30 décembre 2012 – Chapitre à la Communauté de Scourmont

 

 

Du choix de l’abbé par la communauté (RB 64 – suite)

 

          En ce dernier dimanche de l’année, je vais terminer mon commentaire du chapitre 64 de la RB commencé il y a déjà quelques semaines. J’avais alors commenté les six premiers versets de ce chapitre intitulé « De l’institution de l’abbé ».  Ce sont en effet les seuls versets de ce chapitre assez long qui correspondent au titre.  Le reste est une sorte de « directoire de l’abbé » complétant ce qui a été dit au chapitre 2.

 

          Le verset 7 sert d’introduction à tout ce développement : Une fois institué, l’abbé considérera sans cesse quelle charge il a reçue et à qui il rendra compte de sa gestion. C’est une phrase très lourde, dont il convient de peser les mots. Benoît ne dit pas simplement que l’abbé doit se souvenir, mais qu’il doit « penser », « réfléchir » (cogitet), et qu’il doive le faire sans cesse (semper), d’abord à la charge (onus) qu’il a reçue et ensuite à Celui à qui il devra rendre compte de sa gestion. Tous les versets suivants ont, comme arrière-fond la parabole du serviteur fidèle (Matthieu 24, 45-51).

 

          Tout est d’abord résumé dans une phrase lapidaire : « Il saura qu’il lui faut plutôt servir qu’être servi ». On en revient toujours à cette idée fondamentale de la vie monastique comme de toute vie chrétienne : le Christ est venu pour servir et non pour être servi.  Tous ses disciples sont appelés à se servir mutuellement, et quiconque reçoit une responsabilité particulière au sein du peuple de Dieu ou d’une communauté quelconque, reçoit un service à remplir et non un honneur ou un privilège.

 

          Comme ce service est en premier lieu celui de la Parole, il doit être instruit de la loi divine « pour savoir où puiser le nouveau et l’ancien ». Cela veut dire qu’il faut toujours revenir à la Parole elle-même et à la tradition par laquelle est nous est parvenue, mais qu’il faut toujours l’appliquer aux situations nouvelles. Et comme ce sont les coeurs purs qui voient Dieu, Benoît exhorte l’abbé à être chaste, sobre et compatissant.

 

          Ce mot -- « compatissant » -- introduit à un développement sur la correction des fautes qui redit d’une façon beaucoup plus évangélique ce qui avait été dit dans les longs chapitres assez pénibles de la Règle sur la correction des fautes. Ce résumé comporte plusieurs petites phrases qui sont de véritables perles. Par exemple : « Il haïra les vices, il aimera les frères ». Mais « aimer » ne veut pas dire fermer les yeux sur tout.  Aimer quelqu’un c’est vouloir qu’il se corrige s’il a dans son attitude quelque chose à corriger.  Il y eut une époque où les abbés avaient souvent la tentation de vouloir corriger sans cesse.  De nos jours la tentation la plus commune à de ne pas avoir le courage de corriger, même lorsque ce serait nécessaire. Mais, de toute façon, il faut le faire « avec prudence et sans excès » dit Benoît, ajoutant une autre petite phrase savoureuse : « Il ne faut pas qu’en voulant gratter la rouille, il brise le vase ». Il en rajoute une couche à exhortant l’abbé à « ne pas piétiner le roseau cassé », se rappelant sa propre fragilité. Même s’il n’y a pas de citations textuelles, on peut voir dans ces versets une référence explicite aux Serviteur souffrant du chapitre 42 d’Isaïe.

 

          Tout ce développement se termine par : « Qu’il cherche à se faire aimer plus qu’à se faire craindre ». Dans tout ce chapitre n’est pas présenté dans une relation à des « disciples » (ce qui était commun dans la tradition monastique) mais dans une relation à des « frères ». On trouve ici une terminologie affective assez impressionnante : misericors/misericordia (vv. 9-10), diligere (v. 11) , caritas (v. 14), amari (v. 15).

 

          Vient ensuite une liste de défauts à ne pas avoir et de qualités à avoir : « Il ne sera ni agité, ni anxieux, ni excessif, ni obstiné, ni jaloux, ni soupçonneux... » Il est appelé à tout faire avec réflexion, mesure et discrétion.  Cette discrétion doit être telle que même les faibles ne renoncent pas à l’idéal des forts.

 

          Toutes ces recommandations valent évidemment non seulement pour l’abbé mais pour quiconque a un service à rendre en communauté – tout le monde, en définitive.

 

          Le cénobite étant quelqu’un qui vit « en communauté, sous une règle et un abbé », Benoît ne manque pas sa chance de bien replacer ici l’abbé dans l’équilibre de la vie communautaire, en lui rappelant qu’il doit en tout point observer la Règle.  S’il a à enseigner la Règle, à la faire respecter et souvent à l’interpréter en fonction de situations particulières, il est lui-même soumis à cette Règle commune en premier lieu.

 

          Et tout ce beau chapitre se termine par une citation textuelle de la conclusion de la parabole du serviteur fidèle : « Alors, ayant bien administré, il entendra du Seigneur ce qu’entendit le bon serviteur qui, en temps voulu, donna de la nourriture aux autres serviteurs comme lui : En vérité, je vous le dis, il l’a établi sur tous ses biens ».

 

          En cette fin d’année, souhaitons-nous mutuellement de continuer à vivre toujours plus pleinement cet idéal de service mutuel.

 

 

Armand Veilleux

 


 

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