Chapitre pour l’ouverture du Carême

6 mars 2011 - Scourmont

 

De l’observance du Carême (RB 49)

 

            En tant que communauté monastique vivant selon la Règle de saint Benoît, il est normal de relire le chapitre 49 de la Règle, sur L’Observance du Carême, au moment où nous allons commencer, cette semaine, cette période de quarante jours de préparation aux solennités pascales.

            Ce chapitre commence par l’affirmation qu’ « un moine doit, en tout temps, garder l’observance du carême ». Si on lit cette phrase hors de son contexte on pourrait penser que pour saint Benoît la vie du moine doit être une vie tout ascétique, terne, dure et même triste. Or, pour bien comprendre cette phrase, il faut la mettre en relation avec une autre phrase qui arrive vers la fin de ce chapitre, où Benoît, après avoir décrit toute l’ascèse du carême dit qu’il s’agit ainsi « d’attendre la sainte Pâque dans la joie du désir spirituel » Et, quelques versets plus haut il avait dit que tout ce qu’on peut faire d’un peu spécial durant ce temps, il faut l’offrir à Dieu « dans la joie du Saint Esprit ».

            Le temps du Carême est donc, pour Benoît, un temps de joie.  C’est d’ailleurs uniquement dans ce chapitre 49 qu’on trouve, dans la Règle l’utilisation du mot gaudium, joie.  Mais il faut évidemment mettre cela en relation avec l’affirmation du Prologue qui présente le moine comme celui « qui désire vivre et avoir des jours heureux ».

            Arrêtons-nous un peu à la phrase « attendre la saint Pâque dans la joie du désir spirituel ». Il y a tout d’abord le verbe « attendre », en latin expectare, qui nous rappelle la parabole du serviteur fidèle qui attend le retour de son maître, ou encore celle des dix vierges qui attendent dans la nuit l’arrivée de l’époux. On sait que cinq de ces vierges étaient sages et avaient apporté de l’huile pour leurs lampes et cinq étaient insensées et avaient oublié de le faire.  Ce qu’on pourrait mettre en relation avec l’Évangile d’aujourd’hui qui compare celui qui bâtit sa maison sur le sable à celui qui la bâtit sur le roc.  Celui qui bâtit sa maison sur le roc est celui qui écoute la Parole de Dieu et la met en pratique.  Parmi les aspects de la vie monastique que l’on doit mettre en pratique avec plus d’intensité et de vérité durant le carême, il y a d’ailleurs l’écoute de la parole de Dieu à travers une lectio divina plus fidèle.

            Attendre la Pâque, ce n’est pas simplement se préparer à la célébration du jour de Pâques, c’est s’ouvrir au passage constant de Dieu dans nos vies. Et l’on s’y ouvre par une prière continuelle. Benoît parle de « la joie de l’Esprit Saint » et de « la joie du désir spirituel ». Ce « désir spirituel » correspond sans doute au « gémissements ineffables » de l’Esprit Saint dont parle saint Paul au chapitre 8 de l’Épitre aux Romains.

            Le temps du carême est un temps où nous devons nous efforcer de laisser croître en nous ce désir. Nous connaissons la distinction entre « besoin » et « désir ». Nous avons de nombreux besoins, et la plupart nous les avons en communs avec tous les autres créatures, en particulier celles du monde végétal et animal.  Mais en tant qu’êtres humains nous avons quelque chose qui nous est propre, c’est le « désir », qui est ouverture à l’autre, qui est simple attende de quelque chose qu’on ne peut que recevoir comme un don, une grâce. Nous avons au fond de nous ce désir inné d’une participation toujours plus grande à la vie divine, d’une croissance toujours plus grande de la semence de vie divine mise en nous lorsque nous avons été créés à l’image de Dieu. Ce désir, qui est le gémissement de l’Esprit en nous, dont parle saint Paul, ne peut croître que si nous limitons les exigences de nos besoins.

            Tous les divers aspects ascétiques de la vie monastique ont pour but non pas de faire disparaître nos besoins, mais de contrôler leurs exigences, afin de ne pas être contrôlés par eux, afin, précisément, de permette la croissance en nous du désir spirituel, de permette à la joie de l’Esprit Saint, au gémissement de l’Esprit Saint de prendre de plus en plus de place en nous. Cela explique que, pour Benoît, toute notre vie est un carême, qu’elle est tout entière une préparation à Pâques, et donc que ce n’est pas un temps pour faire des choses spéciales, mais plutôt un temps pour observer avec une plus grande fidélité et une plus grande pureté les exigences fondamentales et les observances les plus importantes de notre vie.

            En faisant cela, dit Benoît, nous effaçons toutes les négligences des autres temps.

            Voici une liste, bien partielle, de ce à quoi nous sommes appelés à faire particulièrement attention :

            a) fidélité à la lectio divina. Nous n’avons pas à Scourmont la tradition qu’ont la plupart des communautés de faire leur « lecture du carême » ensemble à la même heure, au même endroit. Notre tradition locale est de tabler sur la responsabilité personnelle de chacun.  Efforçons-nous de respecter cette « responsabilité ».

            b) fidélité à la prière commune. Efforçons-nous de ne pas manquer les Offices sans véritable raison, et surtout d’arriver en temps.

            c) nourriture : là aussi, notre tradition locale est de ne pas modifier tellement la composition des repas durant le Carême, mais de laisser à chacun le soin de faire ce qu’il peut selon son état de santé et son âge.  Chose à surveiller : observer la régularité des repas, donc ne pas manger en dehors de l’heure des repas communautaires, sans raisons médicales, et être présents au réfectoire avec toute la communauté, à moins d’être retenus ailleurs par un service communautaire qui ne peut être fait à ce moment-là.

            d) même chose pour le sommeil.  Reprendre le rythme communautaire normal, si on s’est créé un rythme « personnel » exigeant des siestes à des heures inhabituelles.

            Benoît termine son chapitre par une mise en garde qui a toujours sa valeur.  Ne pas tomber dans le panneau de l’orgueil sournois et de la vaine gloire.  On peut avoir assez de respect humain pour ne pas proclamer haut ses pénitences du carême, mais en même temps, se féliciter soi-même de son courage ou de sa ferveur... D’où l’importance du service d’un père spirituel qui nous serve de « miroir » et nous empêche de nous faire des illusions.

Bon carême !

 

 

 

             

 


 

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