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Chapitre de Scourmont, le 21 août 2011
Désappropriation (RB
33)
Après
le chapitre sur les qualités requises du cellérier puis celui sur le soin à
prendre des outils et objets du monastère, Benoît a deux chapitres (33 et 34)
ayant chacun un titre sous forme de question : « Si les moines
doivent avoir quelque chose en propre ? » et « Si tous doivent
recevoir le nécessaire de manière uniforme ? ». Clairement, la
réponse à la première question est « Non » et celle à la deuxième est
« Oui ». On peut facilement trouver de bons commentaires de la Règle
qui démontrent la dépendance du texte de Benoît à l’égard de Cassien,
d’Augustin et du Maître. Mais il est
encore plus important de replacer cet enseignement de Benoît dans le contexte
évangélique et patristique.
Dans
les deux chapitres précédents, comme d’ailleurs dans les chapitres suivants,
Benoît traite de plusieurs aspects de la gestion des biens matériels au sein de
la communauté. Ici, il traite en réalité
de l’attitude spirituelle, si bien
qu’on peut considérer ce chapitre 33 sur l’exclusion de toute propriété privée
come aussi fondamental dans la spiritualité monastique que les chapitres 5
(obéissance) ou 7 (humilité).
Benoît
ne parle pas de la pauvreté. Il n’utilise pas le mot. Le mot clé de ce chapitre
comme du suivant est le verbe « avoir ». Les moines ne doivent rien
« avoir » en propre ; par ailleurs il doit « avoir »
ce qui est distribué à tous.
Toutes
les directives de la Règle – comme de l’ensemble des règles monastiques --
concernant l’attitude à l’égard des biens matériels doivent être lues sur
l’arrière-fond le l’Écriture. Il y a évidemment tout d’abord la première
béatitude, celle des pauvres, puis la recommandation de Jésus de ne pas
accumuler de trésors ici-bas, puis celle de ne pas se soucier du lendemain. Il
y a aussi, bien sûr, l’appel fait au jeune homme riche de vendre tous ses
biens. Et il ne faut pas oublier non
plus l’appel des premiers disciples qui, « laissant tous leurs biens et
leur père » suivent Jésus.
Dans
le contexte de la vie cénobitique, il y a évidemment toujours la référence à la
communauté primitive de Jérusalem où l’on mettait tout en commun et où personne
ne considérait rien comme « sien ». Dans ce sens, la pauvreté personnelle du cénobite est plus radicale que
celle de l’ermite qui possède son ermitage, un petit coin de terrain, quelques
instruments de travail, des vêtements, un peu de nourriture, etc.
Dans
la tradition cénobitique, depuis Pachôme, la mise en commun de tout et la
dépendance à l’égard de la communauté pour tout ce qui est nécessaire est
perçue comme un moyen important pour libérer l’esprit de préoccupations et
permettre au moine de suivre le Christ pauvre avec un cœur pauvre.
Dans
toute cette tradition, le point de référence et le modèle sera toujours la
communauté primitive de Jérusalem, telle que décrite au chapitre 4 du Livre des
Actes des Apôtres.
Cette
introduction peut nous aider à comprendre le texte un peu abrupt de
Benoît :
C’est
surtout ce vice-là qu’i faut radicalement extirper du monastère.
Nul
ne prendra la liberté de donner ou de recevoir quelque chose sans ordre de
l’abbé,
ni d’avoir rien en propre, absolument rien, ni livre, ni cahiers, ni crayon,
absolument rien.
D’autant
qu’il ne lui et même pas permis de disposer à son gré de son corps ni de sa
volonté.
Mais
il faut attendre du père du monastère tout le nécessaire et ne se permettre
d’avoir rien que l’abbé n’ait donné ou autorisé.
Tout
sera commun à tous, comme dit l’Écriture, afin que nul ne dise ou prétende
qu’une chose est à lui.
Benoît
parle donc d’un vice (le mot revient
au début et à la fin du développement), qui consiste à vouloir à la fois posséder
et disposer librement de biens. En bon
psychologue Benoît perçoit facilement que même le fait de donner quelque chose à
un frère, sous prétexte de charité évidemment, est un exercice de la propriété
– et aussi un exercice de pouvoir sur celui à qui on donne.
Deux points à développer (pour plus
tard) :
1) Ce chapitre de la Règle ne se
comprend que dans le contexte d’une vie authentiquement cénobitique. Souvenez-vous que Benoît, dans sa définition
de ce qu’est un « cénobite », avait donné comme première
caractéristique : quelqu’un qui vit en communauté (in monasterio). Ici il parle du désir de posséder et de
s’accaparer les choses comme d’un vice qu’il faut radicalement extirper de
la communauté.
2) Benoît ajoute que le moine doit
tout attendre du « père du monastère ». Ici Benoît ne mentionne pas simplement
l’abbé, il fait appel à sa « paternité » à l’égard de la communauté. Si l’abbé a le devoir de procurer à tous les moines ce dont ils ont besoin, de la
part du moine, c’est une attente, non
l’attitude de qui ferait valoir un droit. Nous sommes dans le contexte de la mise en commun et du partage et non
dans un contexte de propriété privé et de droits à faire valoir.
3) Il faudrait modifier de nos jours
la liste des objets dont parle Benoît, et mentionner les ordinateurs,
téléphones portables, Ipods, etc. Concernant ces objets, ce qui est important
est de les utiliser comme instruments de travail dans nos services de la
communauté, et non comme gadgets destinés à se distraire, à servir des caprices
personnels, ou simplement à satisfaire son désir de posséder. Une authentique connaissance de soi et de ses
motivations est ici nécessaire et plus importante que tout contrôle extérieur.
Armand
VEILLEUX
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