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Chapitre du 18 décembre 2011
Le silence de la nuit
– RB 42
Après avoir parlé de l’heure des
Vêpres et du repas du soir qui doit se prendre alors qu’il fait encore jour,
Benoît passe tout naturellement à la lecture commune qu’il prévoit après le repas
du soir, puis au grand silence de la nuit. Le chapitre 42 porte d’ailleurs
comme titre : « Que nul ne
parle après Complies », bien que le contenu du chapitre se rapporte
non seulement au silence de la nuit mais à la lecture qui suit le repas. C’est
quand même le silence qui est l’objet premier, puisque Benoît commence par
l’affirmation solennelle du principe : « En tout temps les moines
doivent cultiver le silence (silentium… studere), mais surtout aux heures de la nuit ».
L’expérience de la nuit tient une
place importante dans l’Écriture Sainte. Aussi bien dans l’Ancien que dans le
Nouveau Testament, la nuit est présentée d’une façon ambivalente. D’une part
l’homme est facilement effrayé par l’obscurité qui crée une situation de
danger. L’obscurité et les ténèbres sont un symbole de la mort et de la
séparation d’avec Dieu. La nuit peut
aussi être un moment de lutte avec Dieu, ou avec son messager, comme dans le
cas de Jacob. Par ailleurs c’est souvent
durant la nuit, au cours d’un songe – qui est tout autre chose qu’un rêve – que
Dieu manifeste sa volonté. C’est ainsi que plusieurs prophètes ont reçu leur
vocation et c’est aussi ainsi que Joseph a reçu la visite de l’ange lui disant
de prendre chez lui Marie son épouse.
Plusieurs des événements importants de
l’expérience spirituelle du peuple d’Israël furent liés à la nuit, comme la
fuite de l’Égypte et plusieurs événements au cours de la traversée du
désert. Dans le Nouveau Testament, Jésus
se retire souvent la nuit pour prier et c’est de nuit que ses disciples – ou
quelques-uns d’entre eux – sont associés à cette prière. Et, selon le grand
discours eschatologique de Jésus, à la fin de l’Évangile, c’est de nuit que le
Seigneur reviendra.
Il faut donc ne pas se surprendre que
la nuit ait eu une grande importance dans la spiritualité chrétienne primitive,
et tout spécialement dans la tradition monastique. Dans la tradition cénobitique, une partie de
la nuit est passée en prière commune, mais le reste de la nuit doit se passer
dans un grand silence, qui a une dimension sacrée et, en quelque sorte,
mystique. Donc, comme le dit Benoît au
début de ce chapitre, s’il est vrai que le moine doit cultiver en tout temps le
silence qui crée le contexte de sa relation avec Dieu, à plus forte raison
doit-il le faire avec une attention particulière durant les heures de la
nuit. Il faut aussi tenir compte du fait
que l’alternance entre le jour et la nuit sont l’un des grands rythmes naturels
qui font de la vie une sorte de danse qui peut et doit devenir une danse sacrée
à la gloire du créateur.
De la fin de l’Office de Complies,
jusqu’à celui de Laudes, le lendemain, nous entrons donc dans une période de grand silence consacrée soit à la
prière, soit au sommeil, lequel peut, s’il est vécu dans ce contexte, être
aussi d’une certaine façon une moment de contact avec Dieu et donc un moment de
prière (c’est au cours du sommeil que se manifestent les « songes »
où Dieu fait connaître sa volonté. C’est
pourquoi, la façon de se préparer au sommeil est importante. Ce n’est pas simplement l’absence de
conversations qui s’impose à ce moment, mais, si l’on doit encore s’adonner à
certaines occupations après Complies, il faut faire en sorte que ce soient des
occupations qui ne nous dispersent pas trop.
C’est évidemment la raison pour
laquelle Benoît prévoit comment se passera en communauté le moment entre le
repas du soir et l’Office de Complies. Les frères se réuniront (omnes in unum,
selon une expression qui plaît à Benoît), ils s’assiéront calmement et
écouteront une lecture. Ce pourra être
une lecture des Conférences de
Cassien ou des écrits d’autres Pères du Désert ; ce pourra être aussi, évidemment, une lecture
de l’Écriture sainte, mais on évitera les livres qui peuvent trop exciter
l’imagination, en particulier les premiers livres de l’Ancien Testament, riches
en récits de guerres et de violence.
Benoît prévoit deux situations où il
est permis de faire exception à la règle absolue du grand silence de la
nuit. La première est la nécessité de
recevoir des hôtes, qui, surtout à cette époque de voyages difficiles et
dangereux, pouvaient arriver tard le soir ou durant la
nuit. Il ne s’agit évidemment pas
d’aller bavarder avec un hôte après Complies pour se détendre ou le
détendre ! L’autre cas est celui où
l’abbé aurait à demander à quelqu’un de faire quelque chose. Ici aussi il
s’agit d’une nécessité.
Pour être pratiques et concrets, il
faudrait voir comment appliquer tous ces principes dans notre situation
actuelle, hic et nunc.
Armand VEILLEUX
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