Chapitre pour la profession temporaire de Père Frédéric Rubwejanga
Scourmont, le 1er novembre 2010

 

Je ne suis pas venu faire ma volonté (Jean 6,38)

 

« Le premier degré d’humilité est l’obéissance sans délai. 

Elle convient à ceux qui n’ont rien de plus cher que le Christ ».

 

            Dès le début de sa Règle, après le Prologue et après une brève description de la structure interne de la communauté monastique, Benoît traite de trois vertus fondamentales qui sont profondément reliées l’une à l’autre : l’obéissance, le silence et l’humilité.  Elles sont tellement reliées que, même s’il parlera longuement au chapitre 7 des douze degrés d’humilité, il commence le chapitre 5, sur l’obéissance, en disant que le premier degré d’humilité est l’obéissance sans délai.

            Dès le début du Prologue, Benoît s’adressait à quiconque voulait revenir à Dieu par le labeur de l’obéissance.  Dans le chapitre 58, sur la réception des frères il demandera que l’on s’assure que le candidat qui veut entrer dans la communauté soit capable de se donner assidument à l’obéissance et à l’humilité aussi bien qu’à l’opus Dei. Et, lorsqu’il sera admis à s’intégrer à la communauté il promettra sa stabilité, sa conversion et son obéissance. Cela est logique puisqu’un cénobite, selon Benoît, est quelqu’un qui a choisi de vivre dans une communauté, sous une règle commune et un abbé.

            Pourquoi cette insistance de Benoît sur l’obéissance ?  Serait-ce le souci d’un fondateur d’affirmer sa propre autorité, comme on le voit souvent de nos jours dans les textes des fondateurs de communautés dites « nouvelles ». Non ! La raison, Benoît la donne dès la deuxième phrase de ce chapitre 5, où il dit que l’obéissance "convient à ceux qui n’ont rien de plus cher que le Christ » (his qui nihil sibi a Christo carius aliquid existimant).  Il est même difficile de traduire dans une langue moderne toute l’intensité, l’intimité et même la tendresse de cette expression de Benoît.  Il ne s’agit pas simplement d’aimer le Christ d’une sorte de froide charité théologale.  Il s’agit de n’avoir rien de plus « cher » que Lui.

            Mais quel est le lien entre l’obéissance et l’amour du Christ ? C’est que l’obéissance est l’attitude la plus fondamentale du Christ Lui-même à l’égard de son Père. Non seulement il nous a donné l’exemple en se faisant obéissant jusqu’à la mort -- et la mort de la croix -- comme le chante le si bel hymne christologique du chapitre deuxième de la Lettre aux Philippiens, mais l’obéissance est l’essence même de son lien au Père. Obéir c’est n’avoir qu’une volonté avec celui à qui on obéit.  Obéir c’est aussi « écouter ». Or le Père engendre son Fils, son Verbe, en le disant ; et le Fils se reçoit du Père en l’écoutant. Ce qui se passe entre le Père qui dit son Verbe et le Verbe qui est dit par le Père c’est l’amour, appelé aussi Esprit. Nous sommes là au coeur de la vie trinitaire, au sujet de laquelle nous ne pouvons, évidemment, que balbutier en utilisant des images.

            Lorsque le Verbe s’est incarné, il a dit, selon la belle expression de l’Épître aux Hébreux : « Voici que je viens pour faire ta volonté ». « Ut faciam voluntatem tuam ». C’était, cher Père Frédéric, votre devise épiscopale – et déjà la devise de votre vie sacerdotale -- et vous voulez en faire la devise de votre vie monastique.

            Vous avez bien compris que l’obéissance ne consiste pas d’abord à obéir à des ordres ou à observer des règlements, mais à se soumettre par amour à la volonté de Dieu qui se manifeste à nous de mille et une façons. Elle se manifeste d’abord dans notre existence de créature, y compris dans nos limites personnelles ; elle se manifeste dans les événements du monde, de l’Église, de notre communauté. Elle se manifeste aussi, évidemment dans les exigences de la vie monastique que nous avons choisie, avec sa dimension de solitude, de prière et de travail, et dans celle de la vie communautaire.  Cela impliquera que, pour l’harmonie de la communauté on se soumette à des façons de faire qui n’ont rien d’essentiel, et souvent rien d’important en elles-mêmes, mais qui assurent la cohésion d’un groupe. Cela implique aussi, bien sûr, qu’on se soumette aux décisions de ceux qui, au sein de la communauté sont responsables de tel ou tel secteur et à celles de celui qui est appelé à veiller sur la communion de l’ensemble.  Tous ces comportements d’obéissance, vous le savez, n’auraient aucune valeur, et même aucune signification, si ce n’étaient des moyens d’incarner dans notre vie de tous les jours notre obéissance au Christ, laquelle requiert, pour être vraie, que nous n’ayons vraiment rien de plus « cher » que Lui.

            Eh bien, cher Père Frédéric, puisque vous désirez poursuivre au sein de notre communauté cet effort de faire toujours la volonté du Christ, qui a été le but de votre vie comme évêque, je vous invite à prononcer votre engagement à vivre cette obéissance au sein de notre communauté.

 

Armand VEILLEUX

 

 

 

             

 


 

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