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Dimanche des
Rameaux
Chapitre à la
Communauté de Scourmont
13 avril 2014
La parole me réveille
chaque matin
Dans le petit livre Les
récits d’un pèlerin russe, il y a un beau passage (que je cite de mémoire)
où après avoir décrit sa pratique de la « prière de Jésus », il dit :
« Un matin, la prière me réveilla ». Il ne dit pas qu’il se mit à
prier dès qu’il se réveilla. Il dit que la prière, qui continuait en lui durant
son sommeil, le réveilla. Ce teste est probablement inspiré du passage du livre
d’Isaïe que nous avons à la première lecture de la Messe d’aujourd’hui, et que
nous venons d’entendre à Laudes : « La Parole me réveille chaque
matin, chaque matin elle me réveille » et la suite du texte est très
importante : « ...elle me réveille pour que j’écoute comme celui
qui se laisse instruire ». Et tout cela nous rappelle évidemment le
premier mot de la Règle de saint Benoît, qui décrit l’attitude la plus
fondamentale du moine : « Écoute... ». Écouter est autre chose
qu’entendre. Et la « Parole » est autre chose que des mots. Nous
entendons tout au long de la journée beaucoup de mots et de bruits. La « parole »,
la parole vraie, entre personnes humaines, est plus rare. La parole n’est pas
faite simplement pour être entendue ; elle doit être « écoutée ».
Et cela est vrai avant tout pour la Parole de Dieu, celle qu’il prononce sans
cesse en nos coeurs, qui nous donne la vie, et qui
nous réveille chaque matin, si nous y sommes suffisamment présents.
Mais ce n’est pas tout.
La Parole entendue doit être transmise à d’autres. C’était le début de la
lecture d’Isaïe que nous avons entendue à Laudes : « Dieu mon
Seigneur m’a donné le langage d’un homme qui se laisse instruire, pour que
je sache à mon tour réconforter celui qui n’en peut plus. »
Nous
allons entendre deux fois cette semaine le récit de la Passion de Jésus :
ce matin selon saint Matthieu et vendredi, selon saint Jean. Tout au long de cette
Sainte Semaine nous allons entendre aussi beaucoup d’autres textes bibliques
nous parlant des souffrances du Messie. Nous avons déjà entendu ou lu ces
textes de nombreuses fois, année après année. Si nous les lisons de nouveau ce
n’est pas simplement pour nous rafraichir la mémoire. Nous les relisons afin
que la Parole qu’ils véhiculent nous atteigne dans notre aujourd’hui tant individuel
que collectif.
Il
me semble que la première phrase du texte d’Isaïe, que je viens de citer, pourrait
nous servir de grille de lecture pour toutes nos célébrations de la Semaine
Sainte. Isaïe nous présente l’image du Serviteur de Yahvé, du juste victime de la violence et de l’oppression injuste.
Jésus, dans sa Passion, non seulement est la réalisation de cette prophétie,
mais il incarne et représente tous les justes de tous les temps, victimes de
l’ambition, de la jalousie, de la convoitise. Sa mort est la prophétie de la
mort de toutes les victimes innocentes des guerres et des oppressions de toutes
sortes. Et Pilate incarne dans sa faiblesse et ses calculs égoïstes tous ceux
qui, au long des âges, ne cessent de se laver les mains devant les injustices
qu’ils ne peuvent s’empêcher de reconnaître comme telles, mais qu’il serait
trop dérangeant de dénoncer.
Nous pouvons mettre
dans la bouche de Jésus ces paroles d’Isaïe :
Dieu mon Seigneur m’a
donné le langage d’un homme qui se laisse instruire, pour que je sache à mon
tour réconforter celui qui n’en peut plus.
Il
n’est pas rare de nos jours d’entendre des personnes dire qu’elles n’en peuvent
plus. La crise économique qui depuis plusieurs années frappe tous les pays et
qui frappe plus durement les plus faibles, est loin d’être terminée. Les
populations de nombreux pays croulent sous les mesures d’austérité, qui ne font
qu’aggraver la situation. Même près de nous le nombre des personnes réduites à
demander de l’aide en disant qu’elles n’en peuvent plus augmente sans cesse. Et
plusieurs autres n’en peuvent plus pour d’autres raisons, soit familiales, soit
religieuses.
Le Message de
l’Écriture est que Quelqu’un est venu sur notre terre pour réconforter tous
ceux qui n’en peuvent plus. Et comment l’a-t-il fait ? – En « se laissant
instruire », comme dit Isaïe, en devenant lui-même quelqu’un qui n’en peut
plus. Ce que nous révèle le récit de la Passion, ce n’est pas un Dieu
tout-puissant qui viendrait nous réconforter dans notre faiblesse. C’est au
contraire un Dieu qui n’en peut plus. Un Dieu qui ressent « frayeur et angoisse
» lorsqu’il approche de la mort. Un Dieu qui dit « mon âme est triste jusqu’à
mourir », un Dieu qui meurt dans un grand cri après avoir dit « Mon Dieu, mon
Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ». Un Dieu aussi humain qu’il est possible de
l’être et qui nous révèlera par sa victoire sur la mort que nous sommes faits
pour la Vie et qu’il y a, en nous aussi, une semence de résurrection et de vie
éternelle.
Ce
Dieu qui est en proie à la contestation, qui est trahi par l’un des siens, qui
est mis à mort pour des raisons d’ambition politique, c’est l’expression ultime
de l’Emmanuel, le Dieu avec nous, que nous avons célébré à Noël. Et
c’est sur le fait qu’il s’est montré « avec nous » dans tous les aspects de
notre vie que repose notre espérance d’être pour toujours « avec Lui ».
Armand Veilleux
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