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1 juillet 2012
Chapitre à la Communauté de
Scourmont
Des vêtements, des chaussures et de la literie des frères (RB 55)
Jusqu’ici, dans le nouveau commentaire
de la Règle que je fais depuis l’an dernier, j’ai en général ignoré le
commentaire que j’en avais fait il y a dix ans. Mais pour le chapitre 55, sur « les vêtements, les chaussures et la
literie des frères », je ne vois pas beaucoup de choses nouvelles à dire,
et je me répéterai donc. Ce chapitre de la Règle est un de ces chapitres dont les détails concrets
sont tellement liés à un contexte culturel lointain du nôtre, qu'il serait
ridicule de vouloir les commenter l'un par un, et encore moins les appliquer
tels quels de nos jours. Ce qui frappe, c'est la préoccupation fondamentale de
Benoît qui est une préoccupation de pauvreté et de simplicité.
La
première chose sur laquelle Benoît insiste est la simplicité. Bien sûr, on
verra à ce que les vêtements correspondent au climat, puisque leur but premier
est de protéger le corps – ils seront plus épais pour l'hiver et plus légers
pour l'été. Ils devront aussi être de la taille adaptée à la personne (quand je
suis entré au noviciat, le moine en charge du "vestiaire" m'a dit
qu’on avait le choix entre deux grandeurs: trop petit ou trop grand...). Mais à
part ça, dit Benoît, les frères ne se préoccuperont pas de la couleur ou de la
"grossièreté" des vêtements; ils prendront ce qu'ils peuvent acheter
à bon prix dans la région où ils habitent.
La
seconde chose importante pour Benoît est d'éviter l'esprit d'accumulation. Il
est si facile d'accumuler les paires de chaussettes, les chemises, ou les
caleçons!... Sans doute une sorte de compensation pour toutes les choses plus
importantes auxquelles on a renoncé. En bon psychologue Benoît rappelle à
l'abbé l'obligation de voir à ce que tous aient tout ce dont ils ont besoin,
afin d'éviter le prétexte d'accumuler en prévision du manque.
Benoît
ne manque pas l'occasion de faire encore ici allusion au "communisme
intégral" de la première Communauté chrétienne de Jérusalem, où tout était en commun mais où tout était distribué selon
les besoins de chacun. L'égalité ne consiste pas à ce que tous aient exactement
la même chose, mais à ce que chacun ait exactement ce dont il a besoin. Et les
besoins dont il faut tenir compte sont autant d'ordre psychologique que
physique.
On
chercherait en vain dans la Règle une mystique de l'habit monastique comme si
le fait de s'habiller différemment du reste des mortels avait une signification
spirituelle. La description que Benoît donne des éléments de l'habit des moines
de son monastère montrent bien que cet habit n'était pas différent de ce que
portaient les personnes ordinaires de son temps. La "coule" dont il
parle n'est certes pas l'habit choral que nous connaissons.
Si
l'on se préoccupe d'avoir des vêtements simples, coupés dans le tissu qu'on
peut trouver à bon marché dans la région, il est presque inévitable qu'on
arrive très vite à avoir pour tous les moines d'une communauté des vêtements à
peu près identiques. C'est sans doute ainsi qu'assez tôt s'est développée une
forme d'habit plus ou moins propre aux moines et qu'on appelle "habit
monastique". Dans une chrétienté médiévale, cet "habit" a pu acquérir, pour un temps, une certaine valeur de
"signe", rappelant aux fidèles qui voyaient les moines ou les
moniales les valeurs spirituelles que ceux-ci et celles-ci s'engageaient à
vivre. De nos jours, même si un certain nombre de raisons peuvent encore
militer en faveur du maintien d'un habit distinct, celui-ci n'a plus du tout sa
valeur de "signe" dans nos cultures contemporaines. Il est devenu un
simple moyen d'identification. Certaines communautés monastiques ont opté pour l'utilisation
de vêtements ordinaires dans la vie courante, utilisant la coule comme vêtement
monastique durant la liturgie. Cela me semble tout à fait légitime et même
conforme à l'esprit de la Règle. Par ailleurs je ne vois pas que le fait
d’ajouter un capuchon à des vêtements plus ou moins ordinaires leur donne un
caractère « monastique ».
Pour
les voyages, Benoît prévoit déjà que l'on porte des vêtements d'une qualité un
peu meilleure, que l’on remettra au vestiaire au retour. C'est là une attitude
de respect pour les personnes au milieu desquelles on ira. Certains moines
préfèrent voyager avec leur habit "monastique"; d'autres préfèrent
voyager vêtus "comme tout le monde"; d'autres préfèrent une tenue
civile légèrement "monastifiée" (par
l’ajout d’un capuchon !). Il y a de bonnes raisons pour chaque attitude et
il serait puéril d'en discuter.
Il
convient surtout, me semble-t-il, de ne pas développer une sorte de mystique de
l’habit monastique, qu’on ne trouve pas du tout chez Benoît. Il y a quelque chose de semblable avec la
tendance chez certains séminaristes et certains jeunes prêtres de revenir aux
coutumes vestimentaires d’avant Vatican II. Que certains sentent le besoin de
s’identifier clairement comme clercs, c’est tout-à-fait légitime. Mais on doit
être bien conscient que, dans le contexte culturel actuel, il s’agit tout
simplement d’un signe identitaire qui n’a pas dans l’esprit de nos
contemporains de valeur symbolique. La plupart du temps, on se contente de
porter une petite croix ; mais on peut légitimement se demander si l’on
respecte vraiment tout ce que la croix représente pour un disciple du Christ en
l’utilisant comme simple signe d’identification.
Une chose est
certaine : ce qui est important pour Benoît, en ce domaine comme dans beaucoup
d'autres, c'est non pas de "s'afficher comme moine" ou de
"craindre de s'afficher comme moine" ou simplement de se "faire
reconnaître comme différent", mais tout simplement de pratiquer la plus
grande simplicité et la plus grande pauvreté possible en tenant compte du
contexte social aussi bien que climatique.
Armand VEILLEUX
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