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26 août 2012 – Chapitre à la
Communauté de Scourmont
De la façon de recevoir les frères (RB
58c)
Je commençais il y a trois semaines le
commentaire du chapitre 58 de la Règle de saint Benoît sur la réception des
frères, que j’ai continué le lendemain, lors de la prise d’habit de frère
Marco. Nous avons vu comment saint Benoît tient à ce qu’on s’assure de ce que
cherche vraiment le candidat qui se présente à la porte du monastère. Cherche-t-il vraiment Dieu ? C’est la seule question qui compte vraiment.
Tout discernement vocationnel doit en revenir à cela.
Un ancien reçoit la tâche de faire ce discernement au
cours d’une période d’un an qu’on appelle maintenant le « noviciat »
(et qui de nos jours est de deux ans. Nous avons vu également que Benoît divise
son année de noviciat en trois périodes inégales : deux mois, six mois et
quatre mois. La première période – dont
j’ai parlé lors de la prise d’habit de Marco semble consister à s’habituer à la
vie monastique, à la découvrir à travers le rythme de la vie quotidienne. Ce n’est qu’après ces deux mois qu’on lit au
candidat la Règle. Au début de cette
période on l’a tout simplement averti des exigences générales de la vie
chrétienne « les voies dures et âpres par lesquelles on va à
Dieu ».
Benoît prévoit donc qu’au bout de ces deux mois, on lira au
candidat la Règle pour la première fois s’il « promet de persévérer dans sa stabilité ». On retrouve en cette
brève phrase trois notions complémentaires : d’abord celle de « stabilité », qui a chez Benoît une
certaine connotation militaire – tenir ferme devant le danger --, puis celle de
« persévérer » dans cette
stabilité, et enfin la « promesse »
de persévérer. Jusqu’à maintenant il ne
s’est agi que de discernement de part et d’autre. Maintenant il doit y avoir un premier
engagement, une promesse de la part du candidat de vouloir s’insérer de façon
stable dans la vie monastique qu’il a appris à connaître un peu en la vivant. C’est
alors – et alors seulement -- qu’on peut lui lire pour la première fois la
Règle.
Benoît prévoit aussi qu’on lise alors
la Règle au candidat en entier. En effet, chacun des éléments de la Règle n’a de sens que s’il est
replacé dans le contexte spirituel de l’ensemble de la Règle. Lorsque nous
lisons un chapitre de la Règle par jour, cela a du sens pour nous parce que
nous avons déjà lu et entendu la Règle en son entier plusieurs fois et pouvons
ainsi comprendre, quoique d’une façon toujours nouvelle, chaque chapitre en
l’interprétant à la lumière de l’ensemble. Pour celui qui vient de commencer à vivre la vie monastique il est
nécessaire d’en avoir très tôt une lecture complète.
De nos jours, après 15 siècles, lire
la Règle en entier soulève une autre
problématique. Dans sa Règle Benoît
transmet l’orientation spirituelle qu’il a apprise de la tradition monastique
antérieure et de sa propre expérience, en l’appliquant au contexte culturel de
son Italie du 6ème siècle. Il
va sans dire qu’un très grand nombre des prescriptions pratiques de la Règle ne
pourraient pas être appliquées telles quelles de nos jours. La tentation est grande parfois de ne lire de
la Règle que les passages qui peuvent encore s’appliquer de nos jours. Ce
serait une erreur. La Règle est un tout dont le sens ne peut être saisi que si
on le prend dans son ensemble. Notre
préoccupation ne doit pas être de choisir dans ce grand document spirituel les
prescriptions qui peuvent être encore appliquées de nos jours, mais bien d’en
saisir l’esprit afin d’appliquer nous-mêmes cet esprit de nos jours.
C’est après cette lecture Benoît veut
qu’on dise au candidat : « Voici la loi sous laquelle tu veux
militer. Si tu peux l’observer, entre,
sinon, retire-toi librement ». On
trouve ici plusieurs éléments marqués d’une grande sagesse. On a déjà dit au candidat quelles sont les
exigences fondamentales de la vie chrétienne. Ce sont là des exigences absolues pour tout Chrétien. Mais ni la vie monastique, ni la Règle selon
laquelle elle est vécue, ne sont des exigences absolues. C’est une voie entre d’autres d’arriver au
but. On doit se sentir bien libre de
l’assumer ou non. Et on ne doit
l’assumer que si on peut la vivre. « Si tu peux, entre ; si tu ne peux pas, retire-toi ». J’ai commenté ce choix libre lors de la
prise d’habit de Marco.
Une fois cette lecture de la Règle
faite et cette promesse émise, commence une période plus longue, de six mois,
au cours de laquelle se fait l’essentiel du discernement avec le père spirituel
et de l’apprentissage de la vie monastique. Durant cette période ce qui avait
été assimilé par osmose durant les deux premiers mois prend son sens au contact
de la Règle. En réalité ces six mois et
les quatre mois suivants constituent en quelque sorte une seule période
d’initiation et de discernement. Rien ne
les distingue l’une de l’autre. Cependant l’expérience a montré à Benoît qu’il est utile, au bout de six
mois, de lire une deuxième fois la Règle. Pourquoi ? « Pour qu’il
sache –dit-il -- à quoi il s’engage » (ut sciat ad quod ingreditur – on pourrait traduite : « dans quoi il s’est embarqué !). Toujours cette même préoccupation d’un
engagement libre et lucide.
Finalement, après les quatre derniers
mois, on lit de nouveau la Règle et le candidat peut être reçu dans la
communauté. À quelles conditions ?
– S’il promet d’observer tout ce qui se trouve dans cette Règle et tout ce qui
lui sera commandé – conformément à cette Règle. Cependant, même après ce long discernement, cet engagement ne doit pas
être fait à la légère. C’est un
engagement que seul le candidat lui-même peut faire. Il doit donc le faire « après avoir
délibéré avec lui-même » (habita secum deliberatione). De telles décisions, qu’on est en définitive les seuls à pouvoir
prendre, sont les moments privilégiés de solitude dans la vie d’une
personne. Cette solitude est beaucoup
plus vraie et exigeante que toutes les formes extérieures de solitude.
En bon Romain, Benoît ne peut manquer
alors de rappeler au candidat qu’une fois qu’il a fait cette promesse, après
une telle préparation et une telle délibération, il ne lui sera plus permis de
se défaire du joug de la Règle.
Tout cela peut nous sembler une
approche bien terre-à-terre et juridique. Son sens mystique est exprimé dans la partie suivante du chapitre 58, où
Benoît décrit le rituel liturgique par lequel se célèbre l’incorporation du
nouveau moine à la communauté. L’ouverture mystique est toujours là, chez Benoît. Mais il ne
court-circuite jamais le processus humain préparatoire. Il faut d’abord assurer les bases
psychologiques et sociales, pour que l’élan mystique soit authentique.
-- Nouvelles du Kivu et du Rwanda
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