27 février 2011 – Chapitre à la Communauté de Scourmont
Ne pas nuire à l’effort de conversion (RB 26)
À la fin de la longue série de chapitres sur les diverses
formes
d’exclusion
des
frères
en
difficulté
avec
la
vie
monastique
ou
avec
la
communauté,
Benoît
a
deux
beaux
chapitres
(27
et
28)
sur
l’attention
pastorale
que
l’abbé
doit
avoir
à
l’égard
de
ces
frères.
Mais
avant
cela
il
a
un
tout
petit
chapitre
interdisant
à
tout
frère
de
se
joindre,
sans
permission
avec
le
frère
exclu.
Ce
chapitre
est
très
bref
et
ne
semble
avoir
aucun
contenu
spirituel,
et
la
tentation
est
forte
pour
un
commentateur
de
la
Règle
de
le
passer
tout
simplement. Voici quand même le texte :
Un frère qui, sans ordre de l’abbé, prendrait la liberté
d’avoir
d’une
manière
ou
d’une
autre,
contact
avec
un
exclu,
de
lier
conversation
avec
lui,
ou
de
lui
transmettre
un
message
subira
la
même
peine
de
l’exclusion.
Tout d’abord la première chose à rappeler est que, dans
le
chapitre
suivant,
Benoît
demandera
à
l’abbé,
non
seulement
de
maintenir
un
lien
pastoral
avec
ce
frère,
mais
de
lui
envoyer
des
anciens
pour
qu’il
ne
se
décourage
pas
et
même
pour
qu’il
ne
s’attriste
pas.
Il
ne
s’agit
donc
pas
d’abandonner
le
frère.
Autre chose à remarquer est que cette attitude de Benoît
demandant
qu’aucun
frère
ne
se
joigne
sans
en
avoir
reçu
la
mission
à
un
frère
exclu
est
une
quelque
chose
qu’on
retrouve
dans
toute
la
tradition
monastique
cénobitique.
Il
doit
donc
y
avoir
un
sens
profond
à
cette
recommandation.
Déjà saint Pachôme, considéré comme le Père de la Koinonia,
ou
père
de
la
vie
cénobitique,
demande
aux
frères
(Praec.
et
Judicia,
16)
non
seulement
de
ne
pas
se
faire
le
complice
de
ceux
qui
pèchent,
mais
de
ne
pas
défendre
un
frère
qui
a
commis
un
manquement.
Et
le
successeur
de
Pachôme,
Horsièse,
dans
son
Testament
ou
Liber
Orsiesii,
a
deux
chapitres
complets,
tout
remplis
de
citations
bibliques,
sur
le
sujet
(c.
24
et
25).
Voici
une
section
de
ce
texte :
24. S’il arrive qu’un chef de maison ait corrigé un des
frères
qui
lui
sont
soumis,
en
l’instruisant
dans
la
crainte
de
Dieu
et
avec
le
désir
de
le
redresser
de
son
égarement,
et
qu’un
autre
frère
ait
voulu
parler
en
sa
faveur
et
prendre
sa
défense
en
jetant
le
trouble
dans
son
coeur,
ce
frère
qui
agit
ainsi,
commet
une
faute
parce
qu’il
pervertit
celui
qui
pouvait
être
guéri,
qu’il
le
précipite
à
terre
alors
qu’il
se
relevait,
et
qu’il
le
trompe
en
lui
inspirant
une
mauvaise
détermination
alors
qu’il
allait
s’améliorer,
égaré
lui-même
et
égarant
les
autres.
Horsièse cite alors plusieurs textes de l’Écriture et en
particulier
la
phrase
de
Jésus
« Si
quelqu’un
scandalise
un
de
ceux
qui
croient
en
Dieu,
il
serait
préférable
pour
lui
qu’on
lui
suspende
autour
du
cou
une
de
ces
meules
que
tournent
les
ânes
et
qu’on
le
précipite
dans
la
mer »
et
il
ajoute :
Et cela parce que..., il a fait tomber celui qui se relevait,
qu’il
a
poussé
à
l’orgueil
l’obéissant,
qu’il
a
tourné
à
l’amertume
celui
qui
pouvait
marcher
dans
la
douceur
de
la
charité, qu’il a corrompu par de mauvais conseils celui
qui
était
soumis...
On trouve la même préoccupation chez saint Basile (Reg.
26 ;
cf.
Règ.
brève,
7),
qui
craint
qu’un
frère
sans
bon
jugement
fait
que
l’autre
s’endurcit
dans
son
péché.
Aussi
chez
Cassien
(Inst.
2,
16).
Chez tous ces témoins de la grande tradition monastique,
depuis
Pachôme
jusqu’à
Benoît,
en
passant
par
Basile
et
Cassien,
la
préoccupation
est
double :
ne
pas
nuire
au
frère
dans
son
chemin
de
conversion
et
ne
pas
mettre
en
danger
l’unité
de
la
communauté.
Benoît, dans sa Règle, met plus d’une fois en garde contre
le
murmure.
Aider
un
frère
qui
passe
par
une
période
difficile
n’est
pas
une
chose
simple.
Ne
peut
le
faire
que
quelqu’un
qui
a
une
certaine
expérience
de
la
vie
monastique
et
de
ses
propres
faiblesses.
Il
est
très
facile
de
nuire
en
voulant
aider.
La
personne
sans
expérience
ou
sans
prudence
s’efforcera
d’encourager
l’autre
en
lui
donnant
raison
ou
en
lui
donnant
l’impression
qu’elle
lui
donne
raison.
En
réalité,
celui
qui
agit
ainsi
le
fait
souvent,
sans
s’en
rendre
compte,
pour
des
motifs
égoïstes.
Il
est
plus
gratifiant
de
se
faire
accepter
et
aimer
en
se
disant
totalement
d’accord
avec
l’autre,
même
si
on
sait
qu’il
a
tort,
qu’en
l’amenant
à
voir
son
manquement
et
en
l’encourageant
à
la
conversion.
Il n’y a pas de vie communautaire sans, un jour ou l’autre,
des
conflits,
petits
ou
grands.
Savoir
gérer
des
conflits
est
un
art.
L’abbé
ne
doit
pas
croire
qu’il
a
le
monopole
de
cet
art ;
c’est
pourquoi
Benoît
demandera
au
chapitre
suivant
à
l’Abbé
d’envoyer
de
sages
anciens
au
moine
en
difficulté.
Mais
puisque
c’est
un
art
difficile,
il
est
exclu
que
n’importe
qui
s’y
implique
sans
qu’on
le
lui
ait
demandé.
Il
est
facile
de
créer
des
dommages
plus
grands
à
l’unité
communautaire
et
au
frère
lui-même
plutôt
que
d’aider
à
résoudre
la
situation.
La vie d’une communauté est harmonieuse et formatrice lorsque
chacun,
d’une
part,
est
conscient
de
sa
responsabilité
pour
la
qualité
de
la
vie
communautaire
et
lorsque
chacun
remplit
les
services
qui
lui
sont
demandés
respectant
les
tâches
qui
reviennent
à
d’autres.
Armand VEILLEUX