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31 juillet 2011 – Abbaye de Scourmont
« Pour qu’ils
soient guéris » (RB 30)
Il y a
plusieurs mois que j’ai laissé de côté le commentaire suivi de la Règle de
saint Benoît pour traiter d’autres questions plus d’actualité. Avant de
reprendre ce commentaire à partir du chapitre 31 où Benoît traite du cellérier,
puis de plusieurs autres questions concernant l’organisation pratique de la vie
communautaire, il reste un dernier chapitre à commenter, qui termine la longue –
et sans doute fastidieuse – série concernant la correction des frères. Il s’agit
du chapitre 30 intitulé : « Comment corriger les jeunes enfants »,
et qu’on serait tenté de laisser de côté, puisqu’il n’est vraiment plus d’actualité.
Il n’est plus d’actualité pour diverses raisons ; d’une part parce qu’il y
a de nombreux siècles qu’on n’entre plus au monastère comme enfant, et ensuite
parce que ce bref chapitre prévoit des châtiments corporels qui seraient
impensables aujourd’hui.
Notons
tout d’abord que le titre de ce chapitre, comme cela arrive souvent, ne
correspond pas tout à fait au contenu. En effet, le contenu du chapitre parle
non seulement des enfants et des adolescents mais en réalité de tous « ceux
qui ne peuvent pas comprendre la gravité d’une exclusion (ou d’une
excommunication) ». Il faut aussi remarquer que dans le latin de l’époque
de saint Benoît les mots « enfant » (puer) et « adolescent » (adulescentior) n’avaient pas les
sens qu’il ont aujourd’hui. Le mot « enfant » désignait plutôt
ce que nous appellerions aujourd’hui un grand adolescent et « adolescent »
désignait ce que nous appellerions un « jeune homme ».
À l’époque
de Benoît il arrivait que des parents amènent leur jeune enfant au monastère et
la Règle prévoit le cas ; mais cette pratique disparut au cours des
siècles suivants, et n’était plus du tout en usage à l’époque de la fondation
de Cîteaux. Déjà dans les siècles antérieurs, avant même Cluny, on avait
commencé à distinguer les « conversi » de
ces jeunes novices. Les « conversi » d’alors, qu’il ne faut pas confondre avec
les frères convers de Cîteaux, étaient ceux qui s’étaient « converti »,
c’est-à-dire ceux qui, à l’âge adulte, avaient décidé de changer de style de
vie et d’adopter la vie monastique. Par
ailleurs, durant tout le Moyen Âge, les communautés bénédictines, à côté des
écoles cathédrales, assurèrent largement
l’éducation de la jeunesse et avaient souvent leur école monastique. Et il n’était
pas rare que les jeunes, à la fin de leurs études, passent de cette école au
noviciat. Un certain nombre de nos
monastères trappistes avaient ainsi un juvénat, à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème siècle. Ces juvénats ont depuis longtemps disparu.
Comme je
ne cesse de le répéter, la vie monastique selon la Règle de saint Benoît est
essentiellement une vie cénobitique. Dès le début de sa Règle Benoît insiste
sur cette dimension. On vient au monastère pour vivre une vie de communion avec
Dieu incarnée dans une vie de communion avec des frères. Si un jour ou l’autre
un frère adopte des comportements qui nuisent à cette communion, il faut, par
divers moyens, essayer de l’aider à se corriger. Les diverses forment d’excommunication ou de privation de la
communion fraternelle, dont ont parlé les chapitres précédents supposent que le
frère, même pécheur et même rebelle, désire toujours cette communion. C’est
pourquoi le fait de l’en priver peut avoir une valeur thérapeutique. Or, ce petit chapitre 30 parle de ceux qui,
pour raison d’âge ou autre, ne peuvent pas comprendre le sérieux ou la gravité
d’une telle exclusion. Celle-ci devient alors inutile.
De ce
chapitre 30, je retiendrai deux phrases : la première et la dernière.
La
première phrase est celle-ci : « Chacun doit être traité selon son
âge (aetas)
et son jugement (intellectus).
C’est un principe fondamental pour toute vie commune et que doit toujours avoir
à l’esprit quiconque a des décisions à prendre au sein d’une communauté. Il ne
s’agit jamais d’appliquer mécaniquement des règles et des principes ; mais
de tenir compte des capacités et des forces de chaque personne, y compris de la
capacité de comprendre. C’est une dimension essentielle du « respect de la
différence ».
La
dernière phrase, ou plutôt le dernier membre de la dernière phrase dit : « pour
qu’ils se corrigent » ou plutôt, pour traduire de façon plus littérale :
« pour qu’ils soient guéris » (ut sanentur). On peut dire que ces derniers mots donnent leur sens à la longue série
de chapitres sur la correction des frères. Il ne s’agit jamais de « punir » ou de « faire expier »
une faute. Il s’agit toujours d’amener à
la conversion.
Et
précisément, nous sommes tous venus au monastère pour nous convertir, c’est-à-dire
pour poursuivre notre chemin de retour à Dieu dans la voie de l’obéissance à Sa
volonté. C’est pourquoi nous faisons un vœu de conversion et notre existence
monastique est perçue comme une « conversion continuelle ».
Ce retour
est vu comme une guérison. Ce qui veut dire que notre état de pécheurs est
conçu comme une maladie. En effet, nous
avons été créés à l’image de Dieu et à sa ressemblance. C’est là notre état de
santé parfaite. Toute perte de cette
ressemblance et toute déformation de l’image de Dieu en nous est donc une
maladie. Nous venons au monastère pour qu’à travers la forme d’existence qu’on
y vit, et tout spécialement à travers la communion avec des frères, cette
pleine communion avec Dieu soit sans cesse rétablie et que nous soyons
graduellement toujours plus conformés à l’image du Christ.
C’est là
le noyau de l’enseignement spirituel qu’on retrouve dans tous les chapitres de
la Règle de saint Benoît, même ceux qui nous semblent le plus rébarbatifs ou
les moins en syntonie avec notre culture moderne.
Armand VEILLEUX
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