27 janvier 2013 – Chapitre à la Communauté de Scourmont

 

 

Des portiers du monastère (RB 66)

 

          Après un chapitre sur le choix de l’abbé et un autre sur le prieur, Benoît en a un sur le portier. Le titre parle des « portiers », au pluriel.  Ce titre est hérité sans doute de la Regula Magistri, où il était question de deux portiers. Mais Benoît n’en prévoit qu’un, auquel on pourra donner des aides si c’est nécessaire.

 

          En réalité ce chapitre comprend deux parties bien distinctes, quoique reliées entre elles : la première concerne directement le portier et sa façon d’accueillir les personnes qui se présentent au monastère, alors que la deuxième traite plus généralement de la façon dont le monastère, dans son organisation matérielle elle-même, se situe face à la société civile.

 

          Nous avons déjà vu plusieurs fois comment la vie monastique, qui se veut toute structurée autour de la recherche contemplative de Dieu, implique une part importante de solitude. En même temps, notre étude de la Règle nous a permis de voir souvent que, pour saint Benoît, la solitude n’est pas absence totale de relation, mais à la fois choix judicieux des contacts et qualité de la communication. Dans le chapitre 53, nous avons vu toute l’importance de la réception des hôtes et du rituel que Benoît présente, et qui correspond évidemment à un contexte culturel différent du nôtre.

 

          Voici les premiers versets de ce chapitre 66 :

 

À la porte du monastère, on placera un homme sage et d’âge mûr qui sache recevoir et fournir un renseignement, et dont la maturité le garde de courir çà et là.

 

          La porterie du monastère est le point de contact entre l’abbaye et le monde extérieur. Pour tous ceux qui viennent au monastère, c’est le premier contact, et pour plusieurs, ce sera peut-être le seul, s’ils ne sont que des visiteurs de passage. Il est donc important qu’ils y perçoivent une juste vision de ce qui se vit à l’intérieur. Et c’est pourquoi Benoît demande que le portier soit un homme d’âge mûr et sage senes sapiens, qui sache recevoir et fournir un renseignement.

 

Benoît demande que la cellule du portier soit près de la porte, afin qu’il y ait toujours quelqu’un pour répondre au visiteur habituel. Dans la mentalité actuelle, lorsqu’on reçoit une tâche au sein de la communauté, on considère facilement que ce sera ce que l’on fera de telle heure à telle heure. Dans la Règle, lorsqu’on reçoit une responsabilité, que ce soit celle du cellérier, de l’abbé, de l’hôtelier, de l’infirmier ou du portier, il s’agit d’une responsabilité, c’est-à-dire d’un secteur de la vie communautaire dont on est responsable d’une façon permanente.  Évidemment la personne qui reçoit cette responsabilité ne travaillera pas vingt-quatre heures par jour – c’est pourquoi Benoît prévoit qu’on lui donnera des aides selon le besoin – mais elle portera cette responsabilité d’une façon permanente.

 

Compte tenu de la facilité des moyens de communication actuels, qui fait qu’un très grand nombre de personnes arrivent ou bien téléphonent tout au long de la journée et parfois de la nuit, il est devenu presque impossible dans la plupart des communautés d’avoir quelqu’un qui réponde à la porte et au téléphone à toute heure du jour ou de la nuit. En beaucoup d’endroits, lorsqu’on téléphone à certaines heures on a un message enregistré. Cela est certainement désagréable, mais c’est sans doute devenu une nécessité, précisément pour préserver la solitude mentionnée au début. Il n’est pas rare que non seulement à cause parfois du petit nombre de moines disponibles pour cette tâche, mais aussi à cause de la multiplication extraordinaire du nombre de visiteurs et de personnes qui téléphonent pour toutes sortes de choses, il soit non seulement nécessaire, mais même souhaitable en certaines circonstances, de faire appel à un portier laïc qui serve en quelque sorte de premier relais entre les visiteurs et les moines. Évidemment cette personne doit, dans son attitude, s’inspirer des recommandations de Benoît au portier.

 

De ce chapitre je voudrais retenir deux brèves expressions de la phrase suivante: « ... aussitôt que quelqu’un frappe ou qu’un pauvre appelle, il [le portier] répondra Deo gratias ou Benedic, et avec toute la douceur de la crainte de Dieu, il se hâtera de répondre avec la ferveur de la charité. »

 

Les deux expressions “douceur de la crainte de la crainte de Dieu”, c’est-à-dire la douceur (mansuetudo en latin) qu’engendre la crainte de Dieu et “ferveur de la charité”, expriment bien l’attitude que non seulement le portier mais tout moine doit avoir à l’égard de quiconque se présente au monastère, et particulièrement des pauvres : douceur et charité fervente.

 

À ce sujet – l’attention aux pauvres --, la situation a grandement évolué au cours des siècles et même au cours des dernières décennies. Il fut un temps où en beaucoup de lieux, une grande partie de ce qu’on appelle les “services sociaux” étaient offerts aux nécessiteux par les communautés religieuses, et en particulier par les monastères. De nos jours, dans la plupart des sociétés modernes, ces services abondent, mis sur pied soit par l’État soit par divers organismes privés. Il reste évidemment de nombreux pauvres qui n’entrent dans aucun des créneaux prévus par ces services ou qui ne savent pas comment y avoir accès et s’en servir. S’il y a encore bien des situations où il est nécessaire de donner à quelqu’un de quoi manger ou se chauffer, il est encore plus important pour les communautés monastiques de travailler en communion avec les autres organismes pour trouver des solutions durables aux situations structurelles qui engendrent et maintiennent la pauvreté. Il est donc nécessaire pour les communautés d’avoir recours à des personnes laïques formées et compétentes pour rendre en leur nom ces services. Lorsqu’il y a une personne chargée de ce service, comme c’est le cas chez nous, c’est à cette personne qu’il faut référer toutes les demandes d’aide, que cette personne gérera en concertation avec l’abbé et, éventuellement, le cellérier. Il ne revient pas à chaque moine en particulier de s’occuper de « ses » pauvres.

 

          L’organisation matérielle du monastère conditionne sa capacité ou non de s’adresser avec d’autres intervenants aux racines mêmes de la pauvreté de sa région. Mais cela demandera un développement à part.

 

          Ce chapitre 66 de la Règle comporte une deuxième partie relative à la solitude de la communauté :

 

S’il est possible, le monastère sera construit de telle façon que tout le nécessaire, à savoir l’eau, le moulin, le jardin, soit à l’intérieur du monastère et que s’y exercent les différents métiers,

pour que les moines ne soient pas forcés de se répandre à l’extérieur, ce qui ne convient nullement à leur âme.

 

          La chose curieuse est que les moyens modernes de communication, qui devraient rendre cette autarcie de la communauté monastique possible créent souvent des contacts encore plus nombreux avec l’extérieur.  C’est vraiment un défi pour chaque moine ou moniale, comme pour chaque communauté monastique, d’utiliser les moyens de communication (auto, téléphone, internet) comme des instruments de travail au service de la solitude, alors qu’ils risquent constamment de devenir des instruments de distractions détruisant la solitude. – C’est là un autre sujet sur lequel il faudra revenir, en particulier l’usage du téléphone qui peut faire entrer le monde et ses préoccupations non seulement au coeur du monastère, mais au coeur de la vie de chaque moine à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. Une grande ascèse est requise à cet égard.

 

Le dernier verset de ce chapitre constitue une conclusion :

 

Nous voulons que cette règle soit lue fréquemment en communauté pour qu’aucun frère ne prétexte son ignorance.

 

          On a souvent pensé que, dans son état primitif, la Règle se terminait ici ; mais cela semble une conclusion un peu trop abrupte. C’est pourquoi il est assez généralement admis aujourd’hui, parmi les commentateurs, que cette phrase était suivie de ce qui est aujourd’hui le chapitre 73, qui terminait la Règle comme il la termine dans son état actuel.

 

          Ce sont les chapitres 67 à 72 qui furent rajoutés par Benoît à une date ultérieure.  Il faudra analyser ces chapitres avec soin, car ils révèlent une sagesse acquise au cours d’une longue expérience de la vie communautaire et de l’exercice de la responsabilité pastorale de plusieurs communautés.

 

Armand VEILLEUX

 

         

 


 

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