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Chapitre pour le 1 janvier 2012
Abbaye de Scourmont
La solitude de Marie
En complément à l’homélie que je
donnerai tout à l’heure pour cette belle solennité de Marie, Mère de Dieu, j’aimerais
faire quelques réflexions sur la solitude de Marie, qui, la première, vit seule
le Mystère qui se vit en elle.
Saint Luc, dans le texte que nous
avons lu à Noël, dit que « lorsque les temps furent accomplis », Marie
mit au monde Le Premier-né (si l’on traduit littéralement le texte grec), c’est-à-dire
le Premier-né du Père éternel. De même
dans le passage de la Lettre aux Galates que nous avons comme deuxième lecture
ce matin, Paul dit que « Lorsque les temps furent accomplis, Dieu a envoyé
son Fils ». C’est là l’élément
central et essentiel de la foi chrétienne. Que Jésus de Nazareth ait été une personne extraordinaire, un prophète
qui a profondément marqué l’histoire, un grand nombre de personnes de toutes
les religions ou même sans religion le reconnaissent. Le propre de la foi chrétienne est de reconnaître
et d’affirmer que lorsqu’il apparaît, les temps sont accomplis ; l’aspiration
de tous les humains de tous les temps est réalisée ; nous sommes à la fin
des temps. Dieu s’est fait l’un de nous.
Une nouvelle étape commence qui consistera en la graduelle réalisation dans la
pâte humaine de ce qui s’est manifesté en Jésus, né d’une femme, Marie.
Marie est au cœur de ce mystère, comme
ce mystère se vit en son cœur. Le
mystère de Marie que nous célébrons aujourd’hui est celui d’une solitude d’une
profondeur inouïe. Alors que Dieu se
faisait Homme pour sauver toute l’humanité, elle a été absolument, tragiquement
seule à l’accueillir, au nom de tous les humains, en prononçant son « Oui ». Durant ses neuf mois d’attente, elle a été
absolument seule à connaître ce qui se vivait en elle, même si Élisabeth et
Joseph en perçurent quelque chose.
À partir du moment où Jésus est né, c’est
Lui qui est au cœur de l’histoire et de l’attention. L’Évangile la mentionnera rarement et de
façon très discrète. Dans la visite des
bergers à la crèche, racontée dans l’Évangile d’aujourd’hui, il est bien dit,
au début qu’ils trouvent Marie et Joseph, avec le nouveau-né couché dans une
mangeoire ; mais c’est l’enfant qu’ils sont venus voir et c’est de lui qu’ils
parlent à tout le monde. Lorsqu’ils repartent, ils laissent Marie à sa solitude
et à son secret incommunicable. Elle vit des événements qui la dépassent
infiniment, et il n’y a personne avec qui elle peut en parler ; sans doute
même pas à Joseph. Elle ne peut que
retenir et méditer ces paroles et ces événements dans son cœur.
Elle vivra cette solitude, née de sa
mission unique, tout au long de sa vie. Elle en fera l’expérience lors de la présentation de son Fils au Temple,
lorsque Siméon et Anne prophétiseront des choses dont elle seule peut
pressentir – sans comprendre – le sens. Elle garde cela en son cœur. De nouveau, au même Temple, douze ans plus
tard, lors de la « fugue » de Jésus. Et de nouveau encore lorsque Jésus quittera la maison familiale vers l’âge
de trente ans pour une mission incompréhensible – si incompréhensible qu’à un
moment les membres de sa famille voudront aller le prendre pour le ramener à la
maison, car ils pensent qu’il a perdu la tête. Et que dire du moment où elle
veut le voir et qu’il lui fait dire : « Qui est ma mère ? » Elle connaîtra cette solitude au pied du
Calvaire et, de nouveau, après la mort de son Fils, au cœur de la communauté de
croyants qui se constitueront en Église. Toujours elle porte tous ces
événements dans son cœur, les repassant et les méditant.
La solitude de Marie donne un sens et
un éclairage à notre propre solitude. Je
ne parle pas de l’isolement physique
qui est un aspect du mode de vie monastique, ni de l’isolement psychologique que nous pouvons nous fabriquer nous-mêmes,
où dans lequel des événements douloureux peuvent nous retenir un certain temps.
Je parle de la solitude au sens le
plus vrai et le plus profond, celle qui se vit dans notre face à face avec
Dieu, tout au long de notre vie consciente. Cette solitude est faite de tous les instants où nous avons à faire des
choix, à choisir entre un « oui » et un « non » à ce que
nous percevons comme un appel, et où nous sommes absolument seuls à pouvoir et
à devoir faire ce choix. Bien sûr, on a
pu en parler à d’autres, on a pu consulter, peut-être se laisser
influencer. Mais le moment du choix est
un moment de solitude absolue. Personne
ne peut le faire pour nous. Ce sont tous
les instants où nous recevons une « mission » -- qui peut d’ailleurs
n’être rien de brillant et rien de glorieux ou de remarquable, mais quelque
chose que nous devons accepter de faire pour être vrais avec nous-mêmes.
Encore une fois, cette solitude n’a rien à voir avec l’isolement
que j’ai mentionné il y a un instant et encore moins avec l’ennui que l’on peut
ressentir lorsqu’on est en manque d’une compagnie que l’on désirerait. Il s’agit
d’une solitude existentielle – la seule vraie. Sans elle il n’y a pas de vie
contemplative ni de vraie rencontre avec Dieu qui nous engendre sans cesse dans
ce silence et cette nuit.
Marie, Mère de Dieu, est la mère de
toutes nos solitudes. Dans la sienne,
elle a engendré son Fils. Puisse-t-elle
faire des nôtres des matrices d’où jaillisse sans cesse une vie nouvelle.
* * *
En ce premier de l’an, il est de
coutume d’implorer les uns sur les autres la bénédiction sur Seigneur. Il n’y a évidemment pas de formule plus belle
pour le faire que celle que le Seigneur lui-même transmet au prêtre Aaron à
travers Moïse, et que j’aimerais prononcer sur chacun de vous :
Que le Seigneur te
bénisse et te garde !
Que le Seigneur fasse
briller sur toi son visage,
qu’il se penche vers toi !
Que le Seigneur
tourne vers toi son visage,
qu’il t’apporte la paix.
Armand
VEILLEUX
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