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14 octobre 2012 – Abbaye de Scourmont
Des prêtres qui voudraient
demeurer au monastère (RB 60)
Après avoir parlé de la
réception des candidats en général (RB 58) puis de la présentation au monastère
par leurs parents de candidats très jeunes (RB 59 – une pratique abandonnée
depuis plusieurs siècles), Benoît parle au chapitre 60 d’une autre catégorie,
celles des prêtres et des clercs en général (il ne semble pas prévoir,
toutefois, l’entrée d’un évêque !). Il n’est pas question en ce chapitre
de l’opportunité ou non d’avoir des prêtres dans la communauté ni de
l’ordination de moines. Benoît reviendra sur cette question deux chapitres plus
loin (RB 62). Ici il s’agit de l’attitude à avoir à l’égard de quelqu’un ayant
déjà un rang dans l’Église et qui veut devenir moine, et surtout de l’attitude
que cette personne doit avoir.
Pour comprendre ce
chapitre il faut se souvenir qu’il a été écrit dans le contexte sociologique de
l’empire romain où l’organisation de l’Église s’insérait dans une société
fortement structurée. Le prêtre a dans le Peuple de Dieu une activité
spirituelle et sacramentelle, que Benoît estime et dont il parle brièvement en
divers endroits de sa Règle. Ce n’est pas ici sa préoccupation. Il ne faut pas
lui demander de dire ce qu’il ne dit pas, ni lui reprocher de ne pas parler ici
de choses qui sont hors de son propos immédiat. Le prêtre, en plus – et en
quelque sorte à cause – de son activité spirituelle a un statut social dans la
société ecclésiastique comme dans la société civile, les deux étant d’ailleurs
fort imbriquées. L’objet précis de ce chapitre est simplement ceci : quelle
attitude tenir à l’égard de personnes ayant ce statut dans l’église et désirant
être reçus dans le monastère ? D’ailleurs la dépendance de Benoît sur ce point
à l’égard des Règles antérieures, telle qu’elle a été expliquée par les
commentateurs comme, p. e. dom Adalbert de Vogüé, nous permet de nous demander
si ces prêtres et ces clercs, lorsqu’ils étaient admis au monastère
(contrairement à certaines Règles antérieures, comme celle des IV Pères, qui ne
les acceptaient pas), étaient soumis au processus d’intégration dans la
communauté prévu au chapitre 58 ou s’ils étaient simplement admis à « vivre au
monastère ».
L’idée centrale de Benoît
est que, d’une part, ces personnes doivent bien comprendre ce qu’on vit au
monastère et que d’autre part on doive s’assurer qu’ils sont bien désireux et
capables de se conformer en tout et partout à la Règle commune et d’une façon
stable (noter l’insistance de Benoît sur cette notion de « stabilité »
dans un style de vie librement choisi).
En ce qui concerne le
rang en communauté (souvenons-nous que cette préoccupation du « rang » est
omniprésente dans le monde romain... de cette époque comme d’aujourd’hui !),
Benoît fait une distinction entre les célébrations liturgiques et le reste de
la vie communautaire. Il trouve convenable que si un prêtre est admis en
communauté (à une époque où il y avait très peu de prêtres au monastère) l’abbé
lui attribue un rang au chœur plus élevé que celui correspondant à la date de
son entrée, et lui permette même de présider la célébration liturgique. Mais
dans tout le reste de la vie du monastère, il ne sera qu’un moine entre
d’autres, au rang établi par la date et l’heure de son entrée, et son rang
ecclésiastique ne sera nullement pris en considération lorsqu’il s’agira de
nommer un frère à une charge ou de lui confier une affaire à traiter.
Ce que Benoît dit des
prêtres et des clercs dans ce chapitre peut avoir de nos jours une application
beaucoup plus large. À une époque où l’on entre au monastère souvent à un âge
plus avancé qu’autrefois, et où les personnes qui arrivent ont parfois eu des
fonctions importantes soit dans des activités pastorales aussi bien en tant que
laïcs qu’en tant que clercs, soit des responsabilités dans le monde du travail,
de la finance ou de la politique, les observations et recommandations de Benoît
sont valables pour chacun. On vient au monastère pour chercher Dieu dans une
vie de prière, de solitude et d’humble travail. En cela nous sommes tous égaux
et notre « rang » antérieur dans la société ou dans l’Église n’a pas
d’importance. Les responsabilités que nous pouvons avoir eues avant d’entrer ne
nous donnent aucun « droit » à remplir des responsabilités semblables au sein
de la communauté. Si nous sommes appelés à rendre des services – qui peuvent
être en eux-mêmes plus ou moins importants – cela n’affecte aucunement notre «
importance » personnelle.
Il y a peut-être là un
phénomène dont on ne tient pas suffisamment compte dans le processus de
formation dans nos monastères et qui peut expliquer certaines crises qui se
produisent après un certain nombre d’années de profession, surtout chez les
moines (moins, semble-t-il chez les moniales, ou en tout cas d’une façon différente).
Dans notre société, l’homme tend beaucoup à être identifié – ou à s’identifier
– à ce qu’il fait. Ainsi, en parlant avec quelqu’un, si l’on veut savoir
quelque chose au sujet de son père, on dit : « Qu’est-ce que fait ton
père ? ». On veut savoir quel est son travail, son rôle dans la société.
Lorsqu’on entre au
monastère, on n’y entre pas pour exercer une profession, ou jouer un rôle. Si
on avait une profession avant d’entrer, on cesse de l’exercer. Il y a là un
dépouillement, un renoncement essentiel pour arriver à la pureté du coeur qui
conduit à une vie de prière. Au début, on accepte assez facilement le fait de
n’avoir aucun rôle, aucune fonction avec laquelle s’identifier et cela nous
aide à découvrir notre véritable identité devant Dieu. Si l’on arrive à cette
identité profonde, on ne sera pas troublé par le fait de ne pas recevoir de
tâches importantes et si l’on en reçoit on ne s’identifiera pas avec elles. Si
une pauvreté du coeur suffisante n’a pas été atteinte dès les premières années
de vie monastique, le danger sera soit de s’identifier aux fonctions que l’on
recevra et de les utiliser comme des occasions d’accomplissement personnel plus
que de service des autres, ou bien de souffrir de ne pas en recevoir et de
sombrer dans l’ennui et l’acédie (dont parle Évagre et Cassien).
On dit souvent que, dans
la mesure du possible, on ne doit pas donner de responsabilités aux personnes
qui sont encore dans les premières étapes de leur formation monastique, afin de
ne pas nuire à leur formation. Il me semble que la perspective principale doit
être de bien veiller à la purification des intentions et des désirs, ce qui
peut se réaliser aussi bien en exerçant des responsabilités, au niveau du
travail par exemple, qu’en étant sevré de telles responsabilités.
Pour chacun de nous, à
quelque étape que nous soyons dans notre vie monastique et quelles que soient
les responsabilités que nous ayons ou non dans la vie communautaire, la
question fondamentale demeure toujours celle que pose un peu crument Benoît (en
citant la parole de Jésus à Judas !) : « Mon ami, dans quel but es-tu venu ? »
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