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5 mai 2013 – Chapitre à la communauté de Scourmont
L’obéissance mutuelle (RB 71)
Au début de sa Règle Benoît avait dit
qu’il l’écrivait pour ceux qui voulaient « retourner à Dieu par le
labeur de l’obéissance » (Prol. 2-3) et au chapitre 5 (v. 2) il avait
dit que celle-ci est le propre de ceux « qui ne préfèrent rien au
Christ ». Cette obéissance qui
est toujours une obéissance à Dieu, mais qui utilise diverses médiations, n’est
pas seulement due à ceux qui exercent divers services d’autorité en communauté. Selon Benoît cette obéissance à Dieu, cette
« bonne chose qu’est l’obéissance » (oboedientiae bonum)
s’exerce également lorsque les frères s’obéissent mutuellement, sachant que
c’est par cette voie de l’obéissance qu’ils iront à Dieu Le chapitre 71 de la Règle, intitulé
précisément « L’obéissance mutuelle (ou réciproque) » est la plus
belle expression du sens profondément communautaire de Benoît.
En cela Benoît dépend de la tradition
monastique antérieure, et spécialement de saint Basile, qui voit dans cette
obéissance réciproque une forme de service et donc une expression d’amour
mutuel, citant le texte de la lettre de saint Paul aux Galates (5,13) : Par l’amour, mettez-vous au service les uns
des autres. Même Cassien, malgré son orientation nettement érémitique, voir
dans cette obéissance mutuelle un expression de l’amitié
qui doit unir les frères les uns aux autres.
Voici les deux premiers versets de ce
chapitre de la RB 71 :
Cette bonne chose qu’est l’obéissance,
ce n’est pas seulement envers l’abbé que tous l’exerceront, mais les frères s’obéiront
mutuellement,
sachant que,
par cette voie de l’obéissance, ils iront à Dieu.
Cette obéissance ne consiste pas
tellement à accomplir des ordres ou des commandements, mais avant tout en un
profond respect de l’autre, et, plus spécifiquement dans une « écoute »
de l’autre – ce que signifie le verbe latin oboedire. C’est pourquoi Benoît, toujours conséquent
avec lui-même, dit que les plus jeunes obéiront à leurs plus anciens, étant
bien entendu qu’il s’agit de l’ancienneté correspondant au rang d’entrée en
communauté et non de celle correspondant à l’âge. Ainsi, tous, sauf le tout dernier entré en
communauté, ont quelqu’un de plus jeune qu’eux et d’autres plus anciens qu’eux.
Cette écoute mutuelle est nécessaire
dans tous les aspects de notre vie communautaire, mais tout spécialement durant
l’Office Divin. Déjà d’un point de vue purement humain et technique une telle
écoute est nécessaire. Aucune chorale ou aucun orchestre ne peut offrir une
prestation respectable si tous les chantres et tous les musiciens ne sont pas
totalement attentifs les uns aux autres. Évidemment, notre Office Divin n’est
pas un concert ; nous ne sommes pas là pour donner un spectacle ;
nous sommes là pour louer Dieu ensemble, en communauté. Raison de plus pour tout faire, encore plus
qu’une simple chorale ordinaire, pour que notre célébration exprime un seul
coeur (et non seulement un seul choeur), une seule
voix, une seule âme. Pour cela il faut s’écouter constamment les uns les autres
et non seulement chanter chacun à sa façon les uns à côté des autres. Et cela exige aussi le respect de ce qui, à
ce moment, est notre « règle commune », c’est-à-dire le texte et la
musique (notes, rythme, etc) qui sert de support à
notre prière commune. Respecter les paroles, les notes, la longueur des notes,
les silences, le rythme, etc. est, à ce moment-là une exigence de notre obéissance monastique, et non seulement un
ensemble de moyens techniques.
L’obéissance mutuelle – dans tous les
aspects de notre vie communautaire -- ne se fait pas nécessairement sans heurt
ni tension. C’est pourquoi, après les
cinq premiers versets de ce chapitre 71 de la RB, qui traitent de cette
obéissance, annoncée dans le titre du chapitre, les quatre versets suivants
traitent de l’attitude à tenir lorsque l’ancien fait un reproche ou encore est
lui-même indisposé. Dans ce cas, celui
qui reçoit le reproche ou la correction fait satisfaction en se jetant au pied
de l’ancien jusqu’à ce que celui-ci ayant prononcé une bénédiction s’en trouve
guéri. C’est en effet le trouble – la commotio – de l’ancien qui a besoin d’être guérie (usque dum benedictione sanetur illa commotio).
Ce texte est très beau. Si on le lit superficiellement et rapidement,
on a l’impression qu’il s’agit simplement d’un exercice de pouvoir et
d’autorité de la part de l’ancien et d’un geste d’humiliation de la part du
plus jeune. En réalité il s’agit
vraiment d’un rapport mutuel, et lorsque l’ancien est troublé (commotus),
que ce soit par la colère, l’indignation ou la surprise, c’est aussi bien par
l’attitude respectueuse du plus jeune que par sa propre prière de bénédiction
qu’il est guéri.
Nous venons au monastère pour nous
convertir, pour nous laisser graduellement transformer à l’image du Christ,
pour découvrir sa volonté et conformer la nôtre à la sienne. Réunis en communauté par l’appel du Christ,
nous nous encourageons et nous aidons mutuellement dans ce cheminement. Cette vie en commun, jour après jour, année
après année, n’est possible et « vivable » que s’il y a entre nous un
grand respect. Ce respect ne se limite
pas à de bonnes manières, encore que celles-ci aient toute leur importance. Ce respect implique l’écoute de l’autre,
l’attention à sa volonté et à ses désirs. (Cf. Phil. 2, 4-5 : Que chacun ne regarde pas à soi seulement,
mais aussi aux autres. Comportez-vous
ainsi entre vous, comme on le fait en Jésus-Christ.) C’est là la nature
profonde de l’obéissance, à tous les niveaux : écoute, puis communion des
volontés et rencontre des désirs. Dans
une telle relation, des heurts et des frictions sont non seulement possibles
mais inévitables. L’amour fraternel demande le respect non seulement de
l’autre, mais de ses réactions, y compris de ses réactions violentes en
certains cas. Ce respect, qui est une
autre forme d’obéissance, est non seulement un geste d’humilité et de
communion, mais possède une dimension thérapeutique.
Une communauté vraie est toujours,
dans une certaine mesure, une communauté thérapeutique.
Armand VEILLEUX
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