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Le nouvel évêque de Rome
Dans un
entretien récent j’ai commenté la note par laquelle Benoît XVI annonçait sa
démission aux cardinaux réunis en consistoire. Aujourd’hui j’aimerais commenter le mot de salutation du pape François
aux fidèles assemblés sur la Place Saint Pierre le soir de son élection.
Le nom de
François qu’il a choisi est déjà tout un programme. Un programme qui correspond
d’ailleurs à ce qu’on sait de son mode de vie comme archevêque de Buenos
Aires. Mais, pour le moment, je m’en tiendrai
au texte même de son allocution.
On peut
noter d’abord le ton de bonhommie. Ses
premiers mots ne sont pas des mots solennels et hiératiques, mais les mots
d’une salutation toute normale « Frères et soeurs, bonsoir ». Et il
termine son bref discours par une salutation tout aussi familière :
« Bonne nuit et bon repos ».
Ce qui est
le plus frappant est que, du début à la fin de son discours, il se situe comme
évêque de Rome, et qu’il ne fait aucune allusion à son rôle personnel à l’égard
de l’Église universelle. Il mentionne
simplement, comme en passant que l’Église de Rome, dont il est devenu évêque,
« est celle qui préside toutes les Églises dans la charité ». Il
s’agit d’une vision théologique d’une très grande importance.
Alors que
tout le monde parle depuis des semaines de celui qui sera le nouveau
« pape », il précise, dès la première phrase de son allocution que
«la tâche du Conclave était de donner un Évêque à Rome. Et, après une remarque
humoristique sur le fait qu’on est allé le chercher quasiment à l’autre bout du
monde, il ajoute : « C’est là que nous en sommes ! La communauté
diocésaine de Rome a son Évêque ». Les mots sont choisis : il ne parle pas de
la réalité abstraite du diocèse, mais bien de la réalité vivante de « la
communauté diocésaine de Rome ». Il mentionne aussi le cardinal Vicaire de
Rome qu’il a à ses côtés dans la loggia. Et lorsqu’il fait allusion à son
prédécesseur, pour demander de prier pour lui, il ne l’appelle pas « le
pape émérite » selon le titre que la curie avait décidé qu’on lui
donnerait. Il l’appelle « notre
Évêque émérite, Benoît XVI ».
Ces
nuances de langage ne sont pas sans importance. À partir du moment où les papes ont commencé à voyager à travers le
monde, les commentateurs ont souvent utilisé l’expression d’évêque de l’Église universelle ; ce
qui est une erreur théologique. La
théologie la plus traditionnelle enseigne que chaque évêque, même s’il est –
pour le moment – nommé par Rome, reçoit son autorité directement de Dieu et que
chaque évêque a, dans son diocèse la même autorité que l’évêque de Rome sur son
propre diocèse. L’évêque de Rome, étant
le successeur de Pierre, à qui le Christ a confié la mission de confirmer ses
frères dans la foi, préside à la communion de toutes les Églises. Le pape François le dit d’une façon un peu
différente, lorsqu’il dit, comme je l’ai rappelé il y a un instant, que c’est
l’Église de Rome qui préside toutes les Églises dans la charité. Il y a
probablement là la base pour un déblocage majeur du mouvement œcuménique.
Le pape
François n’était certainement pas sans ignorer qu’il y avait sur la Place
Saint-Pierre de nombreux touristes venant de toutes les parties du monde. Et
pourtant, tout au long de son allocution il ne s’adresse qu’à ses diocésains de
Rome. Et quelle est la première chose
que le pape François fait avec sa communauté diocésaine ? Il ne leur fait
pas de grands discours théologiques ou recommandations morales. Il les fait prier – prier pour leur évêque
émérite – en utilisant tout simplement la prière qui vient tout droit de
l’Évangile, le Pater, mais en
italien.
Il
explique ensuite qu’eux et lui commencent ensemble un cheminement qu’il veut un
cheminement de fraternité, d’amour, de confiance. Il les invite à prier les uns
pour les autres et pour le monde entier afin qu’advienne une grande fraternité.
Un autre
moment important de cette brève rencontre du pasteur avec sa communauté
ecclésiale, est qu’il les invite à le bénir, en intercédant sur lui, dans le
silence, la bénédiction de Dieu avant qu’il n’intercède lui-même la bénédiction
de Dieu sur le Peuple. Et il s’incline longuement pour recevoir la
bénédiction. Il y a là une
reconnaissance très explicite du sacerdoce universel des laïcs. C’est le
« fidèle » François qui, même s’il est pape, reçoit la bénédiction
des autres fidèles.
Au début
et à la fin il remercie la foule pour son accueil. Ces mots aussi ne sont pas à prendre à la
légère. Il ne se considère pas comme
quelqu’un établi sur le diocèse de
Rome ou sur l’Église entière, soit
par Dieu soit pour le Conclave. Il considère plutôt qu’il a été
« donné » par le Conclave à l’Église qui est à Rome et qu’il est
accueilli en son sein par la communauté ecclésiale de Rome.
Lorsqu’il
parle de « ses frères les cardinaux » qui l’ont élu, il affirme aussi
la collégialité épiscopale -- cette collégialité affirmée par Vatican II, mais
qu’aucun pape depuis lors n’a su comment mettre en exercice. Les Synodes de l’Église universelle devaient
être un exercice de collégialité, mais n’ont été jusqu’ici que des organes de
réflexion ou de consultation et non des organes de décision collégiale.
L’avenir
nous dira si ce pape voyagera de par le monde comme ses deux
prédécesseurs. Je ne serais pas surpris
qu’il opte plutôt pour se promener à pied ou en métro dans la ville de Rome
comme il le faisait à Buenos Aires. Ira-t-il à des événements comme les
Journées Mondiales de la Jeunesse l’été prochain, à Rio ? C’est probable,
mais pas certain. S’il décidait de ne pas y aller cela pourrait avoir une
signification profonde. Cela permettrait à ces rencontres de trouver un nouveau
souffle en se dissociant du culte de la personne du pape, qui a de plus en plus
marqué ces rencontres, et en renvoyant les jeunes à leurs propres pasteurs.
Il me
semble que nous nous retrouvons en plein dans la ligne ecclésiologique de
Vatican II. Prions pour que pontificat
apporte un nouveau souffle à la mise en oeuvre du
Concile, en son cinquantième anniversaire.
Scourmont, le 17 mars
Armand Veilleux
mars 2013) |
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