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29 avril 2012 – Chapitre pour la
Communauté de Scourmont
Brèves absences du monastère (RB 51)
Saint Benoît établit
constamment un lien entre la prière commune et les repas pris en commun. Aussi,
n’est-il pas surprenant qu’après le chapitre 50, sur l'accomplissement de l'Opus Dei par les frères, en communion avec la communauté, même lorsqu'ils sont loin de
l'oratoire ou en voyage, il introduise un tout petit chapitre sur les frères
qui sont envoyés en voyage à une distance leur permettant de revenir le jour
même. Cependant l'objet de ce bref chapitre n'est pas les temps de prière mais
le fait que le moine qui se trouve dans cette situation ne doit pas prendre la
liberté de manger à l'extérieur, à moins d'en avoir reçu l'ordre.
Il
faut tout d’abord faire remarquer que les notions de distances sont tout à
faire différentes aujourd’hui de celles qu’elles étaient du temps de
Benoît. À ce moment il s’agissait de la
distance qu’on pouvait faire soit à pieds, soit à dos de cheval ou d’âne au
cours d’une journée, en prenant soin de rentrer à la maison avant le coucher du
soleil. Aujourd’hui on peut quitter Scourmont le matin pour participer à une
réunion à Rome, en Italie, (prenant l’avion à Charleroi) et revenir coucher à
Scourmont le soir.
Il
faut aussi prendre en considération le fait que, dans une église de
« Chrétienté », le statut visible du moine et donc aussi son mode
extérieur de vie, ses jeûnes, tout comme sa façon de s’habiller, avaient pour
l’ensemble de la population une valeur symbolique portant un message que tous
comprenaient, qu’ils le reçoivent ou non. Les changements radicaux intervenus
depuis quelques siècles entre le champs de la foi et
celui de son expression à travers des symboles religieux a changé radicalement
cette donne. Le moine appelé à sortir du monastère pour un service de la
communauté ou un service de l’église ou de la société au nom de la communauté,
doit témoigner par la qualité de sa vie et de ses relations plutôt qu’en se
singularisant pour affirmer son identité de moine en essayant de maintenir à
l’extérieur du monastère des particularités rituelles ou autres qui
caractérisent la communauté monstique.
Au
début de ce chapitre 51, il y a une petite phrase, qui semble anodine, mais qui
est pleine d’enseignement : Frater qui pro quovis responso dirigitur --
Le frère qui est envoyé faire une commission ou pour exercer une responsabilité
(responso) quelconque. Arrêtons-nous un peu à
ce qu’implique cette phrase.
Le moine ayant
choisi une vie de solitude passe normalement son existence à l'intérieur du
monastère. Seules les responsabilités qui lui sont confiées l'amènent à sortir.
L'authenticité d'une vie de solitude ne se juge pas à la fréquence des sorties
mais à leur nature et surtout à leur motivation. Outre les raisons de santé ou
d'études (surtout au cours de la période de formation) le moine ne sera appelé
à sortir du monastère que pour un service de la communauté ou un service à des
tiers au nom de la communauté. Le moine qui a une vie de prière profonde, est heureux
de pouvoir demeurer aussi constamment que possible dans la solitude et, par
ailleurs, sa vie de prière n'est pas troublée s'il est appelé, pour le service
de la communauté à sortir, que ce soit rarement ou fréquemment. Lorsqu'il revient au monastère, il y est
immédiatement tout entier présent, son esprit ne continuant pas de voyager dans
les endroits où il est passé. D'autre part, il n'est pas impossible que
quelqu'un qui ne sort jamais du monastère, voyage par l'imagination plus que
quiconque. Tout dépend de l'endroit où s'enracine la stabilité du coeur et de
la recherche de Dieu.
La
communauté monastique a nécessairement des liens nombreux et divers avec
l'Église et la grande communauté humaine. Afin de vivre en communion avec
l'Église et l'Humanité, le moine a besoin d'être informé des grandes
préoccupations et des grands défis de ses frères et soeurs dans le monde. Les
moyens modernes de communication (poste, téléphone, journaux, Internet) lui
facilitent cette communion. En même temps, ils constituent un danger de
dispersion et exigent du moine une ascèse continuelle dans l'utilisation de ces
moyens de communication afin qu'ils soient de véritables moyens de communion
sans devenir des moyens de distraction continuelle. C'est cette ascèse personnelle
qu'il importe de développer plutôt que d'essayer de contrôler l'accès à ces
sources d'information par des règlements ou des restrictions.
Dans
le petit chapitre 51 de la Règle, que je commente ce matin, Benoît dit que le
moine qui est en voyage, s’il espère pouvoir revenir au monastère le jour même,
doit s'abstenir de manger à l'extérieur. Sans s'arrêter à la matérialité de
cette prescription, qu'il serait difficile, pour diverses raisons, d'appliquer
à la lettre aujourd'hui, essayons d'en percevoir l'esprit, qui est d'une
application beaucoup plus large.
La
nourriture servie au monastère est suffisante mais sobre et elle correspond à
un régime végétarien. À l'extérieur, le moine se verra offrir la plupart du
temps des mets de qualité supérieure et d'une plus grande variété. L'idée
fondamentale de Benoît est que le moine qui se trouve à l'extérieur du
monastère pour remplir un service, ne doit pas en prendre prétexte pour se
permettre des luxes que n'ont pas ses frères demeurés au monastère. Benoît est,
en ce domaine, tout à fait dans la ligne de la grande tradition cénobitique.
Ce
qu’il dit des brèves absences du monastère peut donc s'appliquer beaucoup plus
largement. Au sein d'une vie commune il y a toujours un grand nombre de
services à se rendre mutuellement. Plusieurs de ces services comportent des
responsabilités, et ces responsabilités donnent facilement accès à des
privilèges. La communion fraternelle conserve toute sa qualité dans la mesure
où chacun exerce ses responsabilités dans un esprit de service; elle est
affaiblie chaque fois qu'une "responsabilité" est vécue comme réponse
à un besoin personnel de l'exercer ou sert d'occasion à se permettre des
avantages matériels ou autres que n'ont pas les autres frères.
C'est
un domaine où tout est si subtil qu'il serait illusoire de vouloir réglementer.
La communion fraternelle ne se bâtit pas par l'application de règlements. Il
est plus important de développer le respect profond pour chacun et le sens du
service aussi détaché que possible, à l'image du Christ qui est venu, comme il
le dit Lui-même, non pas pour être servi, mais pour servir.
Armand Veilleux
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