|
|
||
|
|||
Chapitre du 11 août
2013
Abbaye de
Scourmont
Du passage de la profession temporaire à la profession solennelle
(commentaire des Const. 53
à 56)
Nous avons
vu, dimanche dernier, ce que nos Constitutions disent du noviciat et du passage
à la profession temporaire. Les numéros
suivants parlent du passage de la profession temporaire à la profession
solennelle.
Je
rappelle la structure de nos Constitutions qui partent du principe que la vie
monastique consiste à se donner au Christ et de ne rien préférer à l’amour du
Christ. La première partie décrivait les principaux aspects spirituels de cette
vie à la suite du Christ. Cet engagement se vit au sein d’une communauté. C’est
pourquoi la seconde partie traite de l’entrée progressive dans la communauté.
Même si une vision spirituelle sous-tend toute cette section, il ne s’agit pas
ici d’un traité spirituel sur la vie monastique, mais de règles qui déterminent
les droits et les devoirs de chacun et qui décrivent comment on acquiert ces
droits et comment chacun doit remplir ses devoirs.
Après
avoir vu comment quelqu’un est admis à la profession temporaire, il y a une
Constitution (C. 53) qui décrit en quelques mots en quoi consiste la formation
durant cette période. La Ratio ira
beaucoup plus dans les détails, mais ici l’essentiel est dit :
C. 53 La formation des profès à vœux temporaires
La formation monastique se
poursuit pendant le temps des vœux temporaires. Le programme de cette formation [Ratio institutionis] est élaboré pour les nouveaux profès afin que, de
plus en plus, ils entrent dans la connaissance du mystère du Christ et de
l'Église ainsi que dans celle du patrimoine cistercien et qu'ils s'efforcent de
les faire passer dans leur vie. On veille à ce que les charges et les
occupations confiées aux profès à vœux temporaires ne mettent pas obstacle à
cette formation.
ST 53.A
Les profès à vœux temporaires
peuvent rester un certain temps au noviciat ou dans quelque autre partie
spéciale du monastère. L'abbé veille à ce que l'aide dont ils ont besoin leur
soit accordée selon les possibilités du monastère.
Il ne s’agit donc pas, ici, de
décrire un « programme de formation », qui sera décrit dans la Ratio et qui pourra varier grandement
selon les circonstances de lieus et de personnes. Il s’agit de préciser la
nature et le but de cette période de formation. Il s’agit d’ « entrer dans la connaissance du mystère du Christ et
de l’Église du Christ et de l’Église ainsi que dans celle du patrimoine
cistercien » et de « s’efforcer de les faire passer dans sa
vie ». Entrer dans la connaissance
du mystère du Christ et de l’Église est une réalité qui se fera différemment
selon l’âge et la formation antérieure. Cela se fera différemment pour un jeune
qui sort de l’école et qui est arrivé au monastère avec un minimum de formation
catéchétique et pour quelqu’un qui est docteur en théologie. Mais pour tous, quels que soient l’âge et la
formation intellectuelle et spirituelle antérieure, il est toujours possible et
nécessaire d’entrer plus profondément dans la connaissance du mystère du Christ
et de l’Église », qui n’est pas seulement, ni d’abord, une formation
intellectuelle, mais une formation du coeur.
Par ailleurs, tous seront dans une
situation plus ou moins semblable en ce qui concerne l’entrée dans
« la connaissance du patrimoine
cistercien ». En quoi consiste ce patrimoine cistercien ? – Nous
pouvons trouver une réponse à cette question dans l’Avant-propos des Constitutions où, après une brève vue générale de
l’histoire de l’Ordre, il est dit : « La vie et les labeurs de tant de frères et de sœurs ont donné naissance
à un patrimoine spirituel solide, qui a trouvé son expression aussi bien dans
les écrits, le chant, l'architecture et l'art que dans la saine gestion de
leurs domaines. » Il s’agit donc d’un patrimoine spirituel qui se
découvre en étudiant les diverses réalités dans lesquelles il a trouvé son
expression. Ce sont d’abord les écrits de nos pères cisterciens, et aussi des
cisterciens de tous les siècles. Ce sont aussi les expressions de ce charisme
spirituel dans le chant propre à notre Ordre, dans l’architecture et l’art. Et
finalement est aussi nommée « la saine gestion des domaines
matériels » qui est aussi l’expression d’une spiritualité. C’est une chose
qu’on oublie souvent et qu’il est peut-être urgent de rappeler de nos jours.
Dans la période où nous vivons où la gestion de l’économie est devenue très
difficile dans la plupart des pays, il n’est pas inutile de rappeler qu’une
saine gestion matérielle fait partie du génie et du patrimoine de notre Ordre.
Mais,
attention ! le texte de la Constitution 53, que je commente, ne dit pas
seulement qu’il faut, durant le temps des voeux temporaires, entrer dans la connaissance du mystère du Christ et de l’Église et
dans celle du patrimoine cistercien, mais qu’il faut s’efforcer « de les
faire passer dans sa vie ». Et cela
n’est jamais terminé. Et c’est dans la mesure où l’on jugera que ce
« passage dans la vie » se réalise qu’on pourra permettre à quelqu’un
de s’engager à le poursuivre pour le reste de sa vie, par la profession
solennelle.
Comme pour
la profession temporaire, la Constitution 54 rappelle, pour la profession
solennelle, que c’est le candidat qui doit faire lui-même sa demande à
l’abbé ; qu’il doit la faire en toute liberté, après avoir mûrement
réfléchi et après avoir pris conscience de la gravité de l’acte qu’il s’apprête
à poser.
Au terme de la période des vœux temporaires, après avoir mûrement réfléchi
et pris conscience de la gravité de l'acte qu'il s'apprête à poser, le frère,
en toute liberté, présente à l'abbé sa demande en vue de la profession
solennelle. Si celui-ci le juge apte, il l'y admet avec le consentement du
chapitre conventuel. La profession solennelle peut être anticipée pour une
juste cause, mais pas au-delà d'un trimestre. Les conditions de validité pour
la profession solennelle sont énumérées au canon 658 du CIC.
De même, comme pour la profession
temporaire, c’est l’abbé qui a la responsabilité d’appeler à la profession
solennelle, mais pour le faire, il doit avoir reçu le
« consentement » de chapitre conventuel.
Il y a quand même une différence
très importante, qu’il n’est pas toujours facile de faire comprendre aux
communautés et aux supérieurs. Même si,
pour des raisons de discernement et de prudence, l’Église a introduit une période
de voeux temporaires, qui sont normalement suivis par
un engagement définitif, l’engagement du profès doit être dans son coeur un
engagement définitif, un don de soi sans réticence. Et cet engagement lui donne
déjà un droit important. Le code de droit canon exprime ce droit dans une
formule lapidaire. Il dit qu’à la fin des voeux temporaires, le profès, s’il est jugé apte (idoneus) à la vie monastique doit être admis à la profession
solennelle ; et s’il n’est pas jugé apte, il doit être renvoyé. Il y a
aussi la possibilité de prolonger les voeux temporaires si un temps plus long de formation et de discernement est
nécessaire.
Ceci est très important. Ceci veut dire qu’au moment de voter pour
accepter quelqu’un à la profession, la seule question qui se pose est
« est-il capable de vivre la vie monastique ? ». Le Père Torrès de la Congrégation des Religieux – un très grand
canoniste -- que je consultais un jour à ce sujet me répondait par cette
formule très forte : « par sa profession temporaire quelqu’un a
acquis le droit de faire sa profession
solennelle, à moins qu’au terme des voeux temporaires
il ne soit juger inapte à la vie monastique ». Il serait donc injuste de refuser quelqu’un pour
des raisons communautaires non liées à la personne du profès ou de la professe.
Dans notre Ordre nous faisons des voeux « solennels » qui ont une portée juridique
plus grande que celle des voeux « perpétuels » mais non « solennels ». Ce n’est pas du tout
une question de solennité dans le rituel de la profession. En ce qui concerne les biens matériels, le
profès solennel non seulement renonce à en posséder, mais perd la capacité
juridique d’en acquérir et d’en posséder. La Constitution 55 décrit donc qu’il
doit, un peu avant sa profession solennelle, donner tous ses biens aux pauvres
ou en disposer autrement. Il devra aussi faire un testament. À ce moment-là, il
est totalement libre de donner ses biens à qui il veut, et les Constitutions
lui suggèrent même de les donner aux pauvres. Mais après sa profession solennelle, tout ce qu’il acquerra selon le
droit civil appartiendra à la communauté. Évidemment, s’il s’agit, par exemple, d’un héritage familial, la
communauté pourra décider que cela retourne à la famille ou à des membres
nécessiteux de la famille ; mais ce ne sera pas le profès solennel
lui-même qui pourra prendre cette décision.
Armand VEILLEUX
|
|
||
|
|||