Chapitre du 5 août 2012

Abbaye de Scourmont

 

De la réception des frères (RB 58)

 

          Dans notre commentaire de la Règle, nous arrivons aujourd’hui au chapitre 58, qui est l’un des plus beaux et des plus riches de la Règle.  On y trouve le noyau de la compréhension qu’a Benoît de la vie monastique et de la façon d’y être graduellement intégré.  Les chapitre 58 à 66 forment une unité et, selon la plupart des commentaires, constituaient la conclusion de la Règle dans sa forme primitive, avec, à la fin du ch. 66 la recommandation de lire souvent cette Règle en public. Le chapitre 58 parle de la réception des frères en général, puis les chapitres suivants qui commencent tous de la même façon par Si quis... (Si quelqu’un...) : on y parlera dans enfants (ou plutôt des adolescents) amenés au monastère, puis des prêtres, ensuite des moines étrangers.

 

          Le chapitre 58, qui nous occupera aujourd’hui et demain, et sans doute quelques dimanches, est composé de deux grandes parties. La première traite de la réception des postulants et de leur initiation durant leur première année au monastère ; la deuxième décrit la cérémonie d’engagement définitif.

 

          Le premier verset dit qu’on ne fera pas entrer facilement celui « qui venit ad conversationem », ce qu’on peut traduire par qui « qui vient pour changer de vie », ou tout simplement « qui vient pour embrasser la vie monastique ».

 

          Benoît, selon sa caractéristique, ne parle pas d’une réalité abstraite comme, par exemple, du discernement des vocations ou de la formation, mais bien de la personne. Et il parle d’une personne qui « vient ». De nos jours, quand les vocations sont plus rares que par le passé, on nous demande souvent ce que nous faisons comme « pastorale des vocations », c’est-à-dire ce que nous faisons pour attirer des vocations. Aller à la recherche de candidats à l’extérieur du monastère ou même essayer de les attirer par des initiatives diverses n’a jamais été l’approche de la tradition monastique. Autre chose est faire connaître notre forme de vie chrétienne ; et cela est sans doute plus nécessaire de nos jours où nous vivons dans un univers sécularisé qui est tout autre que la « chrétienté » du Moyen Âge. Certains monastères de notre Ordre ont mis sur pied des initiatives intéressantes en ce domaine.

 

          De toute façon, c’est Dieu qui appelle, et cet appel est inscrit dans l’être de chacun. Cet appel se découvre de diverses façons. La Bible nous en donne plusieurs exemples, d’abord avec les récits de la vocation des prophètes dans l’Ancien Testament, puis dans l’appel des disciples dans le Nouveau Testament. Lorsque quelqu’un frappe à la porte du monastère, demandant à y entrer, ce peut être simple curiosité, mais c’est en général parce que c’est là que son cheminement antérieur l’a finalement conduit, que ce soit au début de la vie adulte, ou quelques années plus tard, ou même beaucoup plus tard dans la vie.

 

          Le Prologue de notre Statut sur la Formation souligne (nº 2) comment ce moment doit être perçu, aussi bien par le candidat lui-même que par ceux qui le reçoivent, en lien avec tout ce qui a précédé dans sa vie ainsi que tout ce qui va suivre.

 

Entrer au monastère constitue un moment décisif dans l’histoire d’une vie où l’appel de l’amour éternel de Dieu a déjà été entendu.  L’engagement du Baptême se trouve alors exprimé d’une manière nouvelle.  L’itinéraire va avoir pour but la transformation progressive de la personne à la ressemblance du Christ par l’action de l’Esprit de Dieu.

 

          Non seulement, selon Benoît, il ne faut pas courir après des candidats, mais il ne faut pas leur accorder facilement l’entrée. Évidemment cela semblera un peu étrange de nos jours. Mais cela n’a rien à voir avec le nombre, petit ou grand, de ceux qui se présentent. Il s’agit de discernement. Mais quoi faut-il discerner ?

 

          Aujourd’hui on parle facilement de « discernement des vocations ».  Je crois que cette notion aurait été incompréhensible à saint Benoît. Pour lui, il ne s’agit pas de se demander si quelqu’un « a la vocation », comme si cela pouvait être découvert avec un test sophistiqué. Il s’agit de savoir qu’est-ce qu’il veut, s’il le veut vraiment, si ce qu’il veut correspond à ce que nous avons à lui offrir dans notre communauté, et finalement s’il est capable de le vivre.

 

          Dans le Prologue de la Règle Benoît avait imaginé Dieu passant par les carrefours et demandant : « Qui désire la vie et avoir des jours heureux ».  La Règle est écrite pour ceux qui répondent « oui » à cette question, donc pour ceux qui désirent vivre et être heureux. Il faut, dit Benoît, éprouver les esprits pour voir s’ils sont de Dieu, c’est-à-dire chercher à comprendre les véritables motifs de celui qui, tout à coup, désire entrer au monastère – motifs qui sont toujours un peu mélangés, quel que soit l’âge du candidat. Dans le contexte culturel de son temps, Benoît parle de laisser le candidat frapper plusieurs jours à la porte et de rebuffades. On trouve, de nos jours, d’autres façons de voir si le candidat est vraiment sérieux.

 

          L’entrée, même l’entrée initiale, est très progressive chez Benoît. Il y a là une sagesse. Lorsqu’une personne quitte une forme de vie pour en assumer une autre, il est important qu’elle puisse faire bien consciemment ce passage. Il faut passer par une sorte de vide. C’est en quelque sorte un « rite de passage » comme dans les traditions shamaniques. Il y a un deuil à faire de ce qu’on laisse, et un sérieux regard, encore un peu de l’extérieur, sur ce que l’on va assumer. Si un candidat qui, par exemple, a beaucoup lu sur la vie monastique ou sur la vie spirituelle en général, entre et continue de remplir ses journées ou en tout cas tout son temps libre de ces mêmes lectures, il ne fera jamais ce « passage », cette transition qui est pourtant essentielle.  Il risque alors de n’être jamais « entré » au monastère, même s’il y vit le reste de ses jours.

 

          Benoît prévoit que le candidat, après le discernement initial, demeurera quelques jours « dans la maison des hôtes ».  Rien n’est prévu pour ces quelques jours, sinon que le candidat les passe « dans la maison des hôtes ». Le discernement initial a déjà été fait et ce qu’on appellerait aujourd’hui la formation n’a pas encore commencé. C’est une transition durant laquelle le candidat, tout en sachant qu’il est admis à entrer dans une forme de vie, se trouve encore avec des hôtes de passage qui n’ont pas fait ce choix.  Cela lui donne le temps de se positionner, de bien voir le mode de vie qu’il laisse avant d’assumer celui qu’il a choisi.

 

          Ce n’est qu’après ces quelques jours qu’on l’introduira à ce qu’on appelle aujourd’hui le « noviciat » et que Benoît décrit d’une façon très concrète et un peu surprenante comme le lieu où les novices « méditent, mangent et dorment ». Cela veut dire que les novices, qui célébreront l’Office divin (Opus Dei) et travailleront avec l’ensemble de la communauté, auront un lieu propre où ils vivront le reste de la journée et de la nuit sous la supervision d’un ancien.

 

          ***

          Nous poursuivrons demain, au moment où Marco prendra l’habit, le commentaire de la section de ce chapitre 58 où Benoît décrit comment se passe la vie du novice durant le noviciat qui, du temps de Benoît, durait une année.

 

Armand VEILLEUX

 

 

 

 

 


 

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