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Scourmont, chapitre du 11 mars 2012
Commentaire de RB 47
Le chapitre 47 de la Règle de saint
Benoît a un titre un peu trompeur : « Comment signaler l’heure de l’Opus Dei ? ». En réalité, ce
titre ne s’applique qu’au premier verset du chapitre. Les trois versets
suivants traitent plutôt de la dignité dans l’exécution de l’Office.
Voici ce que dit le premier
verset :
Il revient à l’abbé d’annoncer l’heure du service de
Dieu, de jour comme de nuit. Qu’il s’en
charge lui-même ou qu’il charge de cette fonction un frère assez vigilant, pour
que tout se fasse aux heures appropriées.
Il est certain que déterminer à quel
moment devait commencer chaque office devait être un peu plus compliqué dans
l’antiquité qu’à notre époque où nous disposons de montres et d’autres
instruments électroniques. De jour, on
avait les cadrans solaires (efficaces lorsqu’il y avait du soleil), mais de
nuit, ce devait être plus aléatoire. Que Benoît rende l’abbé personnellement
responsable que chaque Heure de l’Office se fasse au moment approprié montre
une fois de plus toute la place qu’il donne à l’Opus Dei dans la journée de la communauté monastique. D’ailleurs le
chapitre suivant traitera de l’équilibre entre travail, lectio et prière.
Même si ce précepte de la Règle semble
dépassé par les moyens que donne la technologie moderne, il est en fait
beaucoup plus d’actualité qu’on ne pourrait le penser. Autrefois, avant Vatican II, lorsque l’Office
était en latin, exactement le même d’une année à l’autre, et où tout était
prévu jusque dans les détails et observé de la même façon, que l’on soit en
Europe, en Amérique, en Afrique ou en Asie, on pouvait s’en remettre pour la
bonne marche de la liturgie à un chantre ou à un liturgiste local qui
connaissait toutes les règles. Avec la réforme
postconciliaire, on a laissé une grande liberté à chaque communauté locale dans
le choix des textes, de la musique et aussi dans la structure même des Offices
liturgiques, à l’intérieur d’un certain cadre déterminé dans ce qu’on a
précisément appelé la « Loi Cadre ». Dans cette situation nouvelle,
étant donné la place de la liturgie dans la vie de la communauté, c’est de
nouveau à l’abbé qu’a été confiée la responsabilité de la dignité et de la
qualité de toute célébration liturgique. Dans certains cas cela peut prendre
une bonne partie de son temps. Il peut et doit déléguer certains travaux à
d’autres, mais puisque la liturgie est la prière de l’Église, il reste
responsable devant l’Église non seulement de la qualité d’exécution, mais aussi
du contenu des célébrations liturgiques au sein de la communauté.
Les quelques versets suivants de ce
chapitre parlent précisément de la qualité de la célébration :
Ceux qui en auront reçu l’ordre imposeront, à tour de
rôle après l’abbé, les psaumes et antiennes.
Nul ne prendra la liberté de chanter ou de lire, s’il
n’est capable de remplir cette tâche de manière à édifier les auditeurs.
Cela doit se faire avec humilité, sérieux, profond
respect et sur l’ordre de l’abbé.
On sait toute l’importance qu’a pour
Benoît l’ordre dans la communauté. Cet ordre est déterminé par la date d’entrée
au monastère, et fait donc fi soit de la classe sociale qu’on avait avant
d’entrer, soit de l’âge, soit de l’instruction. Donc, dans l’exercice des
services au sein de la communauté, on suit normalement cet ordre ; mais ce
n’est pas absolu. Benoît considère que la dignité de l’Office divin et surtout
la capacité d’édifier sont plus importantes que le respect de cet ordre. Et le mot « édifier » a ici un sens
beaucoup plus fort qu’il a dans notre langage actuel. Il ne s’agit pas pour Benoît d’être
simplement « édifiant » ; il s’agit de « construire »
la communauté qui écoute (audientes est au
pluriel !), et non seulement chaque individu.
Aujourd’hui, contrairement à l’époque
de Benoît, tout le monde sait lire. Encore, est-il nécessaire que quiconque a
un texte à lire ou une antienne à chanter durant l’Office prenne soin de le
préparer. Il ne s’agit pas simplement de lire des mots ou des phrases de façon
correcte, mais de transmettre le contenu du texte. Pour cela il faut avoir
soi-même compris le texte et donc l’avoir lu auparavant. En théorie un bon
lecteur peut toujours prendre le livre et lire correctement sans avoir préparé
son texte ; mais arrivera toujours des situations où, rendu au milieu de
la phrase il doit se rendre compte (et les autres se rendent compte) qu’il n’a
pas bien interprété son texte. Le respect de la Parole, de l’Office et de la
Communauté demande que quiconque a un service à rendre au sein de l’Office qu’il
s’y prépare bien.
La dernière phrase de Benoît demandant
que tout se fasse « avec humilité,
sérieux et profond respect » est toujours d’actualité, même si, à
l’époque de Benoît, ceux qui savaient lire pouvaient plus facilement se
considérer supérieurs à ceux qui ne le savaient pas. Lorsqu’on lit un texte,
spécialement si c’est un texte de la Bible, c’est le texte qui doit être mis en
valeur et non le lecteur. Ce serait une vanité assez ridicule de vouloir
démontrer au cœur même de la prière liturgique, que l’on a une belle
voix ! De plus, lorsqu’il s’agit de chanter en chœur avec les autres, pour
qu’il y ait unité et unisson, il faut sans cesse s’écouter mutuellement. On ne
peut écouter les autres si l’on s’écoute soi-même chanter !
Une autre tentation dans la lecture
est celle de transmettre ses propres émotions à l’égard d’un texte, surtout si
c’est un texte qui nous touche beaucoup. Le rôle du lecteur n’est pas de
transmettre ses propres émotions ou ses propres sentiments, mais de transmettre
le texte dans toute sa nudité et sa force, afin que chaque auditeur puisse y
réagir avec ses propres sentiments et ses propres émotions. La dynamique peut
être complètement faussée si les auditeurs doivent réagir non pas au texte
lui-même mais aux émotions du lecteur.
Ne rien préférer à l’Opus Dei implique
que l’on ne préfère rien à la Parole de Dieu et qu’on l’approche et la
transmette avec une grande humilité et un grand respect. C’est le message de ce
chapitre de la Règle de saint Benoît
Armand
VEILLEUX
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