribua largement à une nouvelle relation entre la campagne et les villes et à la constitution d’une nouvelle classe bourgeoise qui allait remplacer la chevalerie. 

 

          Or, c’est précisément cette classe bourgeoise, à laquelle François renonça pour fonder sa petite communauté de frères « mineurs », lorsqu’il remit ses vêtements à son père devant l’évêque. En réalité François et les autres Ordres mendiants, revenaient à l’intuition primitive du premier Cîteaux. Depuis longtemps, nous sommes fiers des grandeurs spirituelles, artistiques, architecturales, etc. héritées du Cîteaux de la deuxième génération.  Il semble que François d’Assise, et maintenant François de Rome, nous rappellent à l’humilité, la simplicité et la ferveur du Cîteaux de la première génération.

 

          En réalité, c’est peut-être le Seigneur lui-même, qui, à travers ce qu’on appelle la « crise » de nos communautés, de notre Ordre et de toute l’Église, surtout ici en Occident, où nous avons connu tellement de gloire par le passé, veut nous ramener à la simplicité et la pauvreté évangéliques. Peut-être le Seigneur désire-t-il de toutes petites communautés ecclésiales et monastiques, fragiles mais ferventes pour reconstruire son Église.  Tout comme il a demandé à François d’Assise de reconstruire l’Église de son temps. Il y a peut-être dans l’Évangile d’aujourd’hui (« le Royaume de Dieu vous sera enlevé pour être donné à un peuple qui lui fera produire son fruit ») un message à l’Église et aux grands Ordres d’aujourd’hui.  Vouloir supprimer toutes les petites communautés fragiles pour les regrouper en de grandes communautés de nouveaux solides, puissantes bien organisées et bien visibles me semble aller à contre-courant de ce mouvement de l’Esprit et, en tout cas du message de François (les deux François).

 

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          Aujourd’hui, à Rome s’ouvre le Synode sur la famille. Dès avant son ouverture, il a fait l’objet de prises de position contrastées par des Cardinaux qui s’opposent ouvertement les uns aux autres. La chose merveilleuse est que le Pape ne semble aucunement s’inquiéter de ces débats, mais invite au contraire à un dialogue aussi ouvert que possible sur toutes les questions. Il y a là aussi un message pour nous tous.  Et je crois que l’essentiel du message de François est que ce qui est en premier ce ne sont pas les principes théoriques et les grandes idées, ce sont les personnes. Ce qui l’intéresse ce ne sont pas le « mariage » ou le « divorce », mais la personne mariée et la personne divorcée, et l’attention pastorale qu’elles sont en droit d’attendre de leurs pasteurs.  Il est facile de faire la transposition en beaucoup d’autres domaines.

 

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          Enfin, n’oublions pas dans nos prières les élections qui ont lieu aujourd’hui au Brésil, l’une des plus grandes démocraties du monde (plus de 200 millions). Là aussi se joue le choix entre une société plus attentive aux besoins des petits, dans la ligne d’Assise d’une certaine façon, et une société à la remorque de l’économie libérale qui crée les fossés entre les favorisés du système et les défavorisés.

 

   

Armand Veilleux

 

 

 

 

 

 


 

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