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Chapitre du 1 septembre 2013
La formation continue
(C. 58)
La
dernière Constitution de la longue section sur la formation traite de la formation
continue. Cette expression peut avoir deux sens. Il y a un sens plus
profond et plus spirituel qui est le principe fondamental de notre Ratio (ou
document sur la formation), à savoir que la formation est tout d’abord un
processus de transformation à l’image du Christ, qui doit durer toute la vie.
Mais dans ce processus, nous avons besoin de diverses formes d’aide auxquelles
on donne plus généralement le nom de formation.
Chaque
fois que l’on parle de formation, j’aime à souligner qu’elle comporte deux
aspects : le premier est l’intégration et le second est l’information.
Le processus d’intégration consiste à bien intégrer tout ce que je vis, toutes
les expériences de ma vie quotidienne, à me laisser transformer par elles. Pour
que cela se réalise de façon harmonieuse, je dois comprendre ce que je
vis. J’ai donc besoin de recevoir de l’information. On réserve malheureusement souvent le nom de
formation à cette seconde partie : à l’enseignement ou à l’étude. C’est
une partie importante, mais ce n’est qu’une partie de cette réalité complexe.
Aucun de
ces deux aspects de la formation ne cesse avec la fin du noviciat, ni même avec
la profession solennelle. Lorsqu’on
parle de « formation continue », on ne doit pas simplement penser à
des conférences ou cours occasionnels, ou à des sessions de recyclage (qui ont
leur importance), mais à la continuation, tout au long de la vie, de ces deux
aspects du processus de transformation.
La
première phrase de la Constitution 58 est belle : « Après la
profession solennelle et tout au long de leur vie, les frères ont à s’instruire
de la ‘philosophie du Christ’ ». Cette expression « philosophie du Christ » est empruntée à
saint Bernard (Sermon 43,4 sur le Cantique des Cantiques) : « Voilà
ma philosophie la plus subtile, la plus secrète : connaître Jésus et Jésus
crucifié ».
Le reste
du texte de cette Constitution dit qu’une formation continue, c’est-à-dire des
aides pour la réaliser, est offerte à toute la communauté et à chacun des
frères. Chacun est responsable de poursuivre sa formation tout au long de sa
vie. Des aides nous sont offerts, mais il appartient à chacun de les utiliser.
La « formation » ou l’enseignement (ou l’accompagnement) que l’on
reçoit durant le noviciat et les voeux temporaires,
dans le domaine des études en particulier, a comme l’un de ses buts de nous
donner une « méthode » qui nous servira toute la vie. Dans le domaine
des « études », le plus important est d’apprendre, dès les premières
années, à étudier par soi-même, utilisant tous les instruments qui sont mis à
notre disposition. Beaucoup des moines qui ont marqué notre Ordre au cours du
20ème siècle, par des travaux scientifiques de première valeur en
plusieurs domaines s’étaient formés par eux-mêmes au sein de leur monastère
(parfois, mais pas toujours, après avoir acquis une méthode de travail
scientifique par des études universitaires).
La formation
continue de la communauté dans son ensemble, consiste tout d’abord en tout ce
que nous entendons et vivons dans la liturgie. Elle consiste dans les lectures
entendues en commun, que ce soit les lectures au cours de la liturgie, comme
celles du réfectoire. Le fait d’entendre ensemble, jour après jour, comme
communauté, les mêmes lectures concoure grandement à former un esprit
communautaire. Cela ne veut pas dire que
chacun doit être d’accord avec tout ce qui est lu. Il ne s’agit pas d’un processus de lavement
de cerveau. Mais c’est l’occasion donnée
à tous et à chacun, dans son individualité, de réagir intérieurement aux mêmes
informations et aux mêmes valeurs exprimées à tous en même temps.
Cette
formation continue de toute la communauté comporte l’enseignement de l’abbé,
comme aussi des conférences ou sessions occasionnelles sur des sujets
bibliques, liturgiques, patristiques, théologiques ou autres. Mais ce ne sont pas ces cours ou conférences
qui constituent la « formation continue ». Ce ne sont que des aides
destinées à soutenir l’effort que chacun doit faire pour se laisser constamment
transformer. S’il n’y a pas cet effort
personnel, à la fois spirituel et intellectuel, il n’y a pas de formation
continue.
Comme nous
sommes des êtres rationnels, nous avons besoin de comprendre ce que nous vivons. Une vie spirituelle équilibrée et éclairée
demande donc aussi une formation intellectuelle, qui ne devra évidemment pas
être nécessairement la même pour tous. Mais tous doivent, chacun à sa façon,
continuer d’étudier tout au long de leur vie. Si l’on veut profiter des conférences occasionnelles qui nous sont
données et non pas vivre celles-ci comme de simples distractions intéressantes,
il faut maintenir un intérêt, une curiosité bien vivante. En général, il est
bon de développer un intérêt personnel pour tel branche de la théologie, tel
aspect de l’Écriture, tel auteur spirituel ancien ou moderne, et l’approfondir
en utilisant tous les moyens qui sont à notre disposition, en particulier une
bonne bibliothèque. Plusieurs des
anciens moines de Scourmont nous ont laissé un bel exemple en ce domaine. Je
pense en particulier à Père Robert, qui tout au long d’une vie très active
comme cellérier a développé une connaissance approfondie des oeuvres du Cardinal Newman et de Simone Weil.
Un autre
aspect de la formation continue mentionné brièvement dans cette Constitution et
développé un peu plus dans notre Ratio, et celui de la formation technique
et professionnelle. Tous les travaux que
nous avons à accomplir au sein de la communauté doivent l’être d’une façon non
seulement sérieuse mais, pourrait-on dire, professionnelle. S’il s’agit d’un
travail technique, il est important de bien posséder cette technique. Là aussi nous avons l’exemple d’anciens
moines de Scourmont. Le succès de la
brasserie de Chimay après la deuxième Guerre Mondiale a été dû à ce que Père
Théodore, après avoir fait un doctorat en théologie à Rome, s’est appliqué avec
la même rigueur scientifique, en se faisant aider par des spécialistes, à
développer cette industrie d’une façon scientifique et professionnelle. Il y a
souvent la tentation chez les moines et les moniales de considérer le travail
comme un passe-temps et l’on considère comme « travail monastique »
un type de travail qui ne demande pas beaucoup d’efforts intellectuels
rigoureux afin de laisser l’esprit libre pour la méditation ou la prière. C’est une erreur. Lorsqu’on travaille, c’est en étant
intensément présent à ce qu’on fait, en le faisant avec rigueur, que l’on
rencontre Dieu, puisqu’on participe alors à l’activité créatrice de Dieu. De
toute façon, de nos jours, il est impossible à une communauté monastique de
gagner sa vie par son travail, si ce n’est à travers un travail accompli de
façon rigoureuse et professionnelle, qui demande, au moins de la part de ceux
qui le dirigent, une formation technique et professionnelle sérieuse. De solides connaissances de gestion sont
aussi absolument nécessaires – qui manquent souvent dans nos communautés
monastiques.
Tout au
long de notre vie, nous n’avons jamais fini de nous connaître nous-mêmes, de
connaître Dieu, de nous laisser transformer par sa grâce, de pénétrer plus
profondément dans la connaissance de la Vérité et de toutes les voies par
laquelle cette vérité vient à nous : la Bible, la Liturgie, la Tradition,
l’histoire, le patrimoine de notre Ordre, les événements contemporains de l’Église
et de la Société. L’ouverture à toutes ces sources de « connaissance »
(au sens le plus profond du mot connaissance), implique un effort « technique »
indispensable. C’est un prix à payer.
Voilà
autant d’aspects de la réalité que l’on appelle « formation continue ».
Armand VEILLEUX
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