|
|
||
|
|||
Chapitre à la Communauté de Scourmont
en la Solennité du Saint Sacrement
26 juin 2011
La concélébration
À l’Eucharistie de ce matin je
commenterai l’Évangile du Jour. Dans ce
chapitre-ci je voudrais dire un mot d’un aspect pratique de la célébration eucharistique,
à savoir la concélébration. Il y a peut-être des points de notre célébration
quotidienne que nous aimerions améliorer ; il peut donc être utile de
réfléchir dans un premier temps sur le sens de la concélébration. Et il pourra
aussi être bon de faire un peu d’histoire.
Tout d’abord l’histoire assez
récente. Les plus anciens parmi nous,
c’est-à-dire ceux qui ont vécu la vie monastique avant le Concile Vatican II,
se souviennent de ce qu’était alors la situation concernant la célébration
eucharistique dans nos communautés. Chaque prêtre célébrait sa messe privée qui était servie par un frère
convers, un novice ou un moine de chœur non encore prêtre. Les frères convers
assistaient aussi ensemble à une messe célébrée pour eux, puis il y avait la
messe conventuelle chantée à laquelle personne d’autre que le célébrant ne
communiait. Le dimanche, les frères
convers assistaient aussi à la messe conventuelle.
Avec la conscience liturgique
retrouvée avec Vatican II, on se rend compte combien cette situation était
étrange, pour ne pas dire aberrante. Le
matin, après les Vigiles, célébrées en commun, tous les prêtres et leurs
serviteurs se dispersaient sur des autels latéraux
pour célébrer privément ce que la théologie nous disait être le sacrement de
l’unité. Et tous assistaient plus tard dans la matinée à une messe conventuelle
à laquelle personne d’autre que le célébrant ne participait pleinement, puisque
lui seul communiait.
Dans les années qui précédèrent le
Concile, dans le cadre du mouvement liturgique qui doit énormément à Dom
Lambert Baudouin, l’idée de remplacer cette pratique par la concélébration se
répandit graduellement.
En réalité, la concélébration avait
toujours existé dans l’Église, mais jamais de la façon dans laquelle on la connait
actuellement. Il faut dire que notre
pratique actuelle est une chose nouvelle. Dans l’Église ancienne, l’usage de la
concélébration était pratiqué lorsqu’on voulait souligner l’unité du sacerdoce
et l’unité entre diverses Églises locales ; par exemple lorsqu’un évêque
en recevait un autre comme hôte dans sa cathédrale. De même lorsque plusieurs évêques en
consacraient un autre. Et lors de
l’ordination sacerdotale le nouveau prêtre concélébrait avec l’évêque qui
venait de l’ordonner.
Hors ces cas qui demeuraient des
exceptions, on insistait dans l’Église ancienne sur l’unicité de célébration
dans chaque Église locale. On n’imaginait pas une co-présidence de
l’Eucharistie, et il était normal que les prêtres qui n’avaient pas une
assemblée à présider participent, comme les autres fidèles, à une messe
célébrée par un d’entre eux. On dit que
les Papes Pie IX et Léon XIII ne célébraient pas quotidiennement, mais
préféraient assister et communier à une messe célébrée par quelqu’un d’autre.
Quant à l’ensemble des fidèles, la
communion était devenue très rare pour eux au cours des siècles ; et c’est
Pie X qui, très heureusement, rétablit l’accès facile et même quotidien pour
tous à l’Eucharistie. C’est depuis lors
que l’on considère qu’il est essentiel pour un bon chrétien et en tout cas pour
un religieux de communier tous les jours. On considère aussi qu’il est normal pour un prêtre de célébrer tous les
jours, même s’il n’y a jamais eu aucune règle canonique l’obligeant à le faire.
Toujours est-il que Vatican II, dans
la Constitution Sacrosanctum concilium publiée dès la première session du Concile, n’introduit pas la concélébration, puisqu’elle existait déjà, mais en élargit le champ d’exercice (nº 57). Toutefois, les Pères
conciliaires ne prévoyaient pas du tout une concélébration quotidienne dans les
monastères, comme nous le faisons. Ils
mentionnaient qu’on pourrait utiliser la concélébration, par exemple, lors le bénédiction d’un abbé, comme on le fait lors d’une
ordination sacerdotale ou épiscopale. Mais dès la promulgation de la Constitution, la pratique de la
concélébration quotidienne s’est rapidement répandue dans les communautés
monastiques d’hommes. Rome fut pris de
court, et la législation dut suivre la vie. Au début, Rome insistait pour que tous les concélébrants portent la
chasuble. Puis on insista sur l’aube, ne jugeant pas que la coule fût un
ornement liturgique, même si déjà la pratique s’était répandue de faire des
aubes identiques à des coules monastiques, etc.
Il y aurait beaucoup à dire – mais
nous n’en avons pas le temps ce matin – sur la « petite histoire »
qui entoura l’élaboration du rituel de la concélébration. Beaucoup d’éléments de ce rituel avaient
explicitement pour but de ménager la sensibilité des prêtres – surtout des
prêtres âgés qui célébraient en privé depuis de nombreuses années – et qui
auraient l’impression de ne « pas dire la messe », si on n’imaginait
pas des façons de leur faire faire quelque chose durant la célébration, tel que
la récitation des mémentos, par
exemple.
Déjà dès les débuts, de bons
liturgistes voyaient cette concélébration de tous les prêtres dans une
communauté monastique comme une simple transition permettant de mettre fin à la
pratique des messes privées juxtaposées. En effet, s’il était anormal pour une
communauté que personne d’autre que le célébrant ne communie à une messe
conventuelle, il est aussi anormal d’avoir une célébration où le nombre des
présidents est plus grand que le nombre des autres participants. En effet, en bonne théologie, la messe est célébrée par toutes les personnes qui y
participent et le rôle du prêtre ordonné est de présider cette célébration.
Le sacrement de l’Eucharistie a pour
but de rendre présent l’unique sacrifice du Christ, afin que tous les fidèles,
y compris les prêtres, puissent s’y unir. Ce sacrifice est unique et n’est jamais répété. Il est donc simplement rendu présent. Qu’il le soit par le ministère d’un prêtre ou
par celui de vingt prêtres ne change rien. Dans une communauté où il y a vingt
prêtres, Dieu n’a pas besoin que tous concélèbrent. Eux peuvent en avoir
besoin, et c’est pourquoi ils le font. Il n’y a donc rien de scandaleux à ce
qu’un prêtre préfère participer à l’eucharistie comme
le reste des fidèles plutôt que de s’ajouter au nombre des concélébrants.
Très tôt, dans nos monastères, on a
essayé de faire en sorte que la concélébration soit vraiment une affaire de
communauté et que la séparation des prêtres concélébrants des autres
participants ne soit pas trop accentuée. Ainsi, en général toute la liturgie de
la Parole se déroule dans les stalles du chœur et toute la communauté monte
dans le sanctuaire pour la seconde partie de la célébration.
Il y a aussi la question de la
présence des laïcs. Si on accepte que
des laïcs, en particulier des retraitants et retraitantes, participent à notre
célébration eucharistique, nous devons voir à ce qu’ils
« participent » vraiment, formant avec nous une seule
« communauté célébrante » et ne soient pas de simples spectateur à
une action faite par d’autres devant eux.
Autant de notions dont il faudra tenir
compte dans une révision éventuelle de nos modes de concélébration. La notion
théologique fondamentale à retenir est celle de l’unicité du sacrifice du
Christ, à laquelle le nombre des
célébrations n’ajoute rien en lui-même. L’autre notion tout aussi importante est celle de l’unité de la
communauté qui doit être manifestée aussi dans la forme de célébration.
Armand
Veilleux
|
|
||
|
|||