13 mars 2011 – Chapitre à la Communauté de Scourmont

 

Sollicitude de l’abbé à l’égard des frères exclus (RB 27)

 

            Tous les chapitres de la Règle qui constituent ce qu’on appelle le « code pénitentiel », jusqu’au chapitre 26, inclusivement, Benoît les a en commun avec sa source présumée, la Règle du Maître, bien qu’il transforme celle-ci considérablement. Puis il ajoute deux chapitres qui lui sont propres, et qui révèlent bien son caractère très pastoral.  Ces chapitres semblent avoir été écrits vers la fin d’une longue vie de sollicitude pastorale.

            Il y a deux mots qui reviennent d’ailleurs tout au long de ce chapitre 27 (que je commente aujourd’hui) : sollicitudo et cura.  Le sens du premier, qui se traduit facilement en français par « sollicitude » est évident.  Le deuxième a à peu près le même sens, mais implique une idée d’attention aux blessures et de soin médical. 

            Benoît reprend ici plusieurs recommandations qu’il a faites à l’abbé dans le chapitre 2 et qu’on retrouvera aussi dans le chapitre 64.  Il demande à l’abbé d’imiter à l’égard du frère coupable, deux fonctions que la tradition attribue au Christ, à la suite de l’Évangile, celle du médecin et celle du pasteur. Le chapitre, très bien construit, peut être divisé en deux parties qui décrivent ces deux rôles.  Voici la première partie :

L’abbé prendra le plus grand soin (omni sollicitudine curam gerat) des frères fautifs, car ce ne sont pas les bien-portants qui ont besoin du médecin, mais les malades.

Aussi doit-il user de tous les moyens comme un médecin expérimenté ;  envoyer des senpectes, c’est-à-dire des anciens expérimentés

qui, discrètement, réconforteront le frère hésitant et l’encourageront à se reprendre en toute humilité.  Ils le réconforteront pour qu’il ne sombre pas dans un excès de tristesse,

mais, comme dit encore l’Apôtre : que la charité en lui soit affermie ;  et que tous prient pour lui.

            La préoccupation première est donc que le frère ne sombre pas dans la tristesse, qu’il ne se décourage pas, mais qu’il soit délicatement amené à se corriger en toute humilité.  Pour cela, l’abbé doit prendre toutes sortes de moyens, comme un sage médecin.  Il doit aussi être humblement conscient que dans une situation difficile comme celle-là il ne peut agir seul, et même qu’il est préférable, au moins dans un premier temps, d’envoyer vers le frère quelques-uns de ses confrères, choisis parmi les anciens, ayant une longue expérience de la vie monastique qui pourront l’aider dans ce processus.  Et même, toute la communauté doit intervenir par sa prière, afin que la charité soit affermie dans le frère.  Il est difficile de concevoir une attitude plus profondément évangélique. 

            Comme Benoît le rappellera à l’abbé au chapitre 46, il doit se souvenir de ses propres fautes et savoir guérir ses propres blessures en même temps que celles des autres.  Il est ce qu’on pourrait appeler un « guérisseur blessé » -- une expression qui vient de la mythologie grecque et qui a été souvent utilisée à notre époque par des auteurs spirituels (p.e. Henri Nouwen, The Wounded Healer), après qu’elle fût rendue de nouveau populaire par Karl Jung.

            Dans la deuxième partie du chapitre, l’image utilisée est l’image évangélique du bon pasteur :

L’abbé doit en effet mettre un soin extrême et faire diligence (sollicitudinem gerere), avec sagacité et savoir-faire (currere), pour ne perdre aucune des brebis qui lui sont confiées.

Qu’il le sache, il a reçu la charge (curam) d’âmes malades et non un pouvoir tyrannique sur des âmes saines.

Qu’il redoute la menace de Dieu exprimée par son Prophète : Vous preniez ce qui vous parassait gras, et dédaigniez ce qui était débile.

Il imitera la tendresse exemplaire du bon Pasteur qui, laissant sur la montagne ses quatre-vingt-dix-neuf brebis, va chercher la seule qui se soit égarée.

Il a tant de compassion pour son infirmité, qu’il daigne la mettre sur ses épaules divines et la ramener ainsi au troupeau.

            L’idée fondamentale, dans la plus pure ligne de toute la tradition monastique antérieure, est que le monastère est un lieu où l’on vient pour poursuivre un effort de conversion.  Nous sommes donc tous blessés par le péché, mais aussi tous en voie de guérison sous l’action du Bon Pasteur, qui est le Christ.  Puisque l’abbé, et ceux qui l’assistent dans sa tâche, représentent le Christ, ils doivent incarner sa propre attitude à l’égard de tous ceux qui ont été blessés par le péché. C’est pourquoi Benoît met l’abbé en garde, textes bibliques à l’appui, contre tout excès d’autoritarisme.

            L’image de l’unique brebis égarée rapportée au bercail sur les épaules du Bon Pasteur, pendant qu’il a laissé à elles-mêmes les 99 autres, montre bien que, normalement, dans la vie d’une communauté, l’ensemble des frères progressent en étant simplement portés par le mouvement de la vie communautaire. Ce n’est qu’un frère de temps à autre qui nécessitera l’attitude tout à fait spéciale décrite dans ce chapitre-ci et les chapitres précédents. 

            Ces divers rôles de l’abbé (pasteur et médecin) sont repris dans notre Constitution 33, sur le ministère de l’Abbé, en même temps que son rôle d’enseignant de la Parole.

 

Armand VEILLEUX

 

 

 

 

             

 


 

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