131027 – Chapitre à la communauté de Scourmont

 

 

Adaptation et inculturation (C. 70)

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C. 70                L'adaptation à la culture locale

 

Que les fondateurs aiment le lieu de leur nouveau monastère en quelque point du monde où celui-ci se trouve implanté. La vie monastique n'est liée à aucune forme particulière de culture, à aucun système politique, économique ou social. Mais les valeurs positives de la culture locale, dans la mesure du possible, doivent être reçues comme de nouvelles façons d'exprimer et d'enrichir le patrimoine cistercien.

 

 

          D’une façon générale, lorsque quelqu’un vit pour un temps ou d’une façon définitive dans un pays étranger, où beaucoup de coutumes et de traditions sont différentes de celles de son pays d’origine, il est normal qu’il s’adapte à la culture locale et adopte les coutumes de son pays d’adoption, ne fût-ce que dans la façon de se saluer, de se vêtir, de manger, etc.  C’est là une question de respect et simplement de bon sens.  Comme il est dit dans la C. 70, la vie monastique n’est liée à aucune forme particulière de culture, à aucun système politique, économique ou social.  Les moines et les moniales qui appartiennent à une culture qui a eu à une époque une grande importance géopolitique et qui peut l’avoir encore, sont facilement portés à considérer comme allant de soi ou comme des pratiques monastiques essentielles beaucoup de façons de faire tout simplement héritées de leur passé culturel.  Pour des fondateurs provenant de ces cultures, s’insérer dans une culture étrangère est une expérience parfois pénible, mais toujours enrichissante.  Cela les oblige à s’accrocher à l’essentiel et à le distinguer de l’accessoire. 

 

          Dans la rédaction de cette Constitution, on a évité à dessein d’utiliser le mot « inculturation ».  Le titre parle d’adaptation à la culture locale. L’inculturation est montrée, dans la dernière phrase, sans que le mot soit utilisé, comme une conséquence, ou comme quelque chose qui doit être reçu. 

 

          En général, dans les fondations qui ont été faites au cours des cinquante dernières années, aussi bien dans l’Ordre cistercien que dans la Confédération bénédictine, les fondateurs ont fait de très grands efforts pour s’adapter aux coutumes locales des pays où ils se sont implantés. Puis, il y a eu une période, il y a une trentaine ou une vingtaine d’années, où on a beaucoup parlé d’inculturation. Et l’on doit dire qu’en général cette préoccupation pour l’inculturation a été le fait des fondateurs européens ou américains, encore plus que des vocations locales. Il s’agissait en particulier d’adapter des coutumes locales dans la liturgie. Et ces coutumes ont été souvent transformées dans le processus.

 

          Un exemple intéressant est celui d’un instrument de musique appelé la kora. Il s’agit d’un instrument à corde répandu en Afrique de l’Ouest, en particulier au Sénégal, au Mali, en Gambie, en Guinée et en Sierra Leone. On l’appelle la harpe africaine. La caisse de résonnance est constituée par une demi-calebasse recouverte de peau de vache. Traditionnellement les quelques cordes étaient faites de nerf de bœuf.  Les moines de Keur Moussa, au Sénégal, ont fait beaucoup pour faire connaître cet instrument en Afrique et en Occident.  Ils ont remplacé les quelques cordes en nerf de boeuf par une séries de cordes métalliques comme pour une harpe ou une contrebasse, avec le même système de tension des cordes et l’accordage selon le système de gammes occidental. C’est un instrument qui donne un beau son et convient très bien pour accompagner le chant liturgique.  Mais le type de Kora actuellement utilisé dans les monastères un peu partout en Afrique et aussi en Europe, n’est plus l’instrument très simple qu’utilisaient les griots africains pour réciter leurs poèmes.  C’est un mélange de formes anciennes de l’instrument et de technique musicale occidentale...

 

          S’il est essentiel de faire dès le début d’une fondation les adaptations nécessaires, il ne faut pas parler trop vite d’inculturation. En général, lorsqu’on veut faire de l’inculturation, tous les « efforts » d’inculturation sont en réalité des efforts d’adaptation.  Ceux-ci sont importants mais ils ne sont pas encore de l’inculturation.  De plus, il ne s’agit pas, dans quelque culture que ce soit, d’assumer dans la vie monastique toutes les coutumes locales.  Il y a dans toutes les cultures, à commencer par les nôtres, ici en Europe ; de nombreux éléments qui ne peuvent être assumés dans une vie monastique, et souvent pas même dans une vie chrétienne.

 

          L’inculturation, qui est aussi nécessaire ici en Europe qu’en Amérique, en Afrique ou en Asie, est autre chose que l’adaptation à des coutumes locales.  Elle signifie le processus de transformation qui se réalise lorsque le Christianisme, ou le monachisme chrétien, entre en contact avec une nouvelle culture – ou une culture dans une nouvelle étape de son évolution (comme c’est le cas actuellement pour toutes les cultures).  Dans cette rencontre, si elle est fructueuse, le christianisme ou le monachisme chrétien acquièrent une nouvelle forme d’expression et la culture locale se trouve elle-même enrichie par cette nouvelle expression.  La véritable inculturation n’est pas quelque chose qui se planifie et se programme.  Elle est quelque chose qui se produit, qui arrive, lorsque les conditions sont réalisées ; c’est-à-dire lorsqu’il y a une vraie rencontre.  Et le premier pas vers cette rencontre et l’adaptation à la culture locale, dont il est question dans notre C. 69.2.

 

          Un bel exemple d’inculturation est Tibhirine.  Les moines y vivaient une vie cistercienne tout à fait normale. Un moine cistercien qui arrivait là de l’Europe ou de l’Amérique ou d’ailleurs n’était nullement dépaysé. Ils portaient l’habit cistercien traditionnel ; avaient la liturgie cistercienne ordinaire, en français, avec quelques chants en arabe, l’horaire cistercien ordinaire... Pour un regard superficiel ils n’étaient pas beaucoup « inculturés ».  Et pourtant ils l’étaient profondément. Ils vivaient en communion profonde avec la société algérienne qui les entouraient et dans laquelle ils étaient bien intégrés. L’Évangile inspirait cette communion et celle-ci donnait une orientation profonde distincte à leur expérience de vie monastique cistercienne. Dans leur vie de tous les jours, sans beaucoup d’adaptations extérieures, l’Évangile et la culture algérienne se rencontraient en profondeur.

 

          Cette notion d’inculturation est assez proche, sinon identique, à celle de nouvelle évangélisation dont on parle tant de nos jours. Il s’agit exactement du même processus. L’Évangélisation consiste à confronter une culture avec l’Évangile. Si cette rencontre est réussie, le résultat est une culture « évangélisée », c’est-à-dire marquée par l’Évangile.  Mais comme toutes les cultures évoluent constamment, elles doivent être constamment confrontées de nouveau avec l’Évangile. C’est ce qu’on appelle la nouvelle Évangélisation (qui ne consiste pas en de nouveaux trucs).

 

          Cette nouvelle Évangélisation est nécessaire sans cesse et partout. D’autant plus que chaque fois que l’on rencontre des problèmes sérieux dans une communauté, que ce soit en Afrique, en Europe, en Amérique ou en Asie, la source de ces problèmes n’est pas, en général, dans un manque d’adaptation à des coutumes extérieures.  La source de ces problèmes est toujours dans la perte de valeurs évangéliques ou dans l’insuffisant enracinement dans ces valeurs.

 

 

Armand VEILLEUX

 

 

 


 

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