Chapitre pour l’Épiphanie, 2011
La rencontre de l’Autre
L’imagination
populaire,
au
cours
des
siècles,
a
développé
beaucoup
de
poésie
et
de
folklore
autour
de
ceux
qu’on
a
appelés
les
« Rois
mages ».
En
réalité
l’Évangile
ne
les
présente
pas
comme
des
rois,
ni
même
comme
des
personnages
importants,
mais
comme
des
personnes
mal
vues
par
le
judaïsme
officiel,
aussi
bien
en
tant
qu’étrangers
qu’en
tant
que
« mages »,
c’est-à-dire
des
astrologues.
Matthieu
veut
souligner
le
fait
que
les
deux
premiers
groupes
–
et
d’ailleurs
les deux seuls – qui viennent présenter leurs
hommages
à
Jésus
n’appartiennent
pas
aux
puissants
de
la
terre
mais
sont
au
contraire
des
personnes
considérées
comme
marginales :
les
bergers
et
les
mages.
On perçoit, dans ce récit symbolique,
la
réaction
de
l’Évangile
de
Matthieu
face
à
conscience
de
leur
supériorité
raciale
que
démontraient
les
chrétiens
d’origine
juive
de
Syrie
où
fut
écrit
cet
Évangile.
Devant
cet
orgueil
et
cet
exclusivisme
hérités
de
l’Ancien
Testament,
l’Évangile
invite
à
reconnaître
le
« roi
des
juifs »
dans
un
petit
enfant
nu,
déposé
dans
une
mangeoire,
et
le
fait
reconnaître
comme
tel
non
par
les
puissants
aussi
bien
laïcs
que
religieux
d’Israël,
mais
par
des
« étrangers »
venant
de
loin
et
exerçant
une
profession
méprisée,
celle
d’astrologues.
À notre époque où se généralise à nouveau
–
particulièrement
en
Occident,
mais
aussi
un
peu
partout
dans
le
monde
--
une
méfiance
grandissante
à
l’égard
de
l’
« étranger »
et
de
quiconque
est
« différent »,
ce
récit
prend
une
signification
tout
à
fait
actuelle.
Il
nous
montre
que
lorsque
nous
nous
fermons
à
l’étranger
et
surtout
lorsque
nous
voulons
réduire
le
monde
aux
limites
de
nos
croyances
et
de
nos
appartenances,
nous
reproduisons
aussi
bien
l’attitude
d’Hérode
que
celle
des
prêtres
et
des
scribes
d’Israël.
Peut-être
manquons-nous
alors
les
nombreuses
manifestations
de
Dieu,
les
nombreuses
Épiphanies
qui
nous
sont
offertes
par
Dieu.
À la foi en l’universalité du salut
offert
par
Dieu,
s’opposent
tous
les
fondamentalismes.
Et
la
célébration
de
l’Épiphanie,
cette
année,
prend
sans
doute
une
importance
nouvelle,
du
fait
que
l’année
qui
vient
de
se
terminer
a
été
marquée
d’une
façon
tout
à
fait
particulière
par
l’exacerbation
de
tous
les
fondamentalismes -- que ce soit le fondamentalisme islamique, qui
ne
représente
aucunement
l’Islam,
ou
le
fondamentalisme
d’un
christianisme
politique
d’extrême
droite,
qui
prétend
pouvoir
exterminer
le
mal,
et
qui
n’a
rien
de
chrétien,
ou
encore
un
certain
fondamentalisme
laïque,
que
nous
connaissons
trop
bien
en
Belgique,
et
qui
est
d’ailleurs
aux
antipodes
d’une
laïcité
éclairée.
Le texte évangélique sur les Mages, très riche en symboles, nous enseigne
beaucoup
de
choses.
D'abord,
nous
devons,
comme
les
Mages,
apprendre
à
discerner
tout
ce
que
Dieu
nous
dit
de
Lui-même
à
travers
la
nature
et
les
événements
naturels.
L'histoire
des
Rois
Mages
a
nourri
l'imagination
toute
naïve
de
notre
enfance. Il nous faut, à l'âge adulte, développer une
seconde
naïveté
qui
nous
permette
de
discerner
de
temps
à
autre
une
étoile
qui
nous
indique
la
volonté
de
Dieu
sur
nous
et
avoir
le
courage
de
la
suivre,
même
sans
savoir
où
elle
nous
conduit.
Se
laisser
emporter
dans
une
recherche
spirituelle,
au-delà
des
supports
de
la
culture
humaine
et
religieuse
environnante
a
d'ailleurs
été
la
caractéristique
commune
du
monachisme
de
tous
les
âges.
De
fait,
les
mages
de
notre
évangile
apparaissent
étrangement
proches
de
ces
moines
itinérants
qu'on
trouve
à
l'époque
de
Jésus
à
travers
l'Asie
et
qu'on
trouvera
dans
le
christianisme
syriaque
de
la
première
génération.
C’est l’occasion de nous demander où
en
est
notre
ouverture
à
l’autre?
Après
quelques
décennies
caractérisées
par
un
développement
considérable
du
dialogue
entre
les
peuples,
les
cultures
et
les
religions,
nous
assistons
actuellement
un
peu
partout
en
Occident
à
un
mouvement
de
recul
et
de
fermeture
à
l’autre
–
à
l’autre
venant
d’autres
pays
et
d’autres
cultures,
ayant
d’autres
coutumes
et
d’autres
traditions
religieuses.
Un
vent
de
xénophobie
est
perceptible
un
peu
partout.
Dans
ce
contexte
l’Évangile
nous
fait
une
obligation
particulière,
en
tant
que
Chrétiens,
non
seulement
de
garder
nos
cœurs
ouverts
à
la
largeur
de
celui
de
Dieu,
mais
aussi
de
travailler
de
façon
concrète
à
maintenir
ou
à
rétablir
le
dialogue
à
tous
les
niveaux.
L’Église – notre Église – qui avait
cédé
durant
assez
longtemps
à
la
tentation
de
se
replier
sur
elle-même
tout
en
se
faisant
prosélyte,
a
soudain
redécouvert
admirablement
au
moment
du
Vatican
II,
ce
que
Paul
–
dans
la
seconde
lecture
de
la
messe
d’aujourd’hui
--
appelle
le
« mystère ».
Dans
un
des
grands
documents
du
Concile
« Nostra aetate »
l’Église
a
reconnu
l’action
de
Dieu
dans
toutes
les
grandes
religions
de
l’humanité,
appelant
à
un
esprit
de
fraternité
et
de
dialogue.
Plus
de
quarante
ans
après
le
Concile
il
est
toujours
tout
aussi
important
de
garder
vivante
notre
foi
en
la
possibilité
et
la
nécessité
d’un
dialogue
proprement
religieux
entre
les
croyants
des
diverses
religions,
c’est-à-dire
un
dialogue
où
sans
jamais
mettre
sa
foi
entre
parenthèses,
on
se
rencontre
au
niveau
de
ce
qui
est
le
plus
intime
à
notre
vie,
notre
rencontre
de
Dieu,
au
delà
de
toutes
les
théologies
et
de
tous
les
systèmes.
Il y a 25 ans Jean-Paul II avait convoqué
à
Assise
des
représentants
de
toutes
les
grandes
religions
pour
une
Journée
de
prière
en
commun
et
donc
de
partage
de
l’expérience
religieuse. À l’occasion de ce 25ème anniversaire
Benoît
XVI
vient
d’annoncer
la
convocation
d’une
réunion
semblable,
de
nouveau
à
Assise,
sur
le
thème
de
la
Paix.
Prions
pour
que
ce
soit
non
seulement
une
rencontre
inter-culturelle
mais
bien
une
journée
de
communion
au
niveau
de
l’expérience
proprement
religieuse.
En tant que Cisterciens nous avons
la
grâce
d’appartenir
à
un
Ordre
international ;
et
notre
Abbaye
a
des
maisons
filles
sur
divers
Continent.
Cela
fait
que
notre
communauté
de
Scourmont
est
actuellement
composée
de
moines
provenant
de
plusieurs
nationalités
et
donc
de
plusieurs
cultures. C’est une richesse et une grâce dont nous devons
remercier
Dieu.
En regardant les événements
quotidiens
aussi
bien
de
l'Église
que
de
la
société
civile,
il
est
facile
de
nos
jours
d'être
pessimistes
et
même
de
se
laisser
déprimer. La vocation de tout chrétien et encore plus
celle
des
personnes
qui
ont
été
appelées
à
une
forme
de
vie
contemplative,
est
de
savoir
contempler
les
étoiles
dans
la
nuit
du
monde
contemporain,
et
d'y
discerner
toutes
les
manifestations,
toutes
les
Épiphanies
de
Dieu.
Armand VEILLEUX