Scourmont, le 20 janvier 2013

Chapitre

 

Le prieur du monastère (RB 65)

 

          Dans les premiers chapitres de sa Règle, Benoît prévoit une structure de la communauté monastique fondée sur le rôle de l’abbé assisté de doyens et du cellérier. Il n’est pas question de prieur. Déjà, dans le monachisme pachômien, en Égypte, où les communautés pouvaient être très grandes, la communauté monastique, dirigée par le « père du monastère » était divisée en « maisons » administrées par des « chefs de maisons ».  Même si chacune de ces maisons correspondait à un service communautaire (ainsi, il y avait la maison des boulangers, la maison des fermiers, etc.) le rôle de chefs de maisons était d’abord d’enseigner la parole de Dieu. Cependant, déjà dans ces communautés de saint Pachôme, le père du monastère était assisté d’un « second » et chaque chef de maison avait aussi son « second ». Mais dans la tradition monastique dans laquelle s’inscrit Benoît, qui est représentée dans la Règle du Maître, il y avait des doyens, mais pas de prieur.

 

          Dans ce chapitre sur le prieur Benoît prend un style passionné, assez différent de celui des chapitres précédents, et qui surprend. Benoît, on l’a vu au chapitre précédent, veut que l’abbé soit librement élu par sa communauté, et non pas établi par d’autres abbés de la région ou par l’évêque ou d’autres autorités ecclésiastiques. Or, c’était la pratique, à l’époque de Benoît, en particulier dans des monastères de l’Italie méridionale, que l’autorité ecclésiastique non seulement nomme l’abbé mais lui assigne aussi un prieur.  Benoît trouve cette situation tout à fait « absurde » (c’est le mot qu’il utilise), et de nature à créer des divisions en communauté. Si l’abbé et son prieur ne sont pas unis et n’agissent pas dans l’harmonie, leur âme est en danger, dit-il et, de même en est-il pour le reste de la communauté.

 

          Le désir du pouvoir est une tentation innée de la nature humaine.  Nous voyons, dans l’Évangile, les Apôtres discuter pour savoir qui sera le plus grand dans le royaume du Christ.  Et les Lettres de Paul au diverses Églises, en particulier celles aux Corinthiens, aux Romains et aux Galates, doivent sans cesse gérer des crises de pouvoir et des conflits d’autorité. Il n’est donc pas surprenant que la même chose puisse se produire au sein d’une communauté monastique.  Benoît veut tout faire pour l’éviter. C’est pourquoi, il préfère de beaucoup de système de doyens, qui, toutefois, n’a pas eu de grands succès dans la tradition monastique après lui.  Il accepte cependant que l’abbé soit secondé par un prieur – ce qui deviendra la pratique commune du monachisme bénédictin – mais à la condition que ce prieur soit choisi par l’abbé lui-même avec le conseil de frères craignant Dieu.

 

          Dans ce long chapitre Benoît donne des recommandations au prieur sur la façon d’exercer son rôle dans l’obéissance et l’humilité, mais il ne manque pas de terminer en mettant l’abbé lui-même en garde contre la tentation de jalousie et d’envie.

 

          Ce chapitre pourrait avoir pour titre : « L’unité de la communauté » ; car c’est de cela qu’il s’agit ici. Et c’est vraiment essentiel, car il n’y a pas de vraie communauté sans unité – une unité qui est toujours à construire et à préserver. La crainte fondamentale que Benoît exprime dans ce chapitre, c’est que des groupes se forment dans la communauté. Et, de fait, lorsque cela arrive dans une communauté, il n’y a plus rien qui fonctionne et la qualité de la vie spirituelle s’en ressent beaucoup. Le modèle de la communauté demeure toujours celui de la communauté primitive de Jérusalem, où la multitude des frères et des soeurs n’avait qu’un coeur et une âme. Il s’agit d’une unité faite de diversité, et non pas par la négation des caractéristiques et des dons propres à chacun.

 

          Benoît semble avoir eu de mauvaises expériences avec les prieurs. Cependant, dans la tradition bénédictine et dans notre tradition cistercienne, le rôle du prieur est très important, même s’il peut varier beaucoup d’une communauté à l’autre.  Si la communauté a une grande filiation et que l’abbé doive s’absenter assez fréquemment pour visiter les maisons-filles, le rôle du prieur est évidemment de diriger la communauté en l’absence de l’abbé. Mais même lorsque l’abbé est présent au monastère, le prieur sera son premier conseiller, dans tous les domaines.  Traditionnellement il est aussi celui qui peut servir d’intermédiaire si une difficulté de compréhension s’établissait entre un moine et son abbé.

 

          La fonction peut varier beaucoup selon les personnalités du prieur lui-même et de l’abbé ; mais elle est toujours très importante.

 

          Et c’est pour moi l’occasion de remercier Père Jacques de ce service qu’il remplit depuis maintenant plusieurs années et qui, pour moi, est très précieux.

 

         

Armand VEILLEUX

 


 

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