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décembre 2012 – Chapitre à la Communauté de Scourmont
Du choix de l’abbé par la communauté
(RB 64)
Saint
Benoît, dans sa Règle, consacre deux chapitres à l’abbé, en plus d’en parler un
peu partout dans la Règle. Il y a tout
d’abord le chapitre 2, au début de la Règle et le chapitre 64, vers la fin. Il
est généralement admis par les commentateurs que le chapitre 64 appartient à un
groupe de chapitres ajoutés au texte de la Règle par Benoît plusieurs années
après la rédaction du texte primitif. Ce
dernier chapitre représente donc ce que Benoît a appris à travers une longue
expérience et est un fruit de cette expérience.
Dans
le chapitre 2 intitulé « Des qualités requises de l’abbé », Benoît
non seulement décrit les qualités que devrait avoir quelqu’un qui est choisi
pour être abbé, mais donne aussi à la personne qui a reçu cette charge un bon
nombre de sages conseils. Comme il
arrive souvent, l’objet du chapitre 64 est beaucoup plus large que ce
qu’exprime le titre. Ce titre est :
« Du choix de l’abbé » (ou « De l’institution de l’abbé »
-- de ordinando abbate). En réalité ce titre correspond seulement
au 6 premiers versets du chapitre. Les 16 versets suivants, c’est-à-dire la
partie principale du chapitre, sont ce qu’on appellerait aujourd’hui un directoire de l’abbé, c’est-à-dire un
ensemble de conseils donnés à l’abbé pour l’exercice de sa charge.
Arrêtons-nous
tout d’abord au premier groupe de versets. Les deux premiers versets prévoient
comment l’abbé est choisi et les quatre suivants traitent d’une situation
particulière qui peut se présenter. Voici les deux premiers versets :
Dans la tradition monastique
primitive, chez Pachôme en particulier, mais aussi dans le cénobitisme
occidental primitif, c’était souvent le fondateur qui désignait son successeur,
et celui-ci désignait à nouveau son successeur avant de mourir. Dans une autre branche de la tradition le
supérieur d’un groupement monastique était choisi (c’est le sens du verbe latin eligere)
par une autorité externe à la communauté. Chez Basile, c’était l’évêque ;
ailleurs ce pouvaient être les autres supérieurs monastiques de la région. Benoît se situe dans une autre branche de la
tradition où l’abbé était choisi par la communauté.
Le premier verset de ce chapitre, où
Benoît semble prévoir que l’abbé puisse être choisi en certain cas par une
minorité de la communauté, mais une minorité ayant un meilleur jugement (saniori consilio) m’a
toujours fait problème. Qui détermine qui sont ceux
qui ont le jugement plus saint ? Or, je me suis rendu compte que des
traductions récentes interprètent d’une autre façon la phrase latine de Benoît.
Benoît prévoit, selon cette traduction, deux situations : ou bien la
communauté entière d’un commun accord, donc à l’unanimité, choisit quelqu’un.
Ou bien le choix est fait par une partie moins grande que la communauté,
c’est-à-dire qu’il n’y a pas unanimité ; mais il ne s’agit pas d’une
minorité.
De toute façon, dans notre législation
actuelle, et depuis longtemps, l’abbé doit toujours être élu par un vote
majoritaire. Si la personne élue remplit toutes les conditions requises par le
droit (en particulier l’âge et les années de profession solennelle), une
majorité absolue (c’est-à-dire plus de la moitié des voix valides) suffit. Dans
le cas où l’on voudrait choisir quelqu’un qui ne répond pas à toutes ces
conditions, on peut demander une dispense de l’autorité compétente. On dit
alors qu’on postule cette personne. Et
la postulation exige une majorité des deux-tiers.
Benoît résume en trois mots l’attitude
que doit avoir la communauté lorsqu’elle choisit son abbé, il dit que ce choix
doit être fait secundum timorem Dei.
Cela veut dire que dans ce choix de leur abbé les membre de la communauté ne
doivent pas agir pour des motifs d’ambition personnelle, ou par sympathie ou
antipathie, ou par quelque calcul humain, mais simplement en se mettant
honnêtement devant Dieu, se demandant ce qui est le mieux pour le bien de la
communauté.
Lorsqu’il m’arrive de présider une
élection dans un monastère de moines ou de moniales, au moment de la Messe du
Saint-Esprit, qui fait partie du rituel de l’élection, je dis toujours qu’il ne
faut pas demander à l’Esprit-Saint quel est celui que nous devons élire – il
nous laisse la pleine responsabilité de le faire. Nous devons plutôt lui demander de purifier
nos coeurs et nos yeux pour que nous puissions
regarder chacun de nos frères avec les yeux de Dieu.
Ce premier verset concerne la
communauté qui élit son abbé. Le verset 2 reprend en quelques mots tout ce qui
a été dit au chapitre deux sur les qualités que doit avoir l’abbé. Il doit être choisi en fonction du mérite de
sa vie et de sa doctrine de sagesse. Cela veut dire que ce doit être quelqu’un qui vit authentiquement la vie
monastique selon la Règle et qui soit aussi capable d’enseigner la Parole de
Dieu. Non seulement dans la tradition monastique primitive, mais dans toute la
tradition chrétienne des premiers siècles la paternité spirituelle – ou
maternité spirituelle – consiste essentiellement dans la transmission de la
Parole. Un père spirituel n’est pas un
gourou qui s’engendre des fils spirituels, mais quelqu’un qui, essentiellement
à travers l’enseignement de la Parole, aide ses frères naître à la vie
spirituelle, c’est-à-dire à permettre au Christ de naître en eux.
Benoît ajoute qu’on choisira celui qui
correspond à ce critère, « même s’il est le dernier par son rang dans la
communauté ». Ceci est d’autant
plus surprenant que Benoît avait dit dans le chapitre précédent (RB 63) que le
seul rang qui compte entre les frères et le rang correspondant à la date de
leur entrée au monastère. Et cela montre
bien qu’un frère, en étant élu abbé, n’acquiert pas un rang supérieur dans la
communauté, et encore moins au-dessus de la communauté. Il acquiert un service à rendre, une charge à
porter. Toute la deuxième partie du chapitre, à partir du verset 6, traitera de
ce service.
Mais concernant le choix même de
l’abbé Benoît prévoit une situation particulière. Il
prévoit le cas où une communauté serait tombée dans la décadence et aurait
perdu le sens de sa raison d’être spirituelle. Dans ce cas il invite non seulement l’évêque diocésain ou les abbés de
la région, mais aussi les chrétiens du voisinage à intervenir et à voir à ce
qu’un abbé digne soit mis à la tête de la communauté. Il est sûr qu’une telle intervention poserait
des problèmes juridiques et ne se ferait pas facilement. D’ailleurs Benoît n’a aucunement l’intention
ici de décrire une procédure. Il affirme
simplement un principe spirituel. Et ce
principe est toujours valable.
Ce principe est que même si la
communauté monastique est juridiquement autonome, elle fait partie d’une
réalité plus grand qui est l’ensemble du peuple de Dieu. Le charisme monastique
appartient à l’ensemble du peuple de Dieu, et non seulement à ceux qui vivent
ce charisme à un moment déterminé de l’histoire. Le charisme d’une communauté est plus grand
que ceux qui vivent actuellement dans cette communauté et qui sont les
dépositaires de ce charisme. C’est dans
ce sens qu’il faut comprendre cette remarque de Benoît.
Nous verrons la prochaine fois la
deuxième parti de cet important chapitre 64.
Armand
VEILLEUX
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