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Abbaye de Scourmont
Chapitre du 29 février 2012
Reconnaître ses
fautes (RB 44-45-46)
Dans la série de chapitres de la Règle
que nous commentons depuis quelques semaines, après celui sur le retard aux
Offices, commenté la semaine dernière, il y en a trois que je vais commenter
ensemble aujourd’hui, et auxquels on pourrait donner le titre de
« Reconnaître ses fautes ». Contrairement à la plupart des chapitres
précédents, il n’y a pas en ceux-ci l’affirmation d’un principe spirituel, avec
référence à l’Écriture, suivie des conséquences pratiques qu’on peut en tirer.
On ne trouve qu’un certain nombre de règles pratiques concernant l’attitude à
l’Office divin et au réfectoire pour ceux qui ont commis des fautes.
Il y a tout d’abord un chapitre (RB
44) sur l’attitude que doit observer durant l’Office divin celui qui, pour des
raisons expliquées longuement dans une autre section de la Règle (RB 23-30),
ont été exclus soit de l’Office soit de la table commune. De là on passe à la
réparation des fautes commises durant l’Office (RB 45) et puis de celles
commises ailleurs (RB 46).
Ces chapitres décrivent une
dramatisation de la reconnaissance de leurs erreurs de la part de ceux qui les
ont commises, puis de la réparation de ces erreurs et du plein rétablissement dans
la communion de la communauté. Cette
dramatisation était déjà très diminuée dans nos « Us » d’avant le
Concile, tout en restant très ritualisée. Elle a pratiquement disparue dans notre pratique actuelle. Il reste
cependant important de ne pas perdre, et au besoin, de retrouver la capacité de
reconnaître que tous nos manquements personnels, en particulier ceux commis au
cours d’une célébration communautaire ou d’un travail communautaire, affectent
l’ensemble de la communauté et qu’ils exigent non seulement une certaine
reconnaissance de notre part, mais une réparation.
Cela vaut, évidemment, surtout pour
des actions ou des attitudes qui auraient gravement affecté la vie de la
communauté, et qui ont fait l’objet de sanctions, appelées
« excommunications », dont on a parlé dans les chapitres antérieurs.
Le chapitre 44 prévoit que la personne qui a reconnu sa faute et qui a été
ainsi sanctionnée doit se prosterner a la porte de l’église et à celle du
réfectoire et même au pied de tout le monde et qu’il s’abstienne de remplir
toute fonction durant l’Office jusqu’à ce que l’abbé juge que la satisfaction a
été suffisante et dise « sufficit ». Cette dramatisation est
certainement étrangère à notre mentalité actuelle ; mais nous avons sans
doute besoin de retrouver des moyens d’exprimer visiblement au sein de la vie
communautaire la reconnaissance de nos fautes contre la vie communautaire,
notre regret, et la réconciliation de la communauté. Si nous avons blessé
sérieusement une personne ou la communauté il ne suffit pas de dire « sorry », comme si on avait simplement donné un coup de
coude à quelqu’un sans le vouloir.
Cette considération de la réparation
des fautes graves amène Benoît à parler dans le chapitre suivant de « ceux
qui se trompent à l’oratoire » durant les Offices. Encore une fois, nos
« Us » d’autrefois prévoyaient un rituel assez complexe,
presqu’autant que celui de la Règle, demandant qu’on se prosterne « sur
les articles » (c’est-à-dire en touchant le sol avec les articulations des
main) chaque fois que l’on faisait une faute dans la psalmodie, et qu’on aille
se prosterner de tout son long par terre au milieu du chœur chaque fois que
l’on faisait une erreur sérieuse dans l’exercice d’une fonction, soit celle de
chantre, soit celle d’hebdomadier. Si
l’on appliquait cela de nos jours, où les changements dans la liturgie prêtent
à un plus grand nombre d’erreurs, on assisterait facilement à une gymnastique
continuelle assez imposante ! Mais nous avons sans doute perdu un peu trop
l’importance de la dignité que doit avoir toute célébration, et la
responsabilité que nous avons de nous bien préparer chaque fois que nous avons
un service à rendre durant l’Office, que ce soit celui de chantre,
d’hebdomadier, de lecteur, de psalmiste, etc. Se bien préparer est un respect de Dieu, de la communauté et de
soi-même.
Et puis Benoît passe, dans le chapitre
suivant (RB 46), aux fautes commises dans d’autres moments de la vie
communautaire, en particulier au travail, et de la nécessité de reconnaître ces
fautes dans un certain geste rituel. Nous avons abandonné la plupart de ces gestes rituels, assez élaborés
dans nos anciens Us, sans doute parce qu’ils étaient devenus un peu artificiels
et même ridicules parfois. (Je me
souviens que lorsque j’étais novice, les Us demandaient que lorsqu’on avait
rompu un objet au travail, on s’agenouille à la porte du réfectoire avec cet
objet dans les mains, au moment où passait la communauté. Or, notre père
couturier – le père vestiaire, comme on disait –, qui était un homme très
corpulent, s’agenouillait parfois à la porte du réfectoire en tenant dans ses
mains une aiguille de machine à coudre qu’il avait cassée !).
Ce que l’on doit retenir de ces trois
chapitres de la Règle, c’est l’importance dans toute vie spirituelle – comme
d’ailleurs dans toute vie humaine, tout simplement – de reconnaître ses
erreurs, aussi bien ses erreurs involontaires que ses fautes. Il n’y a pas de
correction possible et donc pas de progrès sans cette reconnaissance. Et lorsqu’on vit en communauté, il est
important de reconnaître que toute erreur, même involontaire, affecte la
communauté et que le respect de la communauté demande que, d’une façon ou de
l’autre, on manifeste à ses frères qu’on reconnaît cette erreur – ou cette
faute – et qu’on s’en excuse et qu’on demande pardon. Avant d’être une attitude
spirituelle, c’est tout simplement une attitude de politesse et de respect.
La dernière phrase du chapitre 46
montre que, pour Benoît, tout cela est différent d’une autre attitude encore
plus importante concernant les fautes secrètes de notre âme. Celles-ci ne doivent pas être exposées en
public mais il faut s’en ouvrir à un père spirituel, qui peut être l’abbé ou un
autre des « pères spirituels », dit Benoît. (Il ne s’agit pas de la
confession sacramentelle privée, qui n’apparaîtra que quelques siècles plus
tard).
En une phrase bien structurée Benoît
décrit l’attitude que doivent avoir ces « pères spirituels » :
d’abord savoir soigner leurs propres blessures, puis celles des autres, et être
d’une discrétion absolue sur ce qu’on leur dit. Il s’agit évidemment d’une
simple allusion à une réalité qui exigerait un traitement beaucoup plus
élaboré : l’ouverture du cœur.
En tout cas cette dernière phrase nous
rappelle, comme le fait souvent Benoît, que toutes les règles qu’exige la bonne
organisation d’une vie communautaire n’ont de sens que si elles nous conduisent
à la pureté du cœur qui nous permet de voir Dieu. Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu.
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