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Chapitre du 8 septembre 2013
Abbaye de Scourmont
Sollicitude pastorale
(Cst. 59)
Après un long chapitre sur l’entrée dans la communauté, avec ses phases
progressives d’engagement et sur la formation, vient, logiquement un chapitre
sur la sortie. Le droit doit en effet prévoir tous les cas de figure. On entre
en communauté afin de s’y fixer pour la vie ; mais certains départs sont
inévitables. Il y a tout d’abord les
départs tout à fait normaux durant le postulat et le noviciat. On sait comment
saint Benoît recommande de dire au candidat à diverses reprises durant l’année
de noviciat : «Voici la Règle sous laquelle tu veux vivre ; si tu es capable de t’y conformer entre ;
sinon tu es libre de partir ». L’engagement
par les vœux, à la fin du noviciat, doit être un engagement bien muri et tout à
fait libre. Le noviciat est un temps qui est donné pour faire un bon
discernement de la volonté de Dieu sur soi.
Chez
Benoît, après l’année de probation, le premier engagement était définitif et
pour la vie. Selon le droit canonique
universel, de nos jours, il y a toujours, dans toute forme de vie consacrée,
une période d’engagement provisoire qui précède l’engagement définitif. Cela a
pour but de poursuivre, durant toute cette période, le discernement. Il va sans dire qu’au terme de cette période
d’engagement provisoire, le candidat est totalement libre de partir.
Ce
chapitre de nos Constitutions traite aussi des diverses formes d’absence
provisoire du monastère, du passage éventuel à un autre monastère ou à un autre
Ordre religieux et, s’il faut en arriver là, à la séparation définitive d’avec
la communauté.
La Cst.
59, qui sert de chapeau à tout ce chapitre, a comme titre « La sollicitude
pastorale ».
L'abbé
suit avec une sollicitude pastorale ceux qui quittent le monastère. Avant tout
il agit avec désintéressement, ayant en vue tant le bien de celui qui part que
le bien de la communauté.
Avant toute considération juridique
et matérielle, il y a ici l’affirmation de la responsabilité pastorale à l’égard
de quiconque a été accepté dans la communauté, même lorsqu’il décide de partir –
ou doit être amené à partir, parce qu’il n’est pas dans sa vocation – et encore
après son départ. Avant même d’être une exigence de la responsabilité pastorale
et de la charité chrétienne, il y a là une exigence humaine fondamentale :
toute relation humaine implique une responsabilité mutuelle. Dès qu’on a laissé
quelqu’un entrer dans notre vie, que ce soit au niveau personnel ou au niveau
communautaire, on a assumé à l’égard de cette personne une responsabilité.
Lorsqu’un novice pense à quitter la
communauté, le père maître et l’abbé ont la responsabilité de l’accompagner
dans son discernement. Il n’est pas rare malheureusement, que la personne en
question décide de faire son discernement seul et n’en parle que lorsque sa
décision est déjà prise. Que la décision
de partir ait été prise unilatéralement ou qu’elle ait été le résultat d’un
discernement fait ensemble, il y a de la part de la communauté, et tout
spécialement du père maître et de l’abbé la responsabilité de faire en sorte
que ce départ se fasse dans la sérénité et la paix. Il importe que celui qui
part voie son séjour au monastère comme une étape dans son cheminement le
menant vers autre chose et non comme un échec. Cette attention pastorale est encore plus essentielle lorsqu’il faut
demander à quelqu’un de partir, même s’il ne le veut pas, par ce qu’il apparaît
clairement qu’il n’est pas à sa place.
Le texte de la Constitution parle de
« désintéressement » et dit que l’abbé doit avoir en vue « le
bien de celui qui part et le bien de la communauté ». On peut penser à
plusieurs situations où cette exigence de désintéressement s’applique. Dans une
période où les vocations sont rares, s’il se présente un candidat ayant de
grandes qualités humaines et spirituelles, il peut être tentant de s’efforcer
de le garder, même s’il devient de plus en plus clair qu’il est fait pour autre
chose et qu’il ne sera pas heureux et ne s’épanouira pas dans notre genre de
vie. S’efforcer de le garder, même s’il veut partir, serait aller aussi bien
contre son bien que contre celui de la communauté, car tout en rendant des
services nécessaires à la communauté il deviendrait pour celle-ci un poids, s’il
n’est pas dans sa vocation. Il peut
arriver aussi que soit l’abbé soit le père maître ait développé un lien
spirituel profond avec un candidat de grande valeur humaine et
spirituelle. Il faut savoir même alors
juger objectivement de ce qui est bon pour la communauté et pour le candidat, d’une
façon désintéressée.
Cette exigence de sollicitude
pastorale est encore plus nécessaire dans les cas où c’est un profès temporaire
ou même un profès solennel qui passe à travers une crise vocationnelle. Il faut
s’avoir l’accompagner pastoralement dans ce discernement – en espérant qu’il
accepte cet accompagnement. Et si le discernement conduit à la décision de
partir, il faut faire tout pour que ce départ ne soit pas une expérience
destructrice mais le passage positif à une autre étape de vie. Et, en beaucoup
de cas, il sera utile de maintenir des liens même lorsque la nouvelle étape
sera commencée.
Cette attention pastorale implique
une certaine responsabilité matérielle. C’est l’objet du deuxième numéro de
cette Constitution :
Ceux qui
partent ou sont renvoyés ne peuvent rien réclamer du monastère pour les
services qu'ils ont rendus. L'abbé cependant observe à leur égard les normes de
l'équité et de la charité évangélique.
Les deux aspects sont aussi importants
l’un que l’autre. La vie monastique est une vie de service commun. On ne peut
réclamer de « droits » sur des services rendus. On ne peut pas dire :
« la communauté me doit tant pour les services que j’ai rendus en tel ou
tel domaine ». Par ailleurs, la
communauté ne peut oublier ses devoirs de charité et de justice à l’égard de
celui qui part. Il ne s’agit pas de faire un calcul disant qu’on donnera « tant
par années de service », mais de s’assurer que la personne qui part peut
bien réintégrer la vie dans le monde. Tout dépendra de l’âge, de la formation
reçue, des possibilités de poursuivre des études ou de trouver un emploi.
Comme il convient de respecter les
exigences de la justice et donc du droit, un bref statut rappelle à l’abbé l’obligation
de se tenir bien informé des lois sociales du pays :
ST 59.2.A
Pour
assurer tant le bien de ceux qui partent ou sont renvoyés que celui de la
communauté, l'abbé devra être bien informé des lois sociales en vigueur dans la
contrée où se trouve le monastère.
Évidemment, dans une communauté, on
désire qu’il n’y ait jamais de départ soit de postulants, soit de novices, et
encore moins de profès. Mais, dans la vie concrète, cela arrive. Je crois qu’on peut dire qu’un des indices de
la qualité de la vie communautaire d’un groupe religieux réside dans la façon
dont ces départs sont gérés et de la relation maintenue avec ces personnes
après leur départ.
Armand Veilleux
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