Chapitre du 12 décembre 2010
Abbe de Scourmont

 

De l’excommunication pour fautes (RB 23)

 

            À partir du chapitre 23, jusqu’au chapitre 30, la RB a une longue série de chapitres que les commentateurs appellent généralement le « code pénitentiel ».  Comme il suppose une situation culturelle et une mentalité assez étrangère à notre culture actuelle, la tentation est toujours grande, pour les abbés ou les abbesses qui commentent la Règle, de les omettre ou de les traiter rapidement tous ensemble dans un seul bref commentaire.  C’est ce que j’ai fait moi-même lors de mon dernier commentaire de la Règle en communauté.  Mais je crois maintenant qu’il vaut la peine de les prendre lentement, l’un après l’autre, et d’y découvrir l’enseignement spirituel qui se trouve au coeur de chacun de ces chapitres, si l’on sait en briser l’écorce rugueuse.

Un frère se montre-t-il entêté (contumax), désobéissant, arrogant (superbus), contestataire (murmurans), ou hostile à quelque point de la sainte règle et contempteur des ordres de ses anciens, il sera réprimandé une et deux fois en aparté par ses anciens, selon le commandement du Seigneur. S’il ne s’amende pas, il sera blâmé (obiurgetur) publiquement devant tous. Mais si, même après cela, il ne se corrige pas, il sera exclu (excommunicationi subiaceat), pourvu qu’il comprenne la gravité de la peine.  S’il en est incapable, il subira un châtiment corporel.

            Il faut comprendre ce texte dans le contexte de la pratique pénitentielle de l’Église primitive. On est encore alors quelques siècles avant l’introduction de la confession sacramentelle privée telle que nous la connaissons aujourd’hui. Dans les premiers siècles de la vie de l’Église la pénitence était publique et elle concernait essentiellement les fautes qui affectaient gravement la communion ecclésiale. Celui qui avait blessé cette communion était ex-communié, c’est-à-dire qu’il était séparé de la communion ecclésiale.  C’était en réalité une façon rituelle d’exprimer le fait qu’il s’en était séparé lui-même par son attitude. Il était ensuite réintégré dans la communion ecclésiale lorsqu’il avait démontré, par une pénitence, sa conversion ou sa volonté de vivre de nouveau en plénitude cette communion.

            Cette pratique avait été très tôt transposée dans la vie des communautés monastiques qui étaient considérées ou se considéraient comme des églises locales. Les fautes pour lesquelles l’excommunication est prévue dans ce chapitre 23 de la Règle sont celles qui sont contre les éléments essentiels de la vie cénobitique. 

Nous avons déjà vu comment Benoît définit le cénobite comme quelqu’un qui a choisi de vivre en communauté, sous une règle et un abbé. Or, dans le premier verset de ce chapitre 23, où Benoît décrit les fautes qui demandent correction, il énumère celles qui vont à l’encontre de ces trois éléments.  Il y a tout d’abord les attitudes qui, de leur nature, vont contre une vie communautaire harmonieuse : les attitudes d’entêtement, de désobéissance, d’arrogance, de murmure (v. 1). Puis il y a le refus de se soumettre à la règle commune (v.2) et enfin le mépris des ordres venant de l’autorité légitime exercé par les anciens (seniores) qui sont les délégués de l’abbé.

            Devant ces attitudes qui vont à l’encontre des valeurs essentielles de la vie cénobitique, que convient-il de faire ? Le texte de la Règle est ici clairement inspiré du texte de Matthieu 18, 15-17. 

Si ton frère vient à pécher, va le trouver et fais-lui tes reproches seul à seul.  S’il t’écoute, tu auras gagné ton frère.  S’il ne t’écoute pas prends encore avec toi une ou deux personnes pour que toute affaire soit décidée sur la parole de deux ou trois témoins.  S’il refuse de les écouter, dis-le à l’Église, et s’il refuse d’écouter même l’Église, qu’il soit pour toi comme le païen et le collecteur d’impôts. »

 

            Benoît prévoit une gradation à peu près semblable : d’abord une admonition en secret une ou deux fois par ses anciens ; puis une admonition publique devant tous, puis, s’il ne se corrige toujours pas, il sera excommunié, c’est-à-dire exclu des moments de communion que sont l’Office Divin et les repas.  Mais il se peut que quelqu’un ne comprenne même pas ce que cela signifie ; alors Benoît parle de recourir au châtiment corporel, ce qui n’aurait évidemment pas de sens de nos jours, mais qui était un élément normal de toute éducation, à l’époque de Benoît comme durant de nombreux siècles après lui (et jusqu’à il n’y a pas très longtemps).

            Mais il faut bien comprendre qu’à travers toutes ces étapes de la correction fraternelle, y compris la dernière, l’intention n’est jamais de punir, mais de « corriger », c’est-à-dire d’amener quelqu’un à se corriger, ce qui est synonyme de se convertir.

            C’est vraiment cette perspective qu’il faudra garder présente à l’esprit lorsque nous lirons tous les chapitres suivants, qui seraient plutôt déprimants si l’on considérait qu’il s’agit d’un système de punition ;  mais qui sont éclairants lorsqu’on les voit comme un ensemble de moyens de maintenir ou de rétablir la pleine communion fraternelle qui a été rompue par certains actes ou certains comportements.

 

Armand VEILLEUX

 

 

 

 

             

 


 

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