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Chapitre du 9 octobre 2011
Abbaye de Scourmont
Le soin des frères malades (RB 36)
Le
chapitre 36 de la Règle de saint Benoît, sur le soin à apporter aux malades,
est un très beau chapitre, où l’esprit de Benoît se révèle, avec son accent
très fortement christocentrique. Comme on l'a souvent fait remarquer, Benoît ne
parle pas très souvent du Christ dans sa Règle ; mais cela n’empêche pas
que le Christ soit au cœur de sa spiritualité. Il y a déjà là un premier enseignement : ce n’est pas le fait de parler
constamment du Christ qui fait de nous d’authentiques Chrétiens, mais le fait
de vivre selon son évangile.
Il y
aurait aussi une première remarque à faire au sujet du titre de ce chapitre. En
latin, c’est De infirmis fratribus, ce qu’on traduit généralement par Des frères malades. Mais le mot infirmus dans le langage chrétien
ancien et dans la Règle a un sens très large. Il ne s’agit pas simplement des
infirmités physiques, mais aussi des infirmités psychologiques (difficultés de
caractère) ou encore spirituelles. Il s’agit
de tous ceux dont la faiblesse, dans un ordre ou un autre, les fait entrer dans
la catégorie de ceux que Jésus, dans l’Évangile, appelle les « petits »,
ceux avec qui Il s’identifie d’une façon particulière.
L’idée
centrale de ce chapitre est celle de « service ». Le verbe « servir » et le
substantif « serviteur » reviennent comme un leitmotiv. Parallèlement,
on trouve aussi le très beau mot latin cura (soin) qui ouvre et qui ferme le chapitre. Comme pour plusieurs autres
chapitres de la Règle, et en particulier pour le chapitre 35, que nous avons vu
la dernière fois et qui parle du service des tables, Benoît expose d’abord le
principe spirituel qui doit servir de fondement, avant de passer aux
applications pratiques.
Le
premier verset dit : « Avant
tout et par-dessus tout, il faut prendre soin des frères malades ». Il
s’agit d’une affirmation générale qui s’adresse à toute la communauté, même si,
par la suite, Benoît soulignera de façon particulière le rôle du cellérier puis
de l’abbé.
La
raison de cette attention particulière aux malades et aux faibles est exprimée
tout de suite : On les servira
vraiment comme le Christ lui-même, parce qu’il a dit : « J’ai été
malade, et vous êtes venus me visiter » (Mt 25,36) et « Ce que vous avez fait à l’un de ces
plus petits, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25,40). On trouve donc ici deux références explicites
au chapitre 25 de Matthieu, qui est au cœur de la spiritualité bénédictine et
lui donne son caractère si profondément chrétien. On y trouve l’importance du « faire » (si central dans l’Évangile
de Matthieu, comme nous le rappelle le livre du Cardinal Martini, que nous
lisons à Complies) et du « service ».
La
pensée de Benoît évolue très rapidement dans les versets suivants. Après avoir exprimé ce principe général, qui
s’adresse à toute la communauté, il rappelle aux malades qu’ils doivent être
conscients qu’on les sert ainsi en l’honneur de Dieu et qu’ils ne doivent pas
attrister leurs frères par des exigences indues. Remarquons au passage le mot « attrister ». Pour Benoît, on vient au monastère parce qu’on
veut « des jours heureux », pour y vivre dans la joie. Il faut donc éviter dans le monastère tout ce
qui pourrait attrister ou contrister les frères.
Par
ailleurs Benoît ajoute tout de suite que même si un frère malade est trop
exigent il faut le supporter avec patience car, dit-il, c’est ainsi qu’on
obtient « la plus grande récompense » (copiosior mercis). Attention ! Il ne s’agit pas ici simplement d’acquérir
des mérites. En réalité, la récompense (mercis)
par excellence, c’est le Christ. Il s’agit
donc d’acquérir le Christ, de se laisser pénétrer par lui, de s’identifier à
lui, qui, tout au long de l’Évangile, a montré un tel amour pour tous ceux qui
souffrent.
Cette
première section du chapitre, qui s’adresse à toute la communauté, se termine
par une admonition à l’abbé qui doit voir que cela se réalise : « L’abbé
prendra donc le plus grand soin (toujours le beau mot cura) qu’ils ne souffrent d’aucune négligence ».
Suivent
ensuite quelques règles pratiques.
La
première règle est que les malades auront une cellule à part, alors que les
frères dorment en dortoir, et qu’on leur assignera un « serviteur »
craignant Dieu, diligent et soigneux. Le frère qui s’occupe des malades n’a
donc aucun titre particulier. On ne
parle pas d’infirmier. Pour Benoît, c’est
tout simplement un serviteur – non par
quelqu’un « en charge » des malades ou de l’infirmerie, mais un serviteur de ceux qui ont le plus besoin
de service.
La
deuxième règle concerne les bains qu’on offrira (offeratur – le choix du mot est
significatif) aux malades alors qu’on les « concèdera » (remarquons
aussi ce mot) rarement aux frères en santé, surtout aux jeunes. Pour comprendre ce passage il faudrait
analyser la place qu’avaient pris les bains dans l’antiquité
romaine, où ils étaient une dimension importante de la vie luxueuse de la haute
aristocratie. (Prendre un bain n’était pas simplement se laver dans l’eau, mais
se soumettre à des massages avec des huiles choisies).
La
troisième remarque est l’usage de la viande permise aux malades les plus
affaiblis, alors que l’ensemble des frères pratiquent un régime végétarien.
Dans le
chapitre sur le cellérier, qui doit être un père pour ses frères, Benoît avait
déjà souligné le soin particulier qu’il doit avoir pour les frères
malades. Il termine donc ce chapitre en
rappelant à l’abbé qu’il doit prendre le plus grand soin (curam maximam – toujours le mot cura) à ce que ni le cellérier, ni les serviteurs ne négligent les malades – la
négligence étant l’opposé de la cura, du soin.
Par ce
chapitre sur le soin des « infirmes », c’est-à-dire de tous ceux qui
sont affaiblis pour une maladie ou une infirmité de n’importe quelle nature,
Benoît s’inscrit dans la plus pure sève évangélique et dans toute la tradition
cénobitique la plus authentique.
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