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9 septembre 2012
Chapitre à la communauté de
Scourmont
L’oblation des enfants par
leurs parents (RB 59)
Après avoir traité, au
chapitre 58, de l’admission de frères en communauté, d’une façon élaborée et
générale, Benoît va, dans les quelques chapitres suivants, traiter de quelques
cas particuliers, tel que la réception de prêtres et de moines venus d’autres
monastères. Le chapitre 59 est certainement l’un de ceux que l’on omet le plus
volontiers de lire ou de commenter, lorsqu’on fait un choix des chapitres que
l’on trouve encore important aujourd’hui. Ce chapitre qui traite de l’oblation
des enfants au monastère par leurs parents est sans doute l’un de ceux qui
sonnent le plus étrange à nos oreilles modernes et qui correspondent à une
époque de l’histoire révolue depuis plusieurs siècles.
En premier lieu, tenant
compte du sens de puer dans le latin
chrétien, il s’agissait de grands adolescents, plutôt que d’enfants au sens
actuel du mot. Et puis Benoît se situe dans la culture de l’Empire romain, où c’étaient
les parents qui, en suivant des codes très précis, décidaient de l’avenir de leurs
enfants, en organisant leur mariage, souvent à un âge très jeune. De même, tout
comme des enfants étaient consacrés à Dieu dans le judaïsme et élevés à l’ombre
du Temple, de même des enfants – ou plutôt de grands adolescents -- étaient
consacrés à Dieu dans la vie monastique. On avait alors conscience de leur
faire une faveur alors que de nos jours on est plus attentif au fait qu’on ne
respectait pas leur liberté et hypothéquait leur avenir. Cette problématique a
des points communs avec la question du baptême des enfants, qui acquièrent des
obligations avant de pouvoir les choisir librement.
C’est d’ailleurs un point
sur lequel Benoît innove par rapport à la tradition monastique antérieure. Pour
saint Basile, par exemple, l’engagement au célibat ne pouvait se faire qu’à
l’âge adulte, lorsqu’on était en état de comprendre ce que signifiait la
renonciation au mariage. Ce fut d’ailleurs la position de toute l’Église
ancienne, en Orient comme en Occident, avec saint Augustin et jusqu’au pape
saint Léon. La tradition bénédictine postérieure des « écoles
monastiques », où des jeunes sont formés au monastère, mais sans être
membres de la communauté, avait d’ailleurs des antécédents chez saint Basile,
en Cappadoce.
En réalité, lorsque
Benoît parle d’enfants « minores aetate »,
il parle de l’âge légal et il traite surtout dans ce chapitre des problèmes
d’héritage et de propriété matérielle. De ce point de vue matériel, Benoît
n’est pas du tout soucieux que la part d’héritage qui devait revenir à l’enfant
passe au monastère (contrairement à plusieurs groupements modernes de caractère
sectaire). Il prévoit plutôt que les parents en fassent ce qu’ils veulent mais
qu’ils n’en réservent rien pour l’enfant. Cette façon de déshériter l’enfant,
en que sorte, nous paraît cruelle, mais dans l’esprit du temps le but était
d’assurer à l’enfant une pleine liberté de coeur. (En réalité la liberté de
choix est affectée tout autant par la présence que par l’absence d’une
fortune). Toujours est-il qu’il n’est pas très facile de réconcilier cette
pratique, telle qu’elle est décrite dans ce chapitre de la Règle, avec
l’insistance de Benoît dans le chapitre précédent sur le fait que celui qui se
convertit à la vie monastique à l’âge adulte doit le faire en pleine
connaissance de cause et après longue et mûre délibération.
Quoi qu’il en soit des
interprétations historiques, réfléchissons un peu sur l’âge auquel on peut
commencer une vie monastique. Il y a une cinquantaine d’années, on entrait
souvent au monastère ou dans la vie religieuse au début de la vingtaine et même
plus tôt. (Le cardinal Martini, qui vient de mourir, était entré chez les
Jésuites à 17 ans). Aujourd’hui, l’âge considéré normal dans la plupart des
monastères d’Europe et d’Amérique est plutôt vers la fin de la vingtaine et
même plus tard. Dans les autres continents cela varie beaucoup plus.
Y a-t-il un âge idéal ?
Non ! L’important est que le candidat ait la maturité suffisante pour faire un
choix éclairé, tel que décrit dans le chapitre précédent de la Règle, que j’ai
récemment commenté. L’âge auquel on atteint à cette maturité varie énormément
d’une culture à l’autre et même d’une personne à l’autre au sein d’une même
culture. Dans les pays les plus matériellement développés, où les jeunes ont
très tôt l’occasion de faire toutes sortes d’expériences et de poursuivre une
grande variété d’études et de formations, on constate que l’adolescence s’étale
sur une période beaucoup plus longue qu’autrefois -- et par les deux bouts.
C’est-à-dire que l’adolescence commence plus tôt et dure beaucoup plus
longtemps. Il n’est pas rare de rencontrer aujourd’hui des jeunes de 25 ans,
peut-être très cultivés, et ayant fait beaucoup d’expériences dans plusieurs
domaines, mais n’ayant pas la maturité qu’avait souvent un jeune de 17 ou 18
ans il y a une quarantaine d’années. Par ailleurs, dans d’autres continents, on
constate que les jeunes vivant dans des situations de guerre ou dans d’autres
situations de misère matérielle ont souvent, à un âge encore très jeune, une
grande maturité, même s’ils n’ont pas eu la chance d’étudier beaucoup.
Tout cela concerne une
première question : à partir de quel âge peut-on entrer dans la vie monastique
? Il y a une autre question : jusqu’à quel âge peut-on entrer dans la vie monastique
? Certaines communautés déterminent un âge limite – parfois assez jeune – 35 au 40 ans. D’autres communautés mettent la barre à 60 ou 65.
En cela aussi il me semble qu’on ne peut établir un chiffre absolu. L’important
est de savoir si la personne qui se présente au monastère est capable d’adopter
une attitude de disciple. Ce qui ne veut pas dire faire abstraction de toute
l’expérience humaine et spirituelle et de toutes les connaissances qu’elle peut
avoir acquises, mais bien se laisser initier à une voie spirituelle nouvelle.
Certains ont encore cette attitude à 65 ou 70 ans (et plus...) ; d’autres ne
l’ont pas à 35 ou 40 ans... ou ne l’ont jamais eue. Être capable de se
constituer disciple – disciple d’une tradition spirituelle plutôt que d’une personne
-- quel que soit son âge, est essentiel à la vie monastique.
Au fond la véritable
question est : « à quel âge Dieu peut-il appeler á la vie monastique ? » et à
cette question Dieu seul peut répondre. Et nous savons que, concrètement, il
appelle à tout âge. Pour nous, la seule chose que nous pouvons faire, lorsque
quelqu’un se présente au monastère, est de nous efforcer de voir, quel que soit
son âge, s’il cherche vraiment Dieu, et s’il est capable de vivre la forme de
vie de la communauté où il se présente, sous une règle et un abbé. À mon avis,
cette capacité d’accepter pleinement la communauté où l’on veut entrer, sa
règle de vie et le ministère de l’abbé est le signe par excellence d’une
vocation monastique quel que soit le petit ou le grand nombre des années.
De plus, la vocation
n’est pas une chose que l’on reçoit une fois dans sa vie, à un moment
déterminé. C’est un appel constant que Dieu nous fait tout au long de notre
vie. Et c’est pourquoi, quel que soit notre âge, nous devons être sans cesse à
l’écoute de cet appel que Dieu nous fait sans cesse, nous constituer chaque
jour disciples du Christ en nous mettant à l’école de l’Évangile et nous
constituer également disciples de cette « école du service du Seigneur »
établie par Benoît dans sa Règle, telle qu’elle est vécue dans notre
communauté.
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