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1 mai 2011
Chapitre, abbaye de Scourmont
Réadmission des
frères au monastère (RB 29)
Le chapitre 28 de la RB, qui est le
dernier que j’ai commenté, il y a déjà un bon bout de temps, se terminait de
façon un peu sinistre par le renvoi du frère qui ne voulait vraiment pas se
convertir. Et en citant 1 Cor 7,15, Benoît soulignait le fait que c’était en
réalité le frère qui décidait de partir, en refusant de se convertir.
Le bref chapitre 29 parle de la
réadmission d’un frère qui est parti. « Si un frère a quitté le monastère par sa propre faute, dit
Benoît, et qu’il désire revenir, il promettra d’abord de se corriger totalement
de la faute pour laquelle il était sorti ». Et il prévoit qu’on puisse le
recevoir trois fois.
Il ne s’agit donc pas d’un frère qui
est parti durant son noviciat, durant lequel on lui a dit à plusieurs reprises
qu’il était libre de partir, ni celui qui est parti à la fin de son noviciat,
au moment où on l’a exhorté à rentrer en lui-même et à bien discerner si cette
vie monastique était bien ce qu’il désirait et s’il pensait être capable de la
vivre. Il s'agit plutôt de quelqu’un qui
est parti par sa faute. Le texte latin
dit proprio vitio ; mais il ne faudrait pas donner à cette
expression le sens qu’on donne au mot vice dans le langage contemporain. La
traduction « par sa propre faute » semble juste.
Il faut sans doute remettre ce petit
chapitre dans le contexte d’une problématique qui avait secoué l’Église
primitive, concernant ce qu’on devait faire avec ceux qui avaient renié leur
foi, même de façon purement extérieure, durant l’époque des persécutions. Saint Cyprien de Carthage, en Afrique du
Nord, avait été confronté à cette question, sur laquelle il écrivit un livre
fameux De lapsis. La position de
Cyprien, qui l’opposa à d’autres évêques, y compris à celui de Rome, était dans
la même ligne que celle de Benoît en ce chapitre : une grande compréhension pour la faiblesse
humaine, et surtout une grande attention à ce que la personne désire à un
moment déterminé de sa vie.
Lorsque quelqu’un se présente au
monastère et qu’il désire y entrer, Benoît insiste pour que l’on s’interroge
sur ce qu’il veut, et s’il le désire vraiment. De même il s’agit ici d’un frère qui veut revenir. Ce mot est
très important. Il ne s’agit pas simplement
de quelqu’un qui est amené ou poussé par les circonstances à revenir, mais
quelqu’un qui veut revenir. Et s’il veut
revenir, c’est que sa volonté, qui l’a amené à quitter le monastère, s’est
modifiée, s’est convertie, et qu’il désire maintenant vivre vraiment la vie
monastique. Il doit donc de nouveau
promettre, c’est-à-dire, faire une « profession » (c’est cela que
signifie le mot « profession »). Et puisqu’il est parti parce qu’il
ne voulait pas se corriger de quelque chose, il doit maintenant promettre de
corriger – et de corriger totalement – la faute pour laquelle il était sorti.
Ce qui est surprenant c’est que
Benoît prévoit de permettre ce retour non pas une seule fois, mais jusqu’à
trois fois. En réalité Benoît n’est pas
original en cela. Cette disposition à
permettre à quelqu’un de revenir jusqu’à trois fois se trouve dans la tradition
monastique antérieure, remontant au moins jusqu’à Pachôme. En même temps, le
frère doit savoir – il doit donc être informé – qu’un quatrième retour ne sera
pas possible. Il est intéressant que ce qui intéresse Benoît en ce chapitre
n’est pas tellement d’établir une règle que devront suivre la communauté et
l’abbé, mais qu’il s’intéresse plutôt à ce que désire le frère qui est sortie et ce qu’il doit savoir. Le vouloir et le savoir vont de
pair.
Cette attitude, toujours valable de
nos jours, suppose non seulement une grande miséricorde, mais surtout un
respect du cheminement propre de chacun. La lutte que chacun doit mener avec
lui-même et avec Dieu – et éventuellement avec l’abbé et la communauté – dans
son cheminement humain et spirituel, est propre à chacun, et cette différence doit être respectée.
Le droit canon actuel (celui de
1983), ainsi que nos Constitutions, prévoient quelque chose de tout à fait
différent (CIC 690 et Const. 66). Il
s’agit du frère qui est parti légitimement après son noviciat ou après avoir
fait la profession, et qui désire revenir au monastère. Dans l’ancien droit, si ce frère était
accepté, il devait refaire son postulat et son noviciat – repartir à zéro. Dans le droit actuel, il peut être accepté
sans avoir à refaire ni son postulat ni son noviciat.
À qui s’applique cette
disposition ? – À celui qui a terminé son noviciat, et non pas à quelqu’un parti durant le noviciat. Et cela s’applique aussi bien à quelqu’un qui a choisi de ne pas
faire profession qu’à quelqu’un que les supérieurs n’ont pas jugé prêt à faire
profession. Quant au profès temporaire,
cela s’applique à celui qui est parti à la fin de ses vœux temporaires, qu’ils
aient été faits pour un an, renouvelables, ou pour trois ans. Et cela s’applique aussi à quelqu’un qui a
demandé et obtenu une dispense de ses vœux. Le canon parle en effet de celui qui a « légitimement » quitté
la communauté.
Donc, une telle personne n’a pas à
refaire un noviciat. Mais que se
passe-t-il ? Ce candidat devra vivre une période de
« probation » avant de faire ou de refaire sa profession temporaire.
Durant ce temps de probation, il n’est dans aucune catégorie canonique précise,
n’étant ni novice ni profès, mais simplement en situation de
« probation » ou d’attente. Le droit prévoit qu’il appartiendra à
l’abbé, avec le consentement de son conseil de déterminer le mode et la durée
de la probation, compte tenu de tous les facteurs, en particulier du temps
d’absence, de l’âge, etc. Évidemment, la profession temporaire ou le
renouvellement de la profession temporaire (si une a déjà eu lieu avant le
départ) exigera le vote normal du chapitre conventuel.
Nos monastères étant des monastères
autonomes, avec chacun son noviciat, cette nouvelle législation s’applique
strictement parlant aux personnes qui reviennent dans la communauté où ils ont
fait leur noviciat ou dans celle où ils ont fait profession avant de quitter. Mais ce nouveau numéro du Code est prévu pour
les Instituts centralisés, où il y a en général un noviciat pour chaque
province ou même pour tout l’Institut. Il est donc prévu que pour que quelqu’un revienne, il doit avoir la
permission du Supérieur Général de l’Institut. Dans la pratique, notre Abbé Général étant
« assimilé » en certaines choses au Supérieur Général d’un Institut
centralisé, on a considéré jusqu’à maintenant qu’un moine qui a quitté à la fin
de son noviciat ou après la profession puisse être réadmis, sans refaire le
noviciat, dans un autre monastère de l’Ordre, avec la permission de l’Abbé
Général. C’est une situation canonique un peu ambiguë, mais cela peut se faire,
et cela se fait. Évidemment, une période
de probation plus longue est alors requise.
Dans tous les cas il s’agit de
permettre à quelqu’un de vivre la vie monastique, s’il le désire vraiment et de tout son être, et s’il promet sa conversion,
sa stabilité dans la communauté et son obéissance.
Armand VEILLEUX
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