25 août 2013

Chapitre à la Communauté de Scourmont

 

 

Quelques souvenirs sur Dom Ambrose Southey

 

          Hier après-midi, je suis allé à l’abbaye d’Orval pour participer aux funérailles de Père Alain, avec qui j’avais été étudiant à Rome il y a une cinquantaine d’années. Au sortir de cette célébration, je recevais un message de la Maison Généralice m’annonçant le décès de Dom Ambrose Southey, ancien abbé Général et ancien Supérieur ad nutum de Scourmont. Ce matin, au lien de mon « chapitre » habituel, je voudrais simplement rapporter quelques souvenirs personnels de Dom Ambrose.

 

          Dom Ambrose est une personne pour qui j’ai toujours eu un profond respect, et qui a été très important dans ma vie personnelle, à plusieurs moments.  L’impression que j’en ai toujours gardée est celle d’un homme d’une très grande liberté, sans ambition et sans calcul. Parce qu’il avait une grande sécurité personnelle, il n’était jamais déstabilisé par les événements autour de lui ou les personnes devant lui. Lorsque quelqu’un exprimait une opinion ou décrivait une situation, même si la personne pouvait le faire d’une façon agressive ou démesurée, il savait toujours saisir la part de vérité dans ce qui était dit et oubliait le reste. Sa relation avec la personne ne s’en trouvait nullement altérée.

 

          C’était un homme qui avait compris que le service est une dimension essentielle de la vie chrétienne et de la vie monastique.  Il a toujours accepté de servir, sans jamais s’identifier à la fonction qu’il remplissait. Au Chapitre de 1974, où Dom Ignace Gillet donnait sa démission, on rédigea tout d’abord une description du rôle de l’Abbé Général et la question se posa de savoir si l’Abbé Général devait être élu pour une période déterminée de six ans ou pour une période indéterminée.  Dom Ambrose et moi étions dans la même commission, et nous pensions que les arguments qu’on pouvait avancer en faveur d’un mandat d’une durée indéterminée pour l’abbé local ne valait pas pour l’Abbé Général et qu’un mandat déterminé de six ans, renouvelable, était préférable.  Le vote donna un résultat identique à celui de 1969 sur la même question : à savoir, qu’une bonne majorité des Capitulants désiraient un mandat temporaire, mais qu’on n’avait pas la majorité des 2/3 nécessaire pour modifier la loi.  Lorsque Dom Ambrose fut élu, pour un temps indéterminé, il déclara tout de suite, que par respect pour la majorité des Capitulants, il se soumettrait au vote de ceux-ci au bout de six ans. Il voulut en effet le faire au bout de six ans, mais tout le monde lui demanda de continuer.  Il voulut de nouveau le faire au bout de 12 ans, mais on lui demanda de rester en fonction jusqu’à la fin du travail sur les Constitutions. Ce qu’il fit ; et en 1990, au Chapitre qui suivit l’approbation de nos nouvelles Constitutions, il donna sa démission.

 

          Un petit événement qui se produisit alors montre bien toute la liberté et toute la cohérence de Dom Ambrose.  Peu après le Chapitre de 1990, où j’avais été élu Procureur Général, je reçus un appel téléphonique de Dom Victor Dammertz, osb, qui venait tout juste de quitter sa fonction comme Abbé Primat de la Confédération bénédictine, et que je connaissais bien pour avoir travaillé avec lui au sein de l’AIM. Ce dernier avait été pressenti par la Congrégation des Religieux (la CIVCSVA) pour y remplir une fonction importante, mais il avait aussi été pressenti par la Secrétairerie d’État pour devenir évêque d’Augsburg, en Allemagne.  La Congrégation des Religieux lui demandait alors d’indiquer quelqu’un qui pourrait remplir la fonction qu’on avait pensé lui confier et il me demandait des suggestions. J’ai proposé Dom Ambrose, et nous nous sommes mis d’accord que je le contacterais.  Lorsque j’ai téléphoné à ce dernier, le soir même, sa réponse fut très révélatrice de l’homme.  « Je vais en parler à mon abbé », dit-il. Pour Dom Ambrose, même s’il avait été seize ans Abbé Général, il était évident qu’une fois terminé ce service il était redevenu simplement un moine « sous une règle et un abbé ». Le lendemain il me rappela pour me donner sa réponse. « Après plusieurs années de voyages et de vie en dehors de mon monastère, dit-il, j’ai donné ma démission pour reprendre une vie monastique normale au sein de ma communauté ; il ne serait ni logique ni cohérent de repartir tout de suite pour aller travailler dans une Congrégation à Rome ». Grande cohérence !

 

          Dom Ambrose n’était aucunement intéressé à devenir un membre important de la Congrégation des Religieux. Mais il ne refusait pas de servir. Trois ans plus tard, il accepta de devenir Supérieur ad nutum de Bamenda, un monastère qu’il avait fondé 30 ans auparavant et qui lui tenait à coeur. Dès son retour de Bamenda il vint remplir le même service à Scourmont. Il avait d’abord accepté pour un an. Au bout d’un an on lui demanda de continuer.

 

C’est à ce moment-là que je le rencontrai de nouveau. D’abord à la Synaxe cistercienne à Cîteaux du 17 au 19 mars 1998. Nous quittâmes ensemble cette réunion un peu avant la fin, pour nous rendre ensemble au Nigéria pour la béatification de Cyprien Tanzi dont il avait été l’abbé.  Là aussi je constatai sa grande humilité.  Au cours de ces célébrations, alors qu’il était la personne de l’Ordre la plus connue et celle qui avait le mieux connu Tanzi, c’est moi qui, au moins dans les cérémonies les plus officielles, était le représentant officiel de l’Ordre. Cela ne fit jamais le moindre problème, car il n’avait aucune susceptibilité.

 

C’est durant les longues heures de vol, au cours de ce voyage, qu’il me parla de Scourmont et de son désir d’être remplacé comme Supérieur ad nutum. Il s’y plaisait et la communauté était satisfaite de son service, mais il trouvait que, pour la stabilité de la communauté, qui venait de changer plusieurs fois de supérieur, il était important d’avoir sans trop tarder un supérieur plus jeune qui pourrait y demeurer un bon nombre d’années.  L’idée que je sois nommé pour le remplacer fut évoquée alors ; mais ni lui ni moi n’en parlèrent à personne durant les mois qui suivirent. C’est plusieurs mois plus tard que Dom Ambrose souleva de nouveau la question et que je fus amené à démissionner comme Conseiller et Procureur Général pour venir à Scourmont comme Supérieur ad nutum. Mais Dom Ambrose ne refusait pas de servir et accepta de rester à Scourmont deux ans comme Maître des novices.  Par la suite, il servira de nombreuses années comme aumônier chez les moniales de Vitorchiano, avant de retourner terminer calmement sa vie au sein de sa communauté de Mount Saint Bernard.

 

Beaucoup d’autres choses pourraient être racontées sur ses années de service au sein de l’Ordre, d’abord comme Vicaire Général sous l’abbatiat général de Dom Ignace, au cours desquelles il démontrant de grandes qualités de diplomatie en même temps qu’une grande charité ; ensuite comme Abbé Général. Mais ce sera pour une autre fois.

 

Un bel exemple de vie monastique accomplie !

 

Armand VEILLEUX

 

 

 


 

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