Chapitre du 20 novembre 2011

 

De la mesure dans la boisson – RB 40

 

          Poursuivant notre commentaire de la Règle, sans omettre aucun chapitre, même ceux qui ne semblent pas avoir une grande importance du point de vue spirituel, nous en sommes rendus à celui qui parle de la mesure dans la boisson, après celui qui parlait de la mesure dans la nourriture. Les deux chapitres sont évidemment fort liés et ont beaucoup en commun.

 

          Benoît écrit sa Règle dans le contexte du monde méditerranéen, où la boisson normale à table est le vin. C’est donc de la mesure du vin qu’il parle lorsqu’il veut parler de la mesure de la boisson.  Ce contexte culturel méditerranéen est le même que celui de la Bible, où il est très souvent question du vin.

 

          Les mentions du vin l’Ancien Testament sont nombreuses et offrent des approches variées.  Ainsi en est-il dans le Nouveau Testament. Divers texte de la littérature sapientielle présentent le vin comme un don de Dieu, qui réjouit le cœur de l’homme.  C’est aussi le symbole du salut eschatologique, où Dieu offrira à tous ses élus un grand banquet où ne manqueront pas les vins savoureux.  Dans le Nouveau Testament, le tout premier miracle de Jésus est la multiplication du vin à Cana, qui est le seul miracle qu’il accomplit non pas pour guérir d’une maladie, mais pour permettre aux gens de continuer de célébrer dans la joie. Évidemment, la belle scène de la fin du film Des hommes et des dieux où les frères partagent deux bouteilles de vin apportées par le frère Luc, au son de la musique du Lac des Cygnes de Tchaïkovski, a comme arrière-fond le dernier repas de Jésus avec ses Apôtres.

 

          Par ailleurs aussi bien l’Ancien que le Nouveau Testament mettent souvent en garde contre l’abus du vin, qui peut faire apostasier même les sages. Ce qui est condamné n’est pas l’usage du vin, mais son abus, les beuveries qui font que l’homme n’est plus maître de sa volonté et de ses actes.

 

          Dans la tradition monastique ancienne, aussi bien en Égypte qu’en Cappadoce, on constate toujours une forte réticence à l’égard de l’usage du vin, sauf pour les malades et les personnes affaiblies.  On semble considérer le vin comme une boisson qui peut renforcer le malade ou la personne affaiblie.

 

          Saint Benoît préférerait que les moines s’abstiennent totalement de vin, mais il semble se résigner à ce que les moines de son monastère consomment la même boisson que toute la population locale.  En tout cas, dit-il, s’ils sont trop pauvres et ne peuvent s’en procurer, ils doivent en être heureux.  Par ailleurs, Benoît prévoit que si les conditions de lieu, de travail, ou l’ardeur de l’été l’exige l’abbé aura l’autorité de faire servir une quantité supérieure, en veillant toute fois à ce qu’il n’y ait pas d’excès.

 

          Une chose intéressante est que Benoît commence ce chapitre par une citation biblique, ou en tout cas une allusion à un texte biblique (1 Cor. 7,7), « Chacun tient de Dieu un don qui lui est propre, l’un celui-ci, l’autre celui-là », pour souligner son hésitation à déterminer d’une façon arbitraire la quantité de boisson, comme d’ailleurs de nourriture qui sera donnée aux moines. L’ascèse monastique ne consiste pas à appliquer aveuglément un certain nombre de règlements, mais fait appel à la responsabilité de chacun de prendre ses propres décisions à l’intérieur d’un cadre fourni par la Règle.  Pour la boisson comme pour la nourriture, Benoît utilise ici plusieurs fois le verbe latin « sufficere ». Il détermine ce qui lui semble « suffire » pour chacun. Une hemina de vin par jour devrait suffire à chacun, dit-il. À quelle quantité correspondait une « hémine » ? C’est une unité de mesure qui était déjà connue dans le latin classique à l’époque de Caton et de Sénèque, et non seulement au Moyen Âge. Selon les diverses interprétation, elle correspondait à quelque chose entre 25 et 50 cl.

 

          Ce petit chapitre sur un sujet tout à fait terre à terre est l’occasion pour Benoît de souligner encore ce qui est au cœur de la vie du moine : la louange de Dieu. Si les circonstances ne permettent pas qu’on trouve du vin ou qu’on trouve la mesure mentionnée, on devra louer Dieu à ce sujet plutôt que de récriminer ou de murmurer. Et le chapitre se termine donc, comme l’un ou l’autre chapitre de la Règle, par l’invitation à éviter le murmure, qui est un mal qui risque de détruire la communauté.

 

 

 


 

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