Chapitre pour le 5 décembre 2010
Abbaye
de
Scourmont
Comment dormiront les moines (RB 22)
Le chapitre suivant de la RB, après celui sur les doyens,
traite
du
repos
de
la
nuit.
À
première
vue
il
peut
paraître
surprenant
que
Benoît
traite
si
tôt
dans
la
Règle
d’un
aspect
de
la
vie
du
moine
qui
ne
semble
guère
important
du
point
de
vue
de
la
spiritualité
monastique. Mais à bien y penser, même si le moine – au
moins
selon
la
Règle
–
consacre
moins
d’heures
au
sommeil
que
la
plupart
des
gens
dans
le
monde,
il
reste
qu’il
y
consacre
une
bonne
partie
de
sa
vie.
Il
n’est
pas
inutile
de
s’assurer
de
la
façon
dont
sera
vécue
cette
tranche
importante
de
la
vie
du
moine.
Benoît en a déjà parlé un peu indirectement lorsqu’il a
demandé
de
ne
pas
lire
à
l’Office
du
soir,
tout
de
suite
avant
le
sommeil,
les
Livres
de
la
Bible
qui
pourraient
nourrir
l’imagination
de
récits
de
guerres
et
d’autres
aventures
excitantes.
Comme
les
psychologues
modernes
(Karl
Jung
en
particulier),
Benoît
est
conscient
que
les
activités
qui
précèdent
immédiatement
le
sommeil
conditionnent
le
niveau
de
l’inconscient
dans
lequel
nous
feront
pénétrer
nos
rêves. L’idéal pour une personne spirituelle est de
se
préparer
à
la
nuit
soit
par
une
prière
silencieuse
ou
par
une
lecture
de
la
parole
de
Dieu
ou
d’un
auteur
spirituel.
Ainsi
la
prière
continuelle
pourra
se
poursuivre
durant
le
sommeil,
les
périodes
de
rêve
nous
faisant
pénétrer
dans
notre
inconscient
spirituel
habité
par
l’Esprit.
(C’est
ainsi
que
le
récit
du
Pèlerin
Russe
a
cette
merveilleuse
petite
phrase :
« un
matin
la
prière
me
réveilla »).
Ce qui intéresse Benoît ici est l’organisation matérielle
de
la
situation
dans
laquelle
les
moines
dormiront.
Dans
le
monachisme
primitif,
aussi
bien
dans
la
tradition
cénobitique
qu’érémitique,
les
moines
dormaient
en
cellules
individuelles.
Il
arrivait
aussi
qu’une
cellule
soit
partagée
par
deux
ou
trois
moines.
Surtout
dans
les
milieux
érémitiques,
où
souvent
le
disciple
vivait
auprès
de
son
maître,
cela
permettait
de
s’exhorter
mutuellement
à
passer
une
bonne
partie
de
la
nuit
en
prière,
ou
encore
d’alterner
les
heures
de
prières
avec
des
heures
de
sommeil.
À
l’époque
de
Benoît,
en
Occident,
le
dortoir
commun
avait
déjà
remplacé
les
cellules.
Il
prévoit
qu’il
puisse
y
avoir
quelques
dortoirs
distincts
si
le
nombre
des
moines
est
grand.
La première phrase du chapitre, qui dit que « chacun
dormira
dans
un
lit
individuel »
peut
surprendre
dans
notre
contexte
culturel
actuel.
Mais
si
l’on
consulte
les
gravures
du
Moyen
Age,
on
peut
voir
dans
les
auberges
des
lits
ou
7
ou
8
personnes
couchaient
les
unes
à
côtés
des
autres !
Le
dortoir,
pour
Benoît
est
donc
un
grand
espace
où
plusieurs
cellules
se
trouvent
juxtaposées,
mais
sans
séparation
entre
elles.
De nos jours nous sommes revenus à la pratique du cénobitisme
primitif
où
chaque
moine
avait
sa
cellule.
Il
y
aurait
avantage
à
considérer
celle-ci
non
seulement
comme
un
lieu
de
sommeil,
où
l’on
dort
évidemment
mieux
que
dans
un
grand
dortoir
commun,
mais
aussi
et
avant
tout
comme
un
lieu
de
prière
personnelle.
C’est
aussi
un
lieu
idéal
pour
faire
sa
lectio
divina,
même
si,
en
beaucoup
de
monastères,
on
tient
à
maintenir
le
scriptorium
comme
lieu
de
lectio. (Le scriptorium, soit dit en passant,
était
dans
le
monachisme
ancien
un
lieu
de
travail :
le
lieu
où
l’on
copiait
les
manuscrits).
Évidemment
l’utilisation
mûre
et
responsable
de
la
cellule
(ou
chambre
privée)
demande
de
l’ascèse
et
une
certaine
initiation.
La
tentation
est
parfois
grande
d’y
accumuler
beaucoup
d’objets
personnels
et
aussi
de
s’étendre
sur
son
lit
dès
que
l’on
se
sent
un
peu
fatigué.
Benoît donne aussi quelques autres indications pratiques :
d’abord
une
chandelle
reste
allumée
dans
le
local
jusqu’au
matin
et
l’on
dort
tout
habillé
(ce
qui
n’était
certes
pas
anormal
à
l’époque)
afin
de
pouvoir
se
rendre
tout
de
suite
à
l’oratoire
lorsque
sonne
l’Office
de
la
nuit.
Tout comme on doit laisser immédiatement ce que l’on fait
pour
se
rendre
à
l’église,
dès
que
sonne
l’Office,
durant
le
jour ; de même, la nuit, il faut se lever sans retard
lorsque
le
signal
est
donné.
Benoît
invite
même
les
frères
à
se
hâter
et
à
se
devancer
les
uns
les
autres,
mais
avec
sérieux
et
modestie.
Mais
comme
il
sait,
sans
doute
par
expérience,
que
la
« levée
du
corps »
est
plus
difficile
pour
les
uns
que
pour
les
autres,
il
exhorte
les
frères
à
s’encourager
doucement. On pourrait étendre cette recommandation à tous
les
Offices.
Lorsqu’un
frère
arrive
constamment
en
retard
aux
Offices,
tout
juste
lorsque
l’Office
est
commencé,
c’est,
dans
l’esprit
de
ce
chapitre
de
la
Règle,
la
responsabilité
de
tous
les
frères
–
et
non
seulement
de
l’abbé
–
de
l’encourager,
le
stimuler,
le
secouer
pour
qu’il
organise
ses
activités
afin
de
pouvoir
ne
rien
préférer
à
l’Opus
Dei
comme
le
recommande
saint
Benoît.
Armand Veilleux