18 novembre 2012 -  Chapitre à la Communauté de Scourmont

 

Des prêtres du monastère (RB 62)

 

          La question de la présence et du rôle des prêtres dans la communauté monastique est traitée par saint Benoît au chapitre 62 de sa Règle.  Cette question est aussi vieille que le monachisme chrétien lui-même.

 

          Le chapitre commence par les mots :

 

Si l’abbé demande qu’on lui ordonne un prêtre ou un diacre, il choisira parmi les siens quelqu’un qui soit digne de remplir la fonction du sacerdoce.

 

          Sur ce point, Benoît innove par rapport aux Règles monastiques antérieures, aussi bien par rapport à la tradition égyptienne que par rapport à Cassien ou aux autres Règles occidentales. Les moines fuyaient l’ordination, car lorsqu’ils étaient ordonnés ils cessaient d’être moines pour assister l’évêque dans son service pastoral.  C’est pourquoi, selon la phrase bien connue, Cassien dit que les moines doivent fuir les évêques autant que les femmes ! Dans chaque cas, pour ne pas risquer de perdre leur vie monastique.

 

          Pachôme prévoyait la possibilité de recevoir en communauté des prêtres qui voulaient assumer la vie monastique (comme nous l’avons vu chez Benoît, dans le dernier chapitre que nous avons commenté), mais il recommandait que ses communauté, pour les besoins sacramentels, s’en rapportent aux prêtres désignés par les évêques.

 

          Ici, Benoît innove, car il prévoit que l’abbé puisse demander à un évêque d’ordonner un prêtre pour remplir les fonctions sacerdotales au sein du monastère, sous l’autorité de l’abbé qui, lui-même, n’était pas prêtre.

         

Monachisme et sacerdoce appartiennent à deux ordres de réalités distincts, si bien que la vocation à la vie monastique et la vocation au sacerdoce sont deux vocations différentes qui peuvent coexister dans la même personne.  L’expérience des siècles aussi bien que celle de chaque moine prêtre montre que ces deux vocations peuvent s’enrichir mutuellement aussi bien qu’entrer en conflit l’une avec l’autre.

 

          La vie monastique est une façon de vivre sa vie chrétienne.  N’importe quel chrétien est libre d’adopter seul un tel genre de vie ou d’entrer dans une communauté cénobitique ayant une règle commune approuvée par l’Église. Quant à la prêtrise elle est dans l’Église un ministère auquel il faut être appelé par l’autorité compétente.  Le moine cénobite vit dans une communauté sous une règle et un abbé ;  le prêtre est normalement l’assistant de l’évêque et exerce son ministère sous l’autorité de celui-ci. Le moine-prêtre est un moine qui vit aussi dans une communauté sous une règle et un abbé, mais a aussi reçu l’ordination sacerdotale lui permettant de remplir au sein de cette communauté des services d’ordre sacramentel. Maintenant que les abbés sont toujours prêtres (nous reviendrons sur cette question), c'est l’abbé qui est, dans le langage canonique, l’ordinarius, c’est-à-dire celui qui a juridiction ecclésiastique sur ses prêtres et non pas l’évêque qui l’a ordonné à la demande de l’abbé.

          Si les Règles monastiques anciennes sont très réticentes à l’égard de l’ordination des moines c’était non seulement parce que le moine ordonné prêtre par un évêque était en général soustrait à la vie monastique pour exercer le ministère sacerdotal comme tous les autres prêtres, comme je l’ai dit plus haut, mais aussi – et surtout -- parce qu’on pouvait, sans doute plus à cette époque qu’à la nôtre, rechercher dans le sacerdoce une sorte de prestige personnel, étranger à la simplicité monastique.

 

          Le premier problème fut résolu ou contourné lorsque des moines – ou des ecclésiastiques aspirant à la vie monastique – furent ordonnés évêques et formèrent autour d’eux des communautés de clercs vivant un régime de vie assez identique à celui des moines.  Les cas les mieux connus sont ceux d’Augustin d’Hippone et de Martin de Tour.

 

          Le monachisme bénédictin a pris avec Grégoire le Grand une orientation nettement apostolique, qui conduisit avec le temps à la cléricalisation assez générale de la vie monastique bénédictine et au développement de la tradition qui voulait jusqu’à tout récemment que tout moine « de choeur » fût normalement prêtre.  C’était aussi la tradition dans notre Ordre au cours des derniers siècles jusqu’à il y a une quarantaine d’années.

 

          Dans les années 60’ du 20ème siècle, la question du sacerdoce des moines fut soudain remise en question.  Plusieurs éléments conduisirent à cette remise en question.  D’une part, on avait assisté dans les décennies précédentes à une « redécouverte » du monachisme primitif, surtout égyptien, qui était essentiellement un monachisme laïc.  Par ailleurs les exigences du Saint-Siège concernant la formation théologique en vue de l’ordination faisaient que la formation des moines destinés au sacerdoce était devenue assez identique à celle donnée dans les Grands Séminaires.  Au même moment, une sensibilité nouvelle acceptait de plus en plus difficilement que les membres d’une même communauté soient répartis en deux catégories : d’une part une communauté de moines pratiquement tous prêtres et d’autre part une communauté de frères convers qui n’étaient pas considérés moines.  Le désir assez général était qu’au sein d’une communauté monastique masculine tous soient moines à part entière, certains étant prêtres pour les besoins sacramentels de la communauté, de l’hôtellerie et des maisons-filles de moniales, et d’autres ne l’étant pas.

 

          Au cours de cette remise en question, dans les années 60’, quelques positions radicales s’affrontèrent parfois, les uns voyant une incompatibilité entre vie monastique et sacerdoce, les autres voyant le sacerdoce comme le couronnement ou l’achèvement de la vie monastique.  Lorsque la poussière retomba après ces joutes théologiques, une sorte de consensus se fit, considérant que vie monastique et sacerdoce sont deux vocations distinctes qui peuvent fort bien coexister dans la même personne mais qu’aucune des deux n’exige ou ne postule l’autre.  Un prêtre n’est pas meilleur prêtre parce qu’il est moine, et un moine n’est pas plus moine s’il est prêtre. 

 

          Nous reverrons plus en détail, dans une prochain chapitre, ce que Benoît a à dire dans ce chapitre 62 de sa Règle, sur les prêtres du monastère.

 

 


 

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