Chapitre à la Communauté de Scourmont

17 février 2013

 

Démission du Pape

 

          Le Saint Père, Benoît XVI, a pris tout le monde par surprise cette semaine en annonçant sa démission. C’est une chose qui s’était vécue très rarement dans l’Église, et qui n’était pas arrivée depuis six siècles. La décision n’était pas totalement imprévue, d’une part parce que le droit canon de 1983 en prévoit la possibilité et, d’autre part, puisque Benoît XVI lui-même avait laissé entendre en diverses circonstances qu’il pourrait démissionner s’il jugeait qu’il n’avait plus les forces nécessaires pour remplir sa mission. La réaction, aussi bien dans l’Église que dans la presse en général, a été très positive, tout le monde soulignant à la fois le courage et l’humilité de ce geste.

 

          Au niveau de l’Église de Belgique, il y aura une messe d’action de grâce qui sera célébrée le 28 février en la cathédrale Saints-Michel-et-Gudule à Bruxelles, à 20h00, précisément au moment où se terminera le pontificat et où le pape s’envolera en hélicoptère pour Gastelgandolfo où il se reposera quelque temps avant de revenir s’installer dans le petit monastère que Jean-Paul II avait fait construire dans les Jardins du Vatican pour y accueillir une communauté de moniales contemplatives, et qui est vide depuis quelques mois. Nous nous unirons à cette prière d’action de grâce pour remercier Dieu de toutes les grâces qu’il a apportées à son Église à travers le service pontifical de Benoît XVI. Comme nous le demande l’évêque de Tournai, nous prierons aussi chaque jour à la messe et dans nos autres offices liturgiques, à partir du 1 mars pour demander à l’Esprit Saint d’éclairer et de guider les cardinaux qui auront à choisir le nouvel Évêque de Rome une dizaine de jours plus tard.

 

          Vous avez probablement tous lu le bref texte par lequel le Saint Père a annoncé sa démission aux Cardinaux qui étaient réunis en conclave pour l’annonce de trois canonisations.  J’aimerais commenter quelques phrases de ce texte qui est d’une concision et d’une clarté admirables.

 

          Benoît XVI va tout droit au sujet, sans aucun préalable. « Après avoir examiné ma conscience devant Dieu, à diverses reprises, je suis parvenu à la certitude que mes forces, en raison de l’avancement de mon âge, ne sont plus aptes à exercer adéquatement le ministère pétrinien. »

 

          Personnellement, en lisant ce texte, j’y ai tout de suite perçu une note « bénédictine ». Vous savez que lorsque le cardinal Joseph Ratzinger après son élection papale a choisi le nom de Benoît, c’était, comme il l’a expliqué lui-même alors, à cause de sa grande dévotion envers Benoît de Nursie. Natif de Bavière, où le monachisme bénédictin est très présent, il faisait régulièrement sa retraite spirituelle à l’abbaye de Scheyern lorsqu’il était encore cardinal.

 

          Quand je parle de note « bénédictine » dans la façon de s’exprimer de Benoît  XVI, c’est que je vois un parallèle avec une petite phrase du chapitre 58 de la Règle. C’est le chapitre où saint Benoît traite de la réception au monastère d’un candidat.  Pour saint Benoît il ne s’agit aucunement de rechercher des « signes » de la volonté de Dieu.  Il s’agit, aussi bien de la part du candidat que de la part de l’abbé, de discerner si le candidat comprend bien ce qu’il veut entreprendre et en est capable. On lui lit trois fois la Règle au cours d’une année, pour qu’il comprenne bien ce qu’il veut entreprendre et chaque fois on lui dit qu’il est libre de prendre la décision de rester ou de partir.  À la fin, il doit prendre lui-même sa décision finale et c’est là qu’il y a cette admirable petite phrase de saint Benoît : « habita secum deliberatione », c’est-à-dire : « ayant délibéré avec lui-même ».  Il n’y a là aucun faux mysticisme, mais un jugement éclairé consistant à bien peser la tâche à entreprendre et à examiner si on a les forces nécessaires pour l’entreprendre.

 

          Je trouve un parallèle à cela dans la petite phrase de Benoît XVI : « Après avoir examiné ma conscience devant Dieu à diverses reprises, je suis parvenu à la certitude que mes forces... ne sont plus aptes à exercer adéquatement le ministère pétrinien ». Il explique ensuite en quelques mots le poids de ce ministère dans la situation actuelle.  Cette attitude est tout l’opposé d’un faux mysticisme qui consisterait à voir ou à chercher dans les événements des « signes » de la volonté de Dieu. Il s’agit plutôt d’une décision humaine, prise devant Dieu dans une délibération avec sa conscience, et dans un examen rationnel du poids de la tâche à accomplir et des forces disponibles. S’il y a une chose qui a été présente d’une façon extrêmement constante dans la pensée de Joseph Ratzinger, depuis ses premiers écrits comme jeune théologien jusqu’à ses derniers textes comme Pape, c’est l’importance de la raison humaine dans l’acte de foi et donc aussi dans l’acte d’obéissance.

 

          Un autre élément à retenir de cette attitude c’est que, dans une telle considération, c’est la tâche à accomplir qui est première. Cela vaut pour tout office dans l’Église ou dans la vie religieuse. Aucune tâche n’est en elle-même un honneur qu’il importerait de conserver coûte que coûte.  Il s’agit d’un service, que l’on doit être disposé à remplir aussi longtemps qu’on en a la force physique et mentale et qu’on nous demande de le faire, et qu’on doit abandonner de bonne grâce dès qu’il est clair qu’on n’a plus les forces pour le remplir. Le pape vit évidemment cette décision dans une solitude exceptionnelle, puisque sa décision est finale et n’a besoin de l’acceptation de personne.  Pour tous les autres ministères dans l’Église, la démission éventuelle doit être approuvée ou non par une instance supérieure.

 

          Vers la fin du texte, Benoît XVI dit qu’il déclare « renoncer au ministère d’Évêque de Rome... qui m’a été confié par les mains des cardinaux le 19 avril 2005 ». Il avait utilisé une formule identique lors de l’acceptation de son élection. Là aussi il y a une grande clarté théologique et une confiance dans la raison humaine. Le pape n’est pas choisi directement par le Saint Esprit. Il est choisi par les cardinaux qui doivent faire un choix rationnel en pesant la tâche à accomplir et les aptitudes de chacun des candidats éventuels, priant l’Esprit Saint de purifier leur regard.

 

          Un dernier élément de ce beau texte est l’intention exprimée par le Pape de continuer à servir l’Église par la prière, c’est-à-dire une relation personnelle avec Dieu, qui n’exclue par la souffrance.

 

          Ce texte, dans sa concision, ainsi que son équilibre humain et spirituel me rappelle un autre document : le Testament de Christian de Chergé. Ce « testament » restera probablement dans les anthologies de textes spirituels un des grands écrits spirituels du 20ième siècle.  J’oserais dire que le bref texte de Benoît XVI annonçant sa démission sera retenu aussi, et probablement plus que tous ses profonds écrits théologiques.

 

Armand VEILLEUX

 


 

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