Scourmont, le 22 avril 2012

Chapitre à la communauté

 

 

L’Office divin lorsqu’on est absent de la prière commune (RB 50)

 

Les frères qui sont allés très loin pour le travail et ne peuvent arriver à temps à l’oratoire

-- l’abbé jugera s’il en est ainsi –

feront le service de Dieu là-même où ils travaillent,

agenouillés et pénétrés de la crainte de Dieu.

De même ceux qui sont en voyage n’omettront pas les Heures prescrites.  Ils feront du mieux qu’ils peuvent, en leur privé, sans négliger de s’acquitter de l’obligation de leur service.

 

Ce chapitre de la Règle traite de la façon dont les frères doivent s’acquitter de l’Office Divin lorsqu’il ne leur est pas possible d’être présents à la célébration commune au chœur.  Deux cas sont prévus.  Dans le premier, il s’agit des frères qui travaillent au monastère ou sur la propriété du monastère, mais à une distance qui ne leur permet pas de revenir à l’église pour la prière commune.  Il doit s’agir essentiellement de la prière des Petites Heures – Tierce, Sexte et None. Dans le deuxième cas, il s’agit de ceux qui sont en voyage.  Benoît parle au pluriel.  Il parle « des frères ».  Il semble donc prévoir, dans chacun des deux cas la présence ensemble d’un petit groupe de frères, et non pas la situation d’un frère qui, pour une raison ou une autre, est absent de la prière communautaire.

 

Les frères qui sont au travail loin de l’église ou qui sont en voyage ne doivent jamais oublier l’obligation fondamentale du moine, celle de la prière continuelle.  Mais ils ne doivent pas oublier non plus, qu’ils font partie d’une communauté. Lorsque la communauté se réunit, les frères qui ne peuvent être présents à l’Office à cause d’autres obligations communautaires doivent s’efforcer de s’unir visiblement à la prière commune.

 

À l’époque où le travail par lequel les moines gagnaient leur vie était la plupart du temps un travail agricole, il arrivait souvent qu’une partie de la communauté soit aux champs à l’heure où les autres moines priaient à l’église, surtout à l’époque des récoltes, et en général au moment des Petites Heures. On apportait alors un certain nombre de psautiers pour pouvoir célébrer les Offices sur le lieu du travail à l’heure voulue. Cela se fait encore en certaines communautés lorsqu’une partie des frères se retrouvent ensemble, généralement pour un travail de caractère plus industriel qu’agricole.

 

La situation contemporaine est généralement différente. D’une part il faut sans cesse se rappeler que rien ne doit être préféré à l’Office divin ; d’autre part il existe de nombreuses situations où un service de la communauté nous empêche d’être présents à tel ou tel office. Si l’on est en train de rencontrer une personne à l’hôtellerie, par exemple pour direction spirituelle, il est en général assez facile de terminer la rencontre en temps pour aller à l’Office et permettre à la personne rencontrée de le faire elle aussi.  Par ailleurs si l’on est au milieu d’un Conseil d’administration qui dure plusieurs heures, ou si l’on vient de recevoir un représentant commercial qui doit lui aussi respecter son propre horaire de travail, il ne convient pas la plupart du temps de leur dire : « attendez un quart d’heure, je dois aller prier, puis je reviendrai ».  Dans ces cas, l’obligation individuelle n’est pas de réciter en privé les mêmes psaumes, les mêmes lectures et les mêmes oraisons qu’on trouve dans la prière chorale (ce serait d’ailleurs assez difficile, maintenant qu’on n’a plus un « bréviaire » unique et identique pour tous). Il y a quand même l’obligation de veiller à conserver l’équilibre entre travail, lectio, prière privée et prière commune.

 

Depuis que nous avons supprimé dans nos communautés la présence de deux catégories de membres – les convers et les choristes –, tous les membres de la communauté peuvent être appelés à remplir parfois des tâches qui étaient autrefois réservées aux frères convers, qui avaient un Office Divin différent de celui des choristes ; et cela peut empêcher certains de venir à tel ou tel office.  L’important est que cette absence des Offices soit vraiment justifiée par un service communautaire et non pas la conséquence d’une fantaisie personnelle.

 

Je viens d’utiliser le mot « service communautaire ».  Ce mot « service » revient souvent sous la plume de Benoît.  Il l’avait utilisé dans le chapitre 49, sur l’observance du carême, pour désigner l’ensemble des obligations du moine.  Il l’utilise ici, dans l’expression servitutis pensum, pour désigner l’obligation de ne rien préférer au service de Dieu.

 

Et puis, il y a la situation où l’on est en voyage, qui est traitée dans la deuxième partie de ce chapitre. L’important, lorsqu’on voyage, surtout si par nos fonctions on est plus souvent appelé à le faire, est de veilleur à maintenir l’équilibre dans notre vie entre les divers éléments de la vie monastique, et de ne pas négliger de consacrer des moments, tout au long de la journée, où l’on se remet en présence de Dieu pour une prière plus explicite, scandant en quelque sorte une prière continuelle.  Je ne crois pas que, dans le contexte culturel actuel, il soit tellement opportun ou désirable, de le faire de façon ostentatoire.  Lorsque, dans une gare ou dans un train, un frère ou une sœur sort sont bréviaire, fait un grand signe de croix et prend visiblement un air « priant », cela peut édifier quelques personnes croyantes, intriguer quelques autres, offusquer l’une ou l’autre personne et laisser toutes les autres indifférentes.  Il ne faut pas mépriser ces manifestations publiques de prière ; mais je crois qu’une attitude de prière beaucoup plus discrète, au fond du cœur, est au moins tout aussi légitime.

 

Ce qu’il faut retirer de ce chapitre c’est, d’une part, de ne jamais oublier, quelles que soient nos obligations de travail, le besoin de prier sans cesse et d’exprimer visiblement cette prière à certaines heures.  D’autre part, même dans une prière personnelle et parfois solitaire, il ne faut jamais oublier que nous appartenons à une communauté et rester sans cesse en lien avec la prière de la communauté même lorsque d’autres obligations communautaires nous empêchent d’y être présents.

 

Armand VEILLEUX

 

 


 

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