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Chapitre du 4 novembre 2011
Abbaye de Scourmont
L’heure des repas
selon RB 41
Avec son chapitre 41, Benoît termine
une série de sept chapitres qui ont traité du service des frères (35-41). Il a
parlé des serviteurs de cuisine, puis du service des frères malades, des
vieillards et des plus jeunes ; ensuite il a traité du lecteur de semaine,
puis de la mesure de la nourriture et de la boisson servies aux frères. Il
termine ce groupe de chapitres par un sur l’heure des repas.
Les Romains connaissaient trois repas
par jour : une légère collation le matin correspondant à notre petit
déjeuner, qu’ils appelaient le ientaculum, puis le repas du
midi, plutôt léger, appelé le prandium, et celui du soir, considéré comme le repas
principal, appelé la cena.
La tradition monastique ancienne jusqu’à Benoît inclusivement, n’a jamais connu
de « petit déjeuner ». Elle
connaît, selon les temps de l’année, ou bien un seul repas en fin de journée ou
bien deux repas : le prandium et la cena. Le nombre et l’heure des repas – ou du repas – quotidiens
est évidemment lié à la question du jeûne.
Dans
ce chapitre Benoît ne donne pas une spiritualité du jeûne ou des repas, mais
simplement des directives pratiques. Mais, comme toujours, celles-ci ne sont pas sans nous livrer une
attitude spirituelle, qu’il faut savoir déceler sous un texte apparemment
aride.
Une
première chose à remarquer est que, en ceci comme en beaucoup d’autres choses,
la vie du moine est rythmée par l’année liturgique, laquelle, pour les Anciens,
commençait non pas le 1er dimanche de l’Avent comme nous le
considérons aujourd’hui, mais à Pâques. Benoît distingue donc quatre périodes concernant l’heure et le nombre
des repas : celle qui va de Pâques à la Pentecôte, celle qui va de la
Pentecôte au 14 septembre, celle qui va du 14 septembre au début de carême et,
finalement, la période de carême.
En
même temps, la vie du moine est aussi rythmée par les saisons déterminées par
le mouvement du soleil, où les jours sont plus brefs en hiver et plus longs en
été et où l’été peut être une période de travail plus intense. Il faut
évidemment remarquer que, sous cet aspect, la Règle de Benoît est liée à un
contexte méridional dans l’hémisphère nord, et qu’elle ne peut pas être
appliquée telle quelle aux autres continents, particulièrement dans l’hémisphère
sud.
En
gros, les jours où il n’y a pas de jeûne, c’est-à dire durant tout le temps
pascal et de la Pentecôte jusqu’au 14 septembre, (sauf le mercredi et le
vendredi) les moines prendront un léger repas (prandium) le midi et la cena (qu’on peut
traduire dîner ou souper selon les traditions) le soir. Il n’y a, bien sûr,
jamais de jeûne le dimanche, quelle que soit la période de l’année. Tertullien disait qu’il était criminel (nefas) de jeûner
le dimanche. Quant au mercredi et au vendredi, ils étaient des jours de jeûne
pour tous les fidèles, dans l’Église ancienne. Benoît prévoit cependant que même en ces jours, on prendra le repas du
midi, si c’est la période du travail dans les champs, ou si la chaleur de l’été
est excessive. On sent derrière cela
l’une des idées fondamentales des chapitres précédents. Il faut manger et boire autant qu’il est nécessaire, mais seulement ce qui suffit. Il n’y a donc pas dans la
compréhension du jeûne une recherche de mortification ou de pénitence, mais
simplement de sobriété.
C’est
l’abbé qui doit être juge de cela, dit Benoît. Il ne faudrait pas voir ici une conception de l’obéissance qui
centraliserait tous les pouvoirs dans une personne. Il ne s’agit pas ici de
« pouvoir » ; et je dirais même qu’il ne s’agit pas vraiment
d’obéissance. L’obéissance consiste dans
une recherche de la volonté de Dieu sur la communauté et chacun de ses
membres. Ici, il s’agit simplement de la
bonne organisation de la vie communautaire. On ne réunira pas toute la communauté chaque jour de l’été pour décider
si l’on aura le repas du midi même le mercredi et le vendredi. Il faut que quelqu’un décide et il est normal
que ce soit celui qui a été élu par la communauté pour la guider. Il est important de bien distinguer
l’obéissance proprement dite de toutes ces situations qui ne sont en fait que
des solutions de saine organisation de la vie de la communauté.
Il
y a ici une autre phrase qu’il vaut la peine de remarquer. Benoît dit : « Il (l’abbé) règlera
et disposera toute chose de telle manière que les frères sauvent leur âme et
travaillent sans avoir motif à récriminer ». Le texte latin dit :
« absque iusta murmuratione » (sans un juste murmure). Benoît
met souvent en garde, dans sa Règle, contre le murmure, qui détruit l’esprit
communautaire ; mais c’est la seule fois dans sa Règle, et sans doute le
seul endroit dans la littérature monastique ancienne où on parle de
« juste murmure ». C’est que
les frères, par leurs vœux de pauvreté et d’obéissance, ont renoncé à disposer
eux-mêmes de bien matériels ; et ils ont acquis en même temps le droit à
ce que la communauté leur fournisse ce qui est nécessaire, et l’abbé a la
responsabilité que ce soit fait. Si les
frères n’ont pas ce dont ils ont vraiment besoin, surtout si c’est à cause de
la négligence de l’abbé, il y a place pour un « juste murmure ». Et dans cette petite phrase que j’ai citée,
il y a un autre élément encore plus important. Ce qui compte avant tout c’est
le salut des frères.
Du
14 septembre à Pâques les frères prendront toujours leur unique repas à la
neuvième heure du jour (i.e. vers 3 heures de l’après-midi). En Carême, ils le
prendront après les Vêpres.
Ici
Benoît a une disposition qui lui est propre par rapport à la littérature
monastique antérieure à lui. Il dit que
l’heure de Vêpres sera déterminée de telle sorte qu’on finisse le repas à la
lumière du jour sans avoir à allumer de lampes. Il ne s’agit pas ici d’une préoccupation écologique ou d’un désir de
faire des économies. Il s’agit de faire
une distinction très nette entre le jour et la nuit. Le jour est le temps du travail et de toutes
les occupations humaines. La nuit est
réservée à la prière et au recueillement. On ne se surprendra donc pas que le chapitre suivant portera sur le
silence de la nuit.
La
vie moderne, avec tous ses développement technologiques – excellents d’ailleurs
– fait que nous sommes beaucoup moins que du temps de Benoît, sensibles au
changement des saisons, aux journées plus longues l’été et plus courtes
l’hiver, aux périodes de travail plus intensif et aux périodes plus
calmes. Il est important que nous nous
efforcions quand même de vivre en harmonie avec la nature et avec ses
rythmes. Communier avec la nature créée
par Dieu est une façon de communier avec Dieu.
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