Chapitre à la communauté de Scourmont

3 février 2013

 

Des frères envoyés en voyage (RB 67)

 

          À la fin du chapitre 66 de la Règle, que j’ai commenté dimanche dernier, et qui parlait des portiers du monastère, Benoît disait qu’il convenait qu’on trouve à l’intérieur de la clôture du monastère tout ce qu’il faut pour la subsistance des moines, de sorte que ceux-ci ne soient pas forcés de se répandre à l’extérieur. Il reste cependant qu’une totale autarcie n’est pas possible et que les moines doivent parfois sortir du monastère soit pour répondre à des besoins de la communauté, soit pour remplir des services à l’extérieur au nom de la communauté.  C’est l’objet du chapitre 67 intitulé “Des frères envoyés en voyage” (De fratribus in viam directis).

 

          Il s’agit bien, dans le titre, comme dans le texte du chapitre, de frères qui sont « envoyés » pour un service de la communauté, ou en tout cas qui ont reçu la permission de l’abbé, s’il s’agit de répondre à un besoin personnel.                   

 

          Le chapitre est assez bref.  Benoît demande simplement que les moines qui sont envoyés en voyage se recommandent à la prière de l’abbé et de tous les frères avant de partir, et qu’ils demandent de nouveau qu’on prie pour eux après leur retour. Il demande aussi aux frères de ne pas raconter à leur retour ce qu’ils auront vu ou entendu au cours du voyage.

 

          Pour bien comprendre ces recommandations, il faut les resituer non seulement dans le contexte historique, mais aussi dans le contexte même de la Règle et de sa compréhension de la vie monastique. Il serait erroné d’y voir une vision négative ou manichéenne du monde. Il ne s’agit pas pour Benoît de protéger le moine contre le monde mais contre ses propres “pensées” (au sens ancien du mot grec logismoi).

 

          La première caractéristique que Benoît donne d’un cénobite, c’est qu’il vit dans un monastère (in monasterio), c’est-à-dire dans une communauté, mais une communauté établie dans un lieu bien particulier. Ensuite à la fin du chapitre sur les “instruments des bonnes œuvres”, Benoît explique que l’endroit où se livre le “combat spirituel”, c’est le monastère.

 

          Le moine est donc quelqu’un qui a choisi de vivre avec d’autres frères une vie de solitude dans un lieu déterminé, selon une règle commune et un régime assez structuré, afin d’arriver à un but bien précis, qui est de mener une existence de prière aussi continuelle que possible ou de relation à Dieu aussi permanente que possible. Pour le moine qui a gardé vivant cet idéal, quelles que soient les responsabilités qu’il a ou n’a pas au sein de la communauté, ainsi que toute sortie du monastère seront vécues non pas comme des distractions agréables et bienvenues, mais comme des services communautaires qu’il s’efforcera de vivre de telle sorte qu’ils le distraient le moins possible de son orientation fondamentale. Il ne s’agit pas de se protéger contre un « monde mauvais » mais de se protéger contre une dispersion de l’attention qui le priverait de la “simplicité”, c’est-à-dire de l’unicité de son orientation humaine et spirituelle.

 

          De nos jours les occasions où il est nécessaire aux moines de sortir sont certainement plus nombreuses que du temps de Benoît. Si isolé soit-il, le monastère vit toujours en étroite relation avec l’Église et la société civile environnante. Il y a tout d’abord toutes les obligations de sortir pour les exigences de l’administration aussi bien matérielle que spirituelle de la communauté. Il y a ensuite les contacts avec les autres organismes de l’Ordre, de l’Église ou de la société civile. Puis il y a éventuellement des motifs de santé, d’étude, de devoirs envers la famille. C’est pourquoi on ne fait plus dans la plupart des monastères cette demande solennelle de prière avant chaque absence; mais la mention des « frères absents » à la fin de chaque Office nous rappelle de garder présents dans notre prière tous les frères qui se trouvent présentement à l’extérieur.

 

          Comme le dit Jésus dans l’Évangile, c’est du coeur de l’être humain que sortent toutes les choses bonnes ou mauvaises. Le moine est soucieux de garder la pureté de son coeur, c’est-à-dire de garder son coeur non divisé mais totalement orienté vers son but. C’est pourquoi non seulement il évitera de sortir du monastère à moins d’être envoyé, mais il évitera les relations avec les personnes qui se trouvent à l’hôtellerie et les contacts par téléphone, internet, etc., à moins qu’il ne s’agisse d’un service à rendre à la communauté ou à des personnes de l’extérieur au nom de la communauté, ou encore pour répondre à des besoins personnels reconnus par la communauté.

 

Il ne faut pas voir dans ce chapitre une mise en garde “contre les dangers du monde”, mais plutôt une mise en garde contre le danger d’oublier l’orientation fondamentale de la vie monastique en quittant le contexte de vie qui a tout été conçu pour garder vive cette orientation.

 

          Pour la personne du monde, son milieu professionnel, familial et social est le lieu de sa recherche et de sa rencontre de Dieu. Pour le moine, le lieu de sa rencontre de Dieu est normalement le monastère. Chaque fois qu’il sera appelé à en sortir, il devra être attentif à conserver son orientation fondamentale sans se laisser distraire dans des directions multiples.

 

          Lorsque le moine est vraiment « unifié », toutes les activités qu’il pourra être appelé à exercer soit dans la communauté, soit hors de la communauté, pourront être vécus dans une réelle unité intérieure. Par ailleurs toute recherche de “distractions” comme telles serait un renoncement à ce qui fait l’essentiel de sa vie.

 

          On en revient toujours à ce qui fait l’essentiel de la vocation monastique : la simplicité, c’est-à-dire l’orientation constante vers un seul but, une seule préoccupation, un seul amour – la recherche de la rencontre personnelle avec Dieu dans la prière constante.

 

Armand VEILLEUX

 

 

         

 

 

 

 


 

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